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Le texte suivant est extrait du chapitre X des mémoires du Chancelier Pasquier; tome premier, publiés par M. le duc d'Audifred-Pasquier, à la Librairie Plon, en 1894. Son point de vue est sensiblement différent de celui de M. Molé. Sa passion y est plus humaine et moins sectaire. Les deux points de vue, complétés par le récit de H. Graëtz permettent d'avoir une vue plus globale sur le déroulement des événements. |
La première occasion où se signala la confiance que l'Empereur était
disposé à accorder aux maîtres des requêtes fut celle d'une discussion relative
à l'existence des Juifs et à la conduite qu'ils tenaient dans les provinces
où leur nombre était le plus considérable. On les accusait, non sans motifs,
d'avoir depuis quelques années, et surtout en Alsace, poussé l'usure à
un tel point que, s'ils conservaient la faculté de réaliser entièrement
leurs créances, ils seraient propriétaires de la meilleure partie des terres
de cette province. Leur blâmable et traditionnelle industrie s'était plus
particulièrement exercée sur la classe des cultivateurs, et elle avait
été singulièrement favorisée par les temps difficiles que les petits propriétaires
avaient eu à traverser, et surtout par les charges extraordinaires qu'une
guerre continuelle avait fait peser sur les départements de la frontière
du Rhin.
Un décret impérial, en date du 30 mai 1806, avait déjà suspendu
pour une année l'effet des poursuites exercées par ces impitoyables créanciers;
mais cette mesure provisoire n'avait été adoptée que pour donner le temps
et le moyen de statuer sur tous les droits, en parfaite connaissance de
cause. C'était une mesure arbitraire puisque, sans entendre les parties intéressées,
on avait confondu dans une même réprobation les titres, de quelque nature
qu'ils fussent, sans distinction de leur origine juste ou injuste; par cela
seul qu'ils appartenaient à une certaine classe de citoyens français. Et
comment refuser aux Juifs cette qualification?
Elle leur appartenait aux termes de lois rendues
depuis la Révolution; ils en supportaient toutes les charges, notamment
celle du service militaire. Ils cherchaient bien à se soustraire à la conscription,
profitant de ce que, pendant longtemps, aucun registre n'avait été tenu
régulièrement pour constater leur naissance ; la plupart d'entre eux avaient
évité de faire, devant les municipalités, les déclarations prescrites à
cet égard. Enfin, le défaut de noms patronymiques, inusités parmi eux, les
servait merveilleusement, lorsqu'il s'agissait de former les contingents.
Mais ces difficultés avaient été surmontées, lorsque l'Empereur crut devoir
prendre la résolution de suspendre leurs créances.
Cette mesure fut, dans le Conseil d'État, l'occasion d'une assez
vive controverse; la section de l'intérieur, chargée de préparer le décret,
s'y était montrée peu favorable; son président surtout, M. Regnaud de Saint-Jean d'Angély, en avait combattu
la proposition comme contraire aux principes du droit civil, et comme portant
atteinte à la liberté des cultes; cette liberté n'était-elle pas, en effet,
manifestement violée du moment où un citoyen, par cela seul qu'il professait
la religion juive, se trouvait privé de quelques-uns des avantages de la
loi commune? Pour M. Regnaud, protéger les Juifs n'était pas seulement faire
acte. de justice, mais encore se mettre en garde contre les prêtres catholiques,
objet particulier de ses méfiances.
Par une inclination toute contraire, il s'était trouvé que le jeune
auditeur, chargé dans la même section du travail préparatoire de cette
affaire, n'avait pas craint de se prononcer avec une grande chaleur pour
les mesures réclamées contre les Juifs. L'Empereur ne l'avait point ignoré,
et la bienveillance qu'il portait à cet auditeur, c'était M. Molé, s'en
était sensiblement accrue. Le jour où la discussion s'ouvrit dans le Conseil,
il lui fit la faveur tout à fait insolite de lui accorder la parole (
Les auditeurs rapportaient dans les sections et pouvaient y prendre part
à la discussion; dans le Conseil, ils assistaient aux délibérations, mais
n'y avaient jamais la parole), et ordonna l'impression de son rapport.
Le décret portant sursis fut ensuite rédigé conformément aux idées qu'il
3, avait émises, mais il fut en outre statué qu'une assemblée de Juifs,
habitant le territoire français, serait convoquée le 15 juillet suivant,
dans la ville de Paris.
Les membres de cette assemblée, au nombre porté dans un tableau
annexé au décret, devaient être désignés par les préfets, et choisis parmi
les rabbins, les propriétaires et les autres Juifs les plus distingués par
leurs lumières et leur probité. L'Empereur devait faire connaître ses intentions
à cette assemblée par une commission spécialement nommée à cet effet. Les
membres de cette commission seraient en même temps chargés de recueillir
les voeux, qui pourraient être émis, sur les moyens les plus expédients pour
rappeler parmi les Juifs l'exercice des arts, des professions utiles, et
pour remplacer ainsi, par une honnête industrie, les ressources blâmables
auxquelles beaucoup d'entre eux se livraient de père en fils, depuis des
siècles.
Lorsqu'il s'agit un peu plus tard de nommer les commissaires, la
première pensée de l'Empereur se fixa sur M. Molé. Cette marque de confiance
lui était naturellement acquise par le rôle qu'il avait déjà joué dans l'affaire;
et, en effet, outre ce que nous avons déjà raconté du rapport qu'il avait
lu dans le Conseil, l'Empereur lui avait encore commandé un travail sous
le titre de : Recherches sur l'état politique et religieux des Juifs depuis
Moïse jusqu'au temps présent. Ce travail ne s'était pas fait attendre et
il avait été inséré en entier au Moniteur
où il occupait dix-huit colonnes; c'était un acte d'accusation contre la
nation juive, dans lequel il était établi que l'usure n'était point née des
malheurs du peuple juif, ainsi qu'on avait trop souvent affecté de le croire,
qu'elle était non seulement tolérée, mais même commandée par la loi de Moïse
et par les principaux Docteurs qui l'avaient interprétée; que cette prescription
de la part du législateur hébreu avait eu pour objet de compléter la séparation
entre son peuple et les autres nations; que dès lors on devait regarder le
vice de l'usure comme inhérent au caractère de tout vrai Juif, et comme tellement
enraciné que nulle puissance au monde ne parviendrait jamais à l'en extirper.
Les deux autres commissaires furent pris parmi les maîtres des requêtes:
M. Portalis, fils du ministre des cultes, fut
nommé le second, et moi le troisième. Lorsque nous eûmes à prendre connaissance
de nos instructions, il nous fut impossible (je parle pour M. Portalis et
pour moi) de ne pas croire que la pensée tout entière de l'Empereur n'avait
pas été pénétrée, qu'elle avait échappé à M. Molé et au Conseil d'État;
qu'il voulait évidemment faire sortir, de ce qui n'avait d'abord été considéré
que comme une mesure de rigueur, un grand acte de politique. Il ne s'agissait,
en effet, de rien moins, d'après les documents qui nous furent remis, que
de savoir des Juifs eux-mêmes si leur religion leur permettait d'accepter
réellement la qualité de citoyen dans le pays où on consentirait à les
accueillir comme tels; si cette religion ne contenait pas des prescriptions
qui leur rendaient impossible ou au moins très difficile une complète soumission
aux lois, si on pouvait enfin faire tourner au profit de là société tout
entière la fortune, l'industrie, les talents d'une population qui, jusqu'alors,
s'était tenue vis-à-vis d'elle dans un état d'inimitié manifeste.
En considérant les choses sous ce point de vue, il y avait nécessité
de faire subir aux Juifs un solennel examen, d'abord sur ce qu'ils croyaient
permis, et ensuite sur ce qu'ils croyaient défendu. Devait-on tenir pour
certain que la loi de Moïse permit aux Juifs d'exercer l'usure envers tous
ceux qui ne professaient pas leur culte? Pouvaient-ils renoncer à cette faculté
là où l'usure était interdite par les lois du pays? Leurs docteurs, leurs
rabbins, pouvaient-ils garantir sur ce point leur obéissance? Le service
militaire pouvait-il se concilier avec plusieurs observances de leur culte,
comme celle du sabbat, par exemple, et celle de certains jeûnes et de l'abstinence
de certains aliments? Pouvait-on se flatter qu'ils consentissent sincèrement
à prendre rang dans les armées françaises, toutes les fois qu'ils y seraient
appelés par la loi?
Ces deux difficultés étaient les principales à résoudre, et elles peuvent
donner une idée du parti que l'Empereur espérait tirer d'une assemblée jusque-là
sans exemple dans les annales du monde, depuis la dispersion de leurs tribus,
après la prise de Jérusalem et la destruction du Temple par Titus. Cette
assemblée, qui a passé presque inaperçue, était donc dans la réalité une
grande conception, et si ses résultats n'ont pas suffisamment répondu à l'idée
qu'on s'en était formée, si elle n'a laissé de son existence que des traces
peu profondes, il le faut attribuer principalement à la succession rapide
d'événements qui ont absorbé l'attention publique; et pourtant c'était un
spectacle bien intéressant que ces discussions dans une réunion d'hommes
ardemment dévoués à une religion dont le véritable esprit est si peu connu,
animés de sentiments si différents de ceux qui dirigent les nations chrétiennes.
On leur demandait d'examiner sérieusement jusqu'à quel point ils pouvaient,
en surmontant leurs habitudes les plus enracinées, prendre rang dans le
monde moderne, et participer, sans blesser leur conscience, aux avantages
de la civilisation européenne.
Je me livrai donc avec beaucoup d'ardeur aux soins si inattendus
qui m'étaient confiés. Au moment où je trace ces lignes, le souvenir de ce
premier pas vers la connaissance des hautes affaires humaines est encore
pour moi plein d'intérêt. La politique du conquérant avait certainement inspiré
Bonaparte dans cette entreprise. En cherchant, avec ce qu'il y avait de
plus éclairé dans la race juive, les moyens de la tirer de l'abjection dans
laquelle elle languissait depuis tant de siècles, il s'était dit probablement
qu'un tel bienfait attacherait à jamais cette race à sa fortune et que partout
où elle était répandue il trouverait des auxiliaires disposés à seconder
ses projets. Il allait entreprendre une nouvelle invasion en Allemagne qui
devait le conduire à travers la Pologne et dans les pays voisins, où les
affaires alors se traitaient presque exclusivement par l'intermédiaire des
Juifs; il était donc naturel de penser que nuls auxiliaires ne pouvaient
être plus utiles que ceux-là, et par conséquent plus nécessaires à acquérir.
Telle était sans doute la disposition de son esprit, lorsque sont
intervenus les décrets impériaux qui, dans le courant de l'année 1808,
ont statué sur l'organisation religieuse et sur l'exercice des droits civils
et politiques des Juifs dans toute l'étendue de l'Empire.
Mais bientôt le général victorieux ne tarda pas à croire que, marchant
à la tête de l'armée et de la nation française, il ne lui fallait d'autres
auxiliaires que son épée, qu'elle lui suffisait pour disposer du sort de
l'Europe, depuis les rives de la Néva jusqu'aux colonnes d'Hercule. L'affaire
des Juifs eut pour lui moins d'intérêt.
M. Molé, étant le premier dans l'ordre de la nomination, fut sans contestation
élu président de la commission. Le discours qu'il prononça à l'ouverture
de l'assemblée, le 29 juillet, était très hostile aux Juifs et n'était
pas fait pour leur donner confiance dans les dispositions du gouvernement.
Le choix des membres de l'assemblée (ils étaient au nombre de 112) avait
été confié, comme je l'ai dit, aux préfets des départements dans lesquels
les Juifs étaient assez nombreux pour que leur existence eût une réelle importance.
C'était d'abord dans les départements de l'Est, du Midi, notamment celui
qui avait Avignon pour chef-lieu, puis le département de la Seine, et ensuite
celui de la Gironde.
Les préfets avaient choisi, comme on devait s'y attendre, les Israélites
les plus considérés, et aussi ceux qu'ils avaient supposés les plus accommodants.
C'était principalement parmi ceux de Bordeaux qu'on avait espéré de trouver
et plus de lumières et les moyens d'influence dont on pourrait user avec
le plus de sécurité. Ces Juifs, généralement connus sous la dénomination
de « Juifs portugais », étaient censés descendre de la nombreuse colonie
juive établie, depuis des siècles, à l'embouchure du Tage.
Une des personnalités des plus marquantes était M. Furtado,
négociant fort estimé de la Gironde; on le choisit pour président de l'assemblée.
Il fut bientôt avéré que les Juifs portugais étaient suspects à tous leurs
coreligionnaires qui les considéraient comme des apostats. Le président
Furtado était plus qu'un autre en butte aux soupçons. On semblait croire
qu'il ne tenait à sa religion que par ce sentiment de respect humain qui
ne permet d'abandonner celle où l'on est né que dans le cas où l'on serait
entraîné par la plus forte des convictions. Or telle n'était pas la disposition
d'esprit de M. Furtado : l'indifférence philosophique faisait le fondement
de ses opinions. Les rabbins d'Alsace et ceux de l'ancien comtat d'Avignon,
auxquels appartenait le premier rang pour la science, disaient de leur président
qu'on voyait bien qu'il n'avait appris la Bible que dans Voltaire. Son influence
fut nulle sur une réunion d'hommes qu'animait la plus profonde conviction
religieuse. On les avait généralement supposés uniquement occupés dé leurs
intérêts pécuniaires, ne tenant à leur religion que par habitude, et surtout
en raison des commodités qu'elle accordait à leur conscience pour vivre aux
dépens de tous les pays qui les recevaient ou les souffraient. On se trouva
en présence d'hommes très supérieurs à la tourbe avec laquelle l'opinion
générale les confondait. Très soigneusement instruits de leur religion et
de ses principes, ils étaient fortifiés dans l'attachement qu'ils lui portaient
par l'animadversion qu'elle attirait sur eux; leur esprit très cultivé n'était
étranger à aucune connaissance humaine. Il ne fut donc plus permis de méconnaître
l'existence d'une nation juive dont jusqu'alors on n'avait aperçu que la lie,
et qui, par le soin qu'on avait apporté au choix des membres dont se composait
l'assemblée, parlait un langage digne d'être écouté.
Les questions posées par l'Empereur furent examinées avec une solennelle
lenteur. Cette hésitation ne pouvait manquer de lui déplaire, et elle fut
l'occasion de remontrances très vives de la part de M. Molé. C'était aller
directement contre le but que nous devions nous proposer. Une circonstance,
qui lui était personnelle, ajoutait encore à l'horreur que les formes de
son langage inspiraient à ceux qu'il avait mission de ramener. On tenait
assez généralement pour certain que son arrière-grand'mère, fille de Samuel
Bernard, célèbre financier de la fin du règne de Louis XIV, était d'origine
juive, et il n'était pas permis de douter que la grande fortune dont jouissait
sa famille ne vint presque entièrement de cette alliance. A la vérité, il
prétendait que le judaïsme de Samuel Bernard était une pure fiction, fondée
sur le hasard d'un nom de baptême plus usité, en effet, chez les Juifs que
chez les chrétiens.
Au bout de quelques semaines, nous n'étions pas plus avancés que
le premier jour; outre les difficultés de la matière et même en reconnaissant
sur presque tous les points la justice des propositions qui leur étaient
faites, les plus éclairés, les plus influents de l'assemblée disaient aux
commissaires que les déclarations qu'on leur demandait n'étaient pas seulement
embarrassantes pour eux et délicates pour leur conscience, mais qu'elles
seraient encore, suivant toute apparence, complètement inutiles; qu'ils n'avaient
aucune qualité pour commander l'obéissance à leurs coreligionnaires; que,
par cela même qu'ils avaient été choisis par le gouvernement, il n'était
pas possible de les considérer comme les représentants de la nation juive,
ayant droit de stipuler en son nom.
Plusieurs fois ils avaient prononcé le nom de l'ancienne réunion
de Docteurs connue sous la dénomination de Grand Sanhédrin; cette réunion,
disaient-ils, aurait eu seule le droit de prononcer sur de semblables matières,
alors que le peuple juif était constitué en corps de nation, et seule encore
elle pouvait avoir qualité pour en connaître.
Lorsque les commissaires rendirent compte à l'Empereur de ces observations,
il n'hésita pas à s'emparer de l'idée, et bientôt on sut qu'il se montrait
très disposé à autoriser la convocation dans Paris, d'un grand Sanhédrin,
composé autant que possible d'après les règles et suivant les formes imposées
par la loi de Moïse. Son intention était que toutes les synagogues de ses
vastes États et même de l'Europe fussent invitées à envoyer soit des Docteurs
pour faire partie de ce Sanhédrin, soit des députés pour s'unir à l'assemblée
déjà existante et dont les travaux continueraient de marcher parallèlement
à ceux de la réunion doctorale : alors, disait-il, on pourrait se flatter
d'avoir la représentation la plus légale tout à la fois de la religion et
de la nation juive; ce serait comme une résurrection de cette nation, qui
ne méconnaîtrait pas sans doute à quel point il lui importait de se rendre
digne d'un si grand bienfait.
On installa des conférences pour préparer les questions qui seraient
soumises au grand Sanhédrin; ces réunions furent longues et nombreuses.
On y agita une foule de questions religieuses, historiques et politiques,
dans lesquelles plusieurs rabbins déployèrent des connaissances fort étendues,
et quelquefois même, dans les matières qui touchaient à leur foi, une éloquence
pleine de chaleur et d'inspiration. Les rôles entre les commissaires restèrent
distribués comme ils l'avaient été précédemment: M. Molé toujours menaçant;
M. Portalis et moi nous efforçant de ramener, par des formes plus conciliantes,
les esprits que notre impétueux collègue ne cessait de cabrer. M. Portalis
brillait déjà dans ces discussions par cette érudition sage, appuyée sur
les meilleures autorités et pleine de bonne foi, dont il a donné tant de
preuves depuis. Cela faisait une impression d'autant plus grande sur ceux
qu'il s'agissait de persuader que sa position, comme fils du ministre des
cultes, semblait donner plus de poids à ses paroles; les commissaires étaient
en général fort touchés du désir sincère que je leur témoignais de voir
sortir de nos débats un résultat véritablement utile pour eux.
Un jour l'expansion de leur reconnaissance alla jusqu'à un point
qu'il me serait difficile d'oublier. C'était à la suite d'une des conférences
où M. Molé avait été plus amer encore que de coutume et où je m'étais efforcé
de détruire le mauvais effet de quelques-unes de ses paroles. Plusieurs
d'entre eux vinrent me trouver le lendemain, et ne sachant comment m'exprimer
leur gratitude, ils finirent par m'assurer qu'avant qu'il fût six mois, il
n'y aurait pas jusqu'à leurs frères de la Chine qui ne sussent ce que tous
les Juifs me devaient de reconnaissance pour le bien que je leur voulais
faire, et pour l'excellence de mes procédés envers eux.
Cette phrase m'a toujours semblé fort remarquable en ce qu'elle
manifeste jusqu'à quel point ces hommes, répandus sur la surface du monde,
à des distances si grandes, vivant sous des cieux si différents, et au
milieu de moeurs dissemblables, conservent de rapports entre eux, s'identifient
aux intérêts les uns des autres et sont animés d'un même esprit. En vérité,
quand on compare les résultats de la législation de Moïse, on est frappé
de stupéfaction en voyant combien la force des liens politiques et religieux,
dont il a su enlacer son peuple, a été grande, puisqu'une dispersion de vingt
siècles n'a pu les rompre. Ce fut surtout clans les discussions relatives
à l'usure que l'uniformité des croyances juives se manifesta d'une manière
frappante. Sur ce point, la décision des docteurs et des rabbins ne fut pas
un instant douteuse; contrairement à l'opinion émise dans le mémoire de M.
Molé, ils s'accordaient tous à regarder comme une injure imméritée la supposition
que l'usure exercée sur les étrangers était autorisée par la loi de Moïse.
« L'usure, disent-ils, est née parmi nous de notre malheureuse situation
au milieu du monde, de la nécessité où nous avons été réduits, depuis notre
dispersion, de travailler presque toujours à sauver les débris d'une fortune
dont on cherchait sans cesse à nous dépouiller. Dans cet état de guerre
perpétuelle avec toutes les sociétés, il est simple que nous ayons voulu
sauver tout ce que nous pouvions soustraire à nos persécuteurs, que nous
ayons profité de tous les avantages que nous offraient les besoins de ceux
au milieu desquels nous vivions, mais notre loi politique et religieuse
est tout à fait étrangère à ce résultat. Loin de là, elle ne contient sur
cette matière qu'une disposition dictée par le sentiment de fraternité qu'elle
s'est constamment efforcée de créer au milieu de nous. Pour établir une opinion
contraire, on a abusé d'un mot qu'on a mal compris et auquel on a donné
une interprétation d'autant plus fausse qu'elle suppose l'existence d'un
fait, d'une idée ignorée à l'époque où cette loi nous fut donnée.
« Alors, ce qu'on a appelé depuis l'intérêt légal de l'argent n'était
pas connu; dès lors, le mot d'usure ne pouvait se trouver dans la langue,
puisqu'il n'aurait rien eu à exprimer. Tous les intérêts tirés de l'argent
prêté étaient également légaux, à quelque taux qu'ils fussent portés; ce
taux dépendait uniquement de la volonté des contractants. De là vient ce
que, dans la langue hébraïque, il n'existe qu'un seul mot signifiant intérêt,
et aucun mot signifiant usure.
« Qu'a fait la loi de Moïse? Elle a défendu aux Juifs de tirer aucun
intérêt de l'argent qu'ils se prêtaient entre eux, et leur a seulement permis
d'en tirer de celui qu'ils prêteraient à des étrangers. Elle n'a pu distinguer
dans cet intérêt celui qui serait usuraire de celui qui ne le serait pas,
parce qu'alors cette distinction n'était pas connue. Il n'est donc pas
vrai qu'elle ait jamais permis l'usure envers les étrangers, tandis qu'elle
la défendait de Juif à Juif. On a dit de l'usure ce qui n'était vrai que
de l'intérêt, et on a fort mal à propos traduit par le mot usure celui qui
ne signifiait qu'intérêt. Telle est encore aujourd'hui, ajoutaient-ils,
la loi qui lie ou qui devrait lier les Juifs entre eux. Un Juif consciencieux
ne devrait tirer aucun intérêt de l'argent qu'il prête à un autre Juif, et
c'est ce que les interprètes rigoureux de la loi enseignent encore.
« Les opérations commerciales, auxquelles les Juifs ont été obligés
de se livrer d'un bout du monde à l'autre, ont rendu difficile la stricte
application de ce précepte, et sans doute la tolérance, dont les docteurs
n'ont pu se défendre à cet égard, a pu conduire le plus grand nombre des
Israélites à se figurer que, puisqu'il y avait une différence commandée
par la loi entre la manière de traiter avec le frère et avec l'étranger,
cette différence était celle de l'intérêt à l'usure. Une croyance aussi
commode pour leur cupidité a dû être facilement accueillie, et elle a dû
s'enraciner non moins aisément; mais, comme elle est contraire à l'esprit
et au texte de la loi, ce sera toujours pour les docteurs un devoir de la
combattre, lorsqu'ils seront interpellés à ce sujet. »
Il nous a été impossible de méconnaître, après tous les renseignements
qui nous furent donnés, que les Juifs, si avides dans l'industrie qu'ils
exercent, étaient toujours entre eux de la charité la plus exemplaire; que
presque nulle part on n'en voyait qui fussent réduits à implorer d'autres
secours que ceux de leurs coreligionnaires; que, pour ce qui n'était pas
affaire de commerce, c'est-à-dire pour tous les prêts qui avaient lieu de
Juif à Juif, quand il s'agissait de satisfaire aux besoins pressants de la
vie de l'un d'eux, il était presque sans exemple que les prêts portassent
intérêt. Enfin, il nous fut affirmé de manière que nous n'en pussions douter
que, lorsqu'un Juif sans ressources personnelles avait une affaire pressante
à suivre à une grande distance du lieu qu'il habitait, il pouvait se présenter
chez le rabbin ou chez le principal personnage de la communauté juive,
et que, sur l'exposé de ses besoins, un certificat lui était délivré à l'aide
duquel il pouvait traverser l'Europe jusqu'aux extrémités de l'Asie, accueilli
et défrayé par les Juifs qui, de distance en distance, se trouvaient sur
son passage, et qui partout le traitaient, non en pauvre qui arrache à la
pitié un léger secours, mais en frère avec lequel on partage ce qu'on a.
Nos idées furent rectifiées également sur la nature et l'étendue
des pouvoirs des rabbins. Comme nous insistions beaucoup sur l'étendue de
ces pouvoirs et sur l'usagé que nous les pressions d'en faire, dans la
persuasion où nous étions que, donnés par Dieu même aux serviteurs du Temple,
ils devaient avoir une autorité considérable sur l'esprit d'un peuple dont
le gouvernement, sous beaucoup de rapports, pouvait être considéré comme
théocratique, ils nous dirent que c'était une erreur qu'il leur importait
de redresser. Ils établirent, d'une manière positive et d'après les autorités
les plus irrécusables, que toute filiation de la tribu de Lévi était entièrement
perdue depuis la dernière dispersion; que dès lors il n'existait plus parmi
eux de sacerdoce, puisque le sacerdoce était inhérent à cette tribu, et
qu'ainsi toute puissance sacerdotale était anéantie parmi eux. C'est sans
doute un des faits les plus extraordinaires dans l'histoire de ce peuple
si fidèle à ses souvenirs, si attaché à ses usages civils et religieux, que
la perte absolue d'une filiation aussi précieuse et qui aurait dû être l'objet
de précautions d'autant plus scrupuleuses qu'à sa conservation seule tenait
la possibilité de remplir encore, à une époque quelconque, les plus saintes
cérémonies du culte juif.
Qu'on suppose, en effet, le temple de Jérusalem rebâti, ce que doit
toujours espérer tout bon Israélite, le sanctuaire de ce temple devrait
rester inhabité, le sacrifice ne pourrait s'y accomplir, à moins qu'un miracle
du Dieu qui a donné la loi sainte sur le mont Sinaï ne vînt révéler les
véritables descendants de cette tribu.
S'il n'y a plus de lévites, de prêtres, ni de pontifes, que sont
donc. les rabbins? Pas autre chose que des docteurs acceptés par leurs coreligionnaires
pour réciter des prières et accomplir certaines formalités religieuses,
et quelquefois judiciaires, pour lesquelles, dans la Judée même et au temps
où la loi était le mieux observée, les anciens de chaque famille étaient
jugés suffisants. Considérés sous cet aspect, il est aisé de comprendre que
l'influence de ces rabbins, fondée sur l'estime, ne peut rien obtenir que
de la confiance, et comment il était impossible à ceux qui faisaient partie
de notre assemblée de prétendre imposer leur avis par voie d'autorité. Une
telle situation explique donc très suffisamment les ménagements qu'ils se
crurent obligés de garder et qu'on n'avait pas d'abord compris.
Cette autorité des docteurs, la seule qui ait milieu des Juifs,
depuis leur dispersion, l'unique lien qui les tienne unis dans la foi,
est un phénomène tout à fait digne d'attention. De cette autorité est sorti
un supplément à la loi de Moïse, connu sous le nom de Talmud; c'est un recueil
assez indigeste composé d'interprétations, souvent fort hasardées, du texte
sacré. Il a soulevé de nombreuses controverses et donne encore lieu à beaucoup
de disputes; on leur attribue en grande partie le relâchement de la morale
des Juifs. Les rabbins, en général, faisaient peu de cas des Talmudistes;
tout en reconnaissant le mérite de quelques-uns d'entre eux, ils paraissaient
les regarder comme fort dangereux.
On finit par obtenir de l'assemblée des réponses satisfaisantes
à toutes les questions qui lui avaient été adressées. Le 18 septembre ,
les commissaires impériaux vinrent annoncer que Sa Majesté Impériale voulant
que ces réponses prissent, aux yeux des Juifs de tous les pays et de tous
les siècles, la plus grande autorité possible, elle avait résolu de convoquer
un grand Sanhédrin, dont les fonctions consisteraient à convertir en décisions
doctrinales les réponses déjà rendues par l'assemblée provisoire, ainsi
que celles qui pourraient résulter de la continuation de ses travaux.
Cette communication fut reçue avec enthousiasme, et, dans les jours
qui suivirent, toutes les mesures nécessaires pour obéir à la nouvelle
volonté de l'Empereur furent discutées, adoptées et exécutées avec autant
de sincérité que d'empressement. Conformément à l'ancien usage, le nombre
des membres du grand Sanhédrin avait été fixé à 71, sans compter son chef.
Tous les rabbins déjà siégeant dans l'assemblée, et ils étaient
au nombre de 17, furent appelés à en faire partie. On en demanda 29 autres
aux synagogues de l'Empire français et du royaume d'Italie; 25 membres enfin,
devant être pris parmi les simples israélites, furent choisis par l'assemblée,
dans son propre sein, au scrutin secret. Les lettres et instructions nécessaires
furent aussitôt envoyées aux synagogues françaises et italiennes.
L'assemblée adressa en même temps à tous ses coreligionnaires de
l'Europe une proclamation pour leur apprendre le merveilleux événement de
la convocation d'un grand Sanhédrin, et les engager à s'entendre afin d'envoyer
à Paris des hommes connus par leur sagesse, par leur amour de la vérité
et de la justice. L'effet de cette proclamation ne répondit point à ce qu'on
en avait attendu, et il fut à peu prés nul dans les pays situés hors de l'Empire
français, du royaume d'Italie et de quelques contrées où l'influence française
se faisait sentir.
Restait à obtenir de l'assemblée qu'elle reconnût la nécessité d'une
organisation dans l'exercice de son culte, et il fallait l'amener à concourir
à cette organisation. Or c'était l'entreprise qui devait lui répugner le
plus, parce qu'il était impossible qu'elle ne s'aperçût pas qu'il n'y en
avait aucune où la soumission de ses coreligionnaires fût plus difficile à
obtenir. N'était-il pas sensible, en effet, que le gouvernement ne manquerait
pas de profiter de cette occasion pour s'immiscer plus ou moins dans le régime
intérieur des synagogues, et pour s'attribuer le droit de surveiller la
conduite des rabbins? Or, aux yeux de ceux-ci, c'était, en quelque sorte,
porter la main sur l'Arche sainte.
Malgré toutes ces difficultés, augmentées par les dispositions peu
bienveillantes du président, il fallait cependant trouver une solution.
Nous nous résolûmes, M. Portalis et moi, à une tentative qui fut couronnée
d'un plein succès. Étant assuré d'un jour où M. Molé serait absent de Paris,
nous en profitâmes pour réunir chez M. Portalis le plus grand nombre possible
d'hommes influents, et là, après une séance qui dura plus de six heures,
nous parvînmes, à force de bons raisonnements et de douces paroles, à leur
faire adopter un projet de règlement aussi bon que nous pouvions le désirer.
L'assemblée générale l'adopta peu de jours après. Un arrêté fut
pris en même temps pour supplier Sa Majesté Impériale de donner sa sanction
à ce règlement et de vouloir bien concourir au payement des rabbins; on
lui demandait encore, ce qui ne pouvait que lui être très agréable, de daigner
faire connaître, aux autorités locales de l'Empire et du royaume d'Italie,
que son intention était qu'elles se concertassent avec les consistoires
pour achever de détruire l'éloignement que semblait avoir la jeunesse israélite
pour le noble métier des armes, et obtenir ainsi sa parfaite obéissance
aux lois de la conscription.
L'ouverture du grand Sanhédrin ne put avoir lieu que le 9 février
1807; les plus distingués, parmi les nouveaux élus, arrivèrent presque
tous du royaume d'Italie, notamment des provinces qui avaient fait partie
des anciens États vénitiens. Dès le 9 mars, on vit paraître un acte, par
lequel les docteurs de la loi et notables d'Israël réunis faisaient connaître
qu'ils s'étaient constitués en grand Sanhédrin, afin de trouver en eux
les moyens et la force de rendre des ordonnances religieuses conformes aux
principes de leur sainte loi et pouvant servir d'exemple et de règle à tous
les Israélites. Ils déclaraient « que cette loi contenait des dispositions
religieuses et des dispositions politiques; que les premières étaient absolues;
mais que les dernières, étant destinées à régir le peuple d'Israël dans
la Palestine, ne pouvaient être applicables depuis qu'il ne formait plus
un corps de nation. Ainsi la polygamie permise par la loi de Moïse, n'étant
qu'une simple faculté et hors d'usage en Occident, devait être considérée
comme interdite. En France, l'acte civil du mariage devait précéder l'acte
religieux. Nulle répudiation ou divorce ne pouvait avoir lieu que suivant
les formes voulues par les lois civiles. Les mariages entre Israélites et
chrétiens devaient être considérés comme valables. La loi de Moïse obligeant
de regarder comme frères tous les individus des nations qui reconnaissaient
un Dieu créateur, tous les Israélites devaient exercer, comme un devoir
essentiellement religieux et inhérent à leur croyance, la pratique habituelle
et .constante, envers tous les hommes reconnaissant un Dieu créateur, des
actes de justice et de charité prescrits par les Livres saints. Tout Israélite,
traité par les lois comme citoyen, devait obéir aux lois de la patrie et
se conformer, dans toutes les transactions, aux dispositions des codes qui
y étaient en usage. Appelé au service militaire, il était dispensé pendant
la durée de ce service de toutes les observances religieuses qui ne pouvaient
se concilier avec lui. Les Israélites devaient de préférence exercer les
professions mécaniques et libérales et acquérir des propriétés foncières,
comme autant de moyens de s'attacher à leur patrie et d'y mériter la considération
générale.
« Conformément à la loi de Moïse, l'usure était indistinctement
défendue, non seulement d'Hébreu à Hébreu et d'Hébreu à concitoyen d'une
autre religion, mais encore avec les étrangers de toutes les nations, cette
pratique étant une iniquité abominable aux yeux du Seigneur. »
Il eût été difficile à quelque jurisconsulte et moraliste que ce
fût de développer cette dernière prescription avec plus de soin et de force.
Cet acte si énergiquement conçu avait été adopté à l'unanimité. L'assemblée
générale s'empressa de joindre à cet acte une adresse à l'Empereur et un
arrêté, destinés l'un et l'autre à en assurer et à en compléter l'effet.
Elle amena naturellement l'expression du voeu que, rassurée par l'heureux
effet que devait produire; pour la répression des abus, l'ensemble des décisions
qui venaient d'être prises d'une manière si imposante, Sa Majesté daignât
considérer, dans sa haute sagesse, s'il ne conviendrait pas de mettre un
terme à la suspension des actions hypothécaires, dans les départements frappés
par le décret du 30 mai, et si ce terme ne devait pas se rencontrer avec
l'expiration du sursis que ce décret avait prescrit.
Elle exprima donc le désir que Sa Majesté voulût bien prendre les
mesures qu'elle croirait les plus efficaces pour empêcher qu'à l'avenir
quelques Israélites, au moyen des hypothèques qu'ils seraient dans le cas
de faire inscrire; ne portassent clans les fortunes des désordres semblables
à ceux dont on s'était plaint, et dont trop souvent la honte et le châtiment
avaient rejailli sur tous leurs coreligionnaires. Jamais plus d'efforts n'avaient
été tentés, avec des intentions plus franches et plus sincères, pour arriver
à une réforme depuis si longtemps désirée par tous les esprits éclairés;
mais jamais aussi une pareille occasion n'avait été offerte à la race juive
depuis sa dispersion; bien des siècles peut-être s'écouleront, avant qu'il
se produise une circonstance aussi favorable pour elle.
L'Empereur, détourné par des pensées politiques de l'affaire qui
l'avait longtemps préoccupé, négligea de profiter des ouvertures qui lui
furent faites. Un nouveau sursis vint s'ajouter à celui dont le décret du
30 mai 1806 avait frappé les créances juives; la notification qui en fut
faite par une simple circulaire ministérielle
jeta un grand découragement dans l'esprit de la population juive.
Suivant les ordres que nous avions reçus, le grand Sanhédrin fut
dissous le 6 avril 1807; les projets de décret furent soumis à la discussion du Conseil d'État.
Les idées de l'Empereur s'étaient modifiées dans un sens défavorable aux
Juifs, sans doute par suite de l'impression produite sur lui par les populations
juives de l'Allemagne et de la Pologne. Le système de M. Molé devait triompher,
malgré les efforts de M. Portalis et les miens. Nous parvînmes cependant
à faire sanctionner, sans y rien changer, le règlement que nous avions eu
tant de peine à faire adopter pour l'organisation du culte juif et pour sa
police intérieure dans l'étendue de l'Empire français et du royaume d'Italie.
Les dispositions destinées à régler les effets du sursis vinrent
du quartier général de l'Empereur, après un long retard; elles étaient d'une sévérité qui, je ne crains
pas de le dire, outrepassait toutes les règles de l'équité.
J'ai terminé ce que je voulais raconter sur ce singulier et intéressant
épisode de mon début dans la carrière politique. Il fut très instructif,
non pas seulement par les choses positives qu'il m'a mis dans le cas d'apprendre,
mais encore par l'aperçu qu'il me donna sur la manière dont se suivaient
ou se terminaient les affaires avec l'homme que le destin avait placé si
haut au-dessus de nos têtes. Ce me fut un premier avertissement qu'il y avait
plus d'incertitude et d'instabilité qu'on ne croyait dans ses plans et ses
résolutions. Et cependant, ainsi qu'il n'appartient qu'au génie, ses idées,
même fugitives, laissaient des traces profondes; il est resté de ce grand
mouvement deux actes importants l'organisation en France de la société juive
et la déclaration doctrinale du grand Sanhédrin.