Le moniteur Universel
du 25 juillet 1806
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MÉLANGES.
HISTOIRE
Recherches sur l'état politique et
religieux des Juifs
depuis Moyse jusqu'à présent.
L'objet de cet écrit étant
de faire connaître la situation politique et morale des juifs
clans ce siècle, et cette situation devant être le
résultat, tant de la première loi qu'ils ont reçue
que des diverses doctrines qu'ils ont écoutées , et de
tous les faits qui composent leur histoire, on s'est prescrit la
méthode suivante : 1° on suit tous les progrès de
leur dispersion : on examine comment elle s'est opérée,
quels lieux ils ont habités , et quelle existence ils ont
obtenue ; 2° on recherche sous quelles lois ils ont plus
particulièrement vécu en France depuis le dix-septième
siècle jusqu' à présent; 3° on essai: de
faire l'histoire de leur législation , considérée
sous de certains rapports; c'est-à-dire qu'après avoir
cite les dispositions de la loi de Moyse qui ont pu concourir à
les isoler des autres nations , et a former leurs sentiments à
l'égard des étrangers , on fait connaître les
différentes sectes qui les ont divisés, les maximes de
leurs rabbins sur les mêmes sujets et le degré
d'autorité qu'ils leur accordent.
Après la captivité de Babylone, les seules tribus de
Benjamin et de Juda retournèrent a Jérusalem, et sous
la conduite d'Esdras y rétablirent le temple ; les dix autres
tribus ne voulurent point abandonner leurs nouveaux établissements
et elles demeurèrent au-delà de l'Euphrate où le
vainqueur les avait transportées. Lorsqu'Alexandre-le-Grand
passa d'Europe en Asie, il les trouva qui remplissaient l'Empire des
Perses; il en envoya bientôt une colonie en Égypte; mais
il respecta Jérusalem et lui laissa ses habitants (1).
Ptolémée, un de ses successeurs, augmenta cette
colonie qui ne tarda pas a devenir considérable par ses
richesses et par le nombre d'individus qui la composaient (2).
Depuis le retour des Juifs en Judée jusqu'à la
prise de Jérusalem par Titus, on ne les voit pas se répandre
dans de nouvelles contrée; occupés a se défendre,
ou à se maintenir , tantôt ils forment des alliances
avec les rois d'Égypte et d'Asie, même avec les Romains;
tantôt ils leur font la guerre et sont tour-à-tour
vaincus et vainqueurs. Déjà ils n'offraient plus de
trace de cette versalité de leurs aïeux qui leur avait
fait abandonner si souvent leurs lois et leurs coutumes pour
emprunter le culte et les mœurs du peuple qu'ils avaient
soumis. Ici les alliances et les rapports qu'ils ont avec les nations
étrangères n'ont plus les mêmes suites, et ce
peuple si inconstant dans sa foi, si léger dans ses goûts,
ne change plus de caractère ni de croyance du moment où
sa puissance est ébranlée et que sa prospérité
diminue (3). Cependant, lorsque Pompée prit
Jérusalem , il emmena captif à Rome un certain nombre
de de ses habitants; c'est la première fois qu'il parut des
juifs en Italie: ils furent tous classés parmi les affranchis;
ils conservaient leur religion, et tous les ans ils envoyaient à
Jérusalem leurs offrandes ; ils habitaient tous un même
quartier au-delà du Tibre, ce qui semble faire remonter bien
haut l'origine des Juiveries. Après la mort d'Hérode,
ceux de Judée ayant envoyé à Auguste des
ambassadeurs, ils trouvèrent à Rome huit mille de leurs
frères, saur compter les femmes et les enfants; ce qui suppose
qu'il existait alors à Rome vingt mille individus juifs.
Auguste les protégea pendant tout le cours de son règne
; plusieurs cultivèrent les lettres latines, et l'on sait que
Fuscus Aristius, poète et ami d'Horace, était un
affranchi juif. Il paraît qu'ils jouissaient du droit de
bourgeoisie lorsque Tibère, mécontent d'eux, en relégua
quatre mille dans l'île de Sardaigne. Caligula ne les aima
point. Claude commença par les tolérer tout en fermant
les synagogues ; mais, fatigué des disputes qui s'élevèrent
entre eux et les premiers chrétiens, il se débarrassa
des uns et des autres en des bannissant à la fois de son
Empire. Sous Néron ils se rétablirent à Rome, y
exercèrent publiquement leur culte et y jouirent même
d'une certaine considération. Les chroniques juives publient
qu'après la ruine de Jérusalem, Titus transporta et.
Espagne les tribus de Juda et de Benjamin, que cette dernière
étant passée en France, celle de Juda resta seule en
Espagne (4) Ce qu'il y a de certain, c'est que
Vespasien les astreignit, quelque pays qu'ils habitassent, à
payer au Capitole le tribut le deux drachmes par individu, qu'ils
avaient coutume d'envoyer a leur temple. C'est aussi à dater
de cette époque qu'on en rencontre dans une foule de lieux où
ils n'avaient point encore pénétré. L'Univers
alors ne formait qu'un vaste Empire où régnait un
empereur païen; aussi longtemps que dura cet Empire, le sort des
juifs éprouva presque les mêmes vicissitudes que celui
des chrétiens. Le paganisme, qui les confondait dans son
mépris , les confondait dans les injures, et les épargnait
ou les persécutait à-la-fois.. Ainsi. sous Domitien les
chrétiens et les juifs se trouvèrent enveloppés
dans la même proscription. Nerva leur fut moins contraire.
C'est sous son règne que parut en Judée le premier
patriarche : car les juifs, depuis leur dispersion, s'étaient
divisés en juifs d'Occident et juifs d'Orient. Les premiers
étaient ceux qui habitaient la Judée, l'Égypte,
l'Italie et quelques autres parties de l'Empire romain ; les juifs
d'Orient comprenaient ceux de Babylone, de la Chaldée, de
l'Assyrie et de la Perse. Ceux d'Occident se donnèrent un chef
dont l'autorité s'étendait sur toutes leurs synagogues,
et qu'ils appelèrent patriarche; et ceux d'Orient se donnèrent
un semblable chef qui fut appelé Prince de la Captivité.
Trajan envoya une armée contre ceux qui s'étaient
révoltés et avaient massacré tous les autres
habitants ; ou en tua un si grand nombre qu'on fut obligé de
repeupler le pays avec de nouvelles colonies, cela n'empêcha
pas que l'année suivante , en Mésopotamie et dans l'île
de Chypre , ils ne tinssent la même conduite et ne
s'attirassent le même châtiment. Jamais ils ne furent si
misérables que pendant le règne d'Adrien; la plupart
gagnaient leur vie en disant la bonne aventure, et en enseignant la
magie. Adrien leur interdit la circoncision et presque toutes les
cérémonies de leur culte. Ils essayèrent de se
révolter en Judée; mais ils furent aisément
soumis , et on n'en laissa plus qu'un très-petit nombre
habiter des ruines de peur ancienne patrie. Antonin les ayant traités
avec douceur, Marc-Aurèle eut bientôt à s'en
plaindre , et il ne tarda pas à renouveler contre eux toutes
les lois d'Adrien. L'Empereur Sévère leur accorda
toutes sortes de privilèges. C'est lui qui commença à
ne plus les confondre avec les chrétiens, et lorsqu'il
persécuta ces derniers, les juifs en profitèrent pour
les humilier; c'est a peu près vers le même temps que
l'on apprend qu'ils étaient passés d'Égypte à
Carthage, et qu'ils y avaient assez d'autorité pour faire
supporter beaucoup de vexations aux chrétiens. Caracalla était
monte sur le trône, les protégea : en tout ils goûtèrent
un profond repos jusqu'à Constantin , et demeureront
tranquilles spectateurs de ces persécutions contre les
chrétiens, qui furent comme les derniers efforts du
paganisme.
Sous les empereurs chrétiens,
le sort des juifs varia selon le génie ale ces princes,
Constantin commença par apporter quelques restrictions à
la liberté dont ils jouissaient ; mais leur humeur inquiète
et remuante l'obligea de rendre contre eux plusieurs édits. On
en remarque un où il leur reproche de lapider et de jeter au
feu ceux de leurs frères qui paraissent ébranlés
dans leur croyance. Une persécution violente qu'ils excitèrent
eu Perse contre les chrétiens, et des révoltes
multipliées sur divers !oints de l'Empire obligèrent
Constance a tourner ses armes contre eux. Il finit par leur défendre
l'entrée de Jérusalem. Quant à Julien, ils
s'attirèrent sa bienveillance à titre d'ennemis des
chrétiens; lorsqu'ils en eurent obtenu la permission de
rebâtir leur temple, ils se mirent à les persécuter;
ils renversèrent leurs églises et détruisirent
tous les objets de leur culte : mais leur temple ne se releva point,
car Jovien ayant succédé à Julien, fut bientôt
contraint de réprimer leur insolence. Ils demeurèrent
paisibles sous Valens, Valentiunien et Acadien. Théodose leur
accorda une juridiction particulière, à cause de la
multitude de procès qu'ils avaient avec les chrétiens.
Il établit un prêteur faisant les fonctions de juge
impérial , qui habitait parmi eux , et devant lequel seul ils
pouvaient être cités. Il reconnut par une loi expresse
l'autorité de leurs magistrats ecclésiastiques ,
c'est-à-dire de leurs docteurs ; enfin , l'an 429 de notre
ère, il abolit parmi eux la dignité de patriarche que
nous leur avions vu créer sous Nerva. Honorius, qui occupait
l'autre partie de l'Empire , traita les juifs avec beaucoup de
douceur et d'équité: il défendit en même
temps de détruire aucune synagogue et d'en bâtir de
nouvelles. Sous sa domination les juifs devinrent puissants dans
l'île de Minorque; ils pouvaient y devenir comtes et remplir
tous les emplois civils. D'un autre côté, ils n'eurent
rien à souffrir des Vandales lorsqu'ils arrivèrent en
Afrique ; à Rome Valentinien confirma tous leurs privilèges;
les Goths ayant inondé l'Italie leur accordèrent la
même protection; Théodoric les défendit de la
haine des Chrétiens et les maintint dans toute la liberté
dont ils jouissaient ; c'est ainsi que les juifs achevèrent le
cinquième siècle dans l'Empire romain , haïs des
peuples et protégés par les empereurs et lus
conquérants. Les dix tribus éprouvèrent un autre
sort; en Perse, elles furent en butte à une persécution
qui dura 73 ans. Le sixième siècle s'ouvrit pour elles
sous les mêmes auspices ; Cavade, roi de Perse, et
Choroës-le-Grand en firent périr autant que de Chrétiens.
Si l'on en croit quelques historiens grecs , ils s'étaient
attirés leurs malheurs. "Cette nation , dit l'un d'eux
(5), infidèle, inquiète, impérieuse
, jalouse , curieuse, implacable, était alors assez puissante
en Perse pour soulever les peuples contre les princes , et pour
fortifier les rebelles , parce qu'elle s'y était extrêmement
multipliée et qu'elle avait amassé des richesses
immenses."
Au commencement du 7e
siècle Mahomet parut dans l'Orient, D'abord il s'entendit
assez bien avec les Juifs, qui furent tentés de le prendre
pour le Messie qu'ils attendent. Les dix tribus passèrent avec
toutes ces contrée, sous l'empire des Musulmans. Les Arabes
affectaient une grande tolérance ; les juifs s'en virent
accueillis et protégés. Sous les premiers califes ils
ouvrirent leurs académies ; elles fleurissaient sous Mahomet
et sous Omar. En Égypte et en Syrie ils vécurent de la
même manière sous la domination des Ommiades.
Ils n'étaient pas aussi heureux à Constantinople; vers
le milieu du 6e siècle Justinien y troublait les Chrétiens
et les Juifs dans l'exercice de leurs religions. Il défendit
aux magistrats de recevoir le témoignage des juifs contre les
Chrétiens , et il leur ôta la faculté de disposer
de leurs biens par donation ou par testament: ailleurs il les
obligeait à se convertir. A Boriurn , ville d'Afrique où
ils étaient puissants , il consacra au culte chrétien
un temple magnifique qu'ils avaient élevé. Les règnes
de Justin , de Maurice , leur furent favorables. Phocas envoya une
armée contre ceux de Syrie qui s'étaient révoltés
, et avaient mutilé l'évêque d'Antioche et égorgé
tous les Chrétiens. C'est alors que l'on vit Grégoire-le-Grand
les protéger dans tout le monde chrétien. Ce pontife
les respectait comme les témoins et la preuve vivante des
vérités du Christianisme , et il les considérait
comme destinés à l'embrasser un jour. Aussi ne
cessa-t-il de travailler à leur conversion par toutes les
voies de la persuasion et de la douceur. Mais Héraclius leur
porta une haine si vive, que non content de les persécuter
dans son Empire , il écrivit en France pour qu'on les obligeât
à se convertir , et il engagea Sisebut , roi d'Espagne, à
les chasser de ses États. Plusieurs conciles assemblés
successivement à Tolède, blâmèrent et
approuvèrent la conduite de Sisebut. Quoi qu'il en soit , les
juifs qui ne changèrent pas de religion furent obligés
de sortir des terres sous la domination des Goths.
C'est dans le 6e siècle qu'on en rencontre en France pour la
première fois. L'an 540 , Childebert rendit une ordonnance qui
leur défendait de paraître dans les rues de Paris depuis
le jeudi saint jusqu'au dimanche de Pâques. Le concile
d'Orléans tenu la même année fit un semblable
règlement ; ce qui montre que déjà ils
commençaient à se répandre. Dans les diocèses
d'Uzez, de Clermont, ils étaient nombreux , et les évêques
les protégeaient contre le peuple , toujours disposé à
se soulever contre eux. On voit qu'il y en avait à Bourges. Le
roi Chilpéric, qui les trouva riches et considérables
dans son royaume de Paris et de Soissons , entreprit de les
convertir. Lunel en languedoc, qui dépendait alors de
l'Espagne, possédait une de leurs plus fameuses académies.
Dagobert, qui réunit toute la France sous sa domination , leur
ordonna d'en sortir ou de se faire Chrétien. Wamba, roi des
Goths , en fit autant dans la Gaule Narbonnaise.
Lorsque le 8è siècle commença, le calife
Abdul-melec régnait dans l'Orient, et usait de beaucoup de
tolérance à l'égard des Juifs et des Chrétiens.
En général ils n'eurent point à se plaindre des
Abascides qui prirent la place des Ommiades. Cependant l'imam Giala ,
surnommé le Juste, ne les aima point ; il déclara
même que ceux qui se feraient Musulmans hériteraient de
toute leur famille. Cette loi fut exécutée à la
rigueur, et ce nouveau genre de persécution en fit abjurer un
très-grand nombre. Bientôt après on vit arriver
d'Europe en Perse, avec le caractère d'ambassadeur,. un Juif
qu'envoyait le plus puissant monarque de la Chrétienté
; c'était vers l'an 756. Aaron, aussi surnommé le
Juste, l'un des plus grands princes qu'aient eu les Arabes, et
l'un des plus grands hommes qu'aient vu l'Orient, venait d 'être
élevé au califat. Charlemagne qui régnait en
France avait appris tout ce que la renommée publiait de ce
prince ; il résolut de lui envoyer une ambassade, à la
tête de la-quelle il plaça le juif Isaac. La commission
était importante et délicate ; il s'agissait de former
une alliance avec Aaron , et de lui faire opérer en Orient une
diversion qui empêchât qu'on ne disputât plus à
Charlemagne la partie de l'Occident qu'il avait conquise. Isaac se
conduisit avec tant d'habileté , qu'il réussit
complètement dans son entreprise. Au moment où
Charlemagne se faisait couronner à Rome empereur d'occident ,
Aaron s avança sur les frontières de l'Empire et
s'attira sur les bras Constantin qui allait attaquer le nouvel
empereur (6). Voilà ce semble le rôle
le plus important qu'aucun juif ait joué depuis leur
dispersion.
Les Juifs eurent quelquefois
tant de faveur auprès des successeurs d'Aaron , qu'ils
administrèrent leurs finances ; quelquefois aussi on en
revenait à les maltraiter.. Motakavel les assujettit à
porter une ceinture de cuir. et à ne monter que des ânes
et des mulets; les Turcs n'ont pas encore cessé de leur
imposer ce genre d'humiliation. Dès ce temps-là les
juifs se livraient à des spéculations mercantiles,
desquelles on leur reproche de s'être trop-emparé parmi
nous.. Au rapport des historiens , Abdalla , lorsqu'il faisait la
guerre aux Chrétiens , en avait à sa suite un nombre
considérable auquel il vendait les vases des églises et
tous les meubles qu'il pillait. On ne voit pas trop ce qu'ils
devinrent à cette époque , tant en Italie qu'en
Espagne.. En France,. Charlemagne leur accorda de la considération.
Quelques uns d'entre eux entrèrent si avant dans la confiance
de Louis-le-Débonnaire , que les courtisans s'en faisaient
protéger auprès de lui. Sous Charles-le-Chauve ils se
maintinrent Le fameux Sédecias, magicien , médecin de
Louis-le-Débonnaire et de Charles-le-Chauve , et qui
empoisonna ce dernier, était aussi de leur nation.
Pendant qu'au 10° siècle l'Europe paraissait plongée
dans les ténèbres de l'ignorance, en Asie la
civilisation faisait de nouveaux progrès. Les Juifs mêmes
y avaient pris des Arabes le goût des sciences et des lettres,
et ils les cultivaient. Mais la division s'étant mise parmi
eux à cause de leurs diverses doctrines, leurs académies
tomberont en ruines et bientôt elles disparurent. Dans la
suite, les croisés venus d'Europe en firent périr un
grand nombre , et lorsque les Turcs eurent substitué leurs
sultans aux califes , ils achevèrent de les chasser et de les
pousser dans l'Occident.
Les guerres qui
dans le même temps troublèrent l'Espagne y laissèrent
respirer les Juifs : aussi eurent-ils alors plusieurs rabbins
célèbres; l'un d'eux, nommé Samuel Lévi,
étant devenu secrétaire et ministre d'état du
roi de Grenade, ne manqua pas de se servir de son crédit pour
protéger tous ses frères. Mais un autre rabbin s'étant
mis à vouloir convertir les Musulmans, le roi de Grenade le
fit pendre et commença à persécuter les quinze
cents familles juives que renfermaient ses états, d'autant
plus qu'elles avaient amassé de grands biens.
Ferdinand ayant déclaré la guerre aux Sarrasins , ses
peuples le supplièrent de faire main basse sur tous les juifs
avant d'entrer en campagne : il allait y consentir lorsque les
évêques d'Espagne s'y opposèrent si fortement
qu'ils prévinrent cet horrible massacre. Le pape Alexandre II
leur écrivit pour les féliciter de cette conduite.
Alphonse, uniquement occupé. à repousser les Maures,
favorisa les juifs dont il tirait de très grosses sommes. Il
alla jusqu'à les donner pour juges aux Chrétiens, et
s'attira par là une lettre de Grégoire VII qui lui
reprochait son injustice.
Pendant le 11°
siècle, les juifs d'Espagne parurent faire encore quelques pas
vers la civilisation. Ils comptèrent plusieurs savants rabbins
qui leur permirent d'étudier les sciences et les langues
étrangères.
En Allemagne les
juifs se multipliaient tous les jours: ils avaient des synagogues à
Trèves, à Cologne, à Mayence; on en trouvait en
Bohème, en Franconie en Hongrie. Au moment de la croisade, ils
eurent une persécution générale à
souffrir dont beaucoup furent les victimes;. Dans le siècle
suivant, benjamin de Tudèle, homme célèbre parmi
eux, entrepris un voyage auprès de frères d'Orient et
d'Occident. Il avait pour objet de connaître quelle était
leur existence, et voici à-peu-près ce qu'il raconte.
Sur les bords de l'Euphrate il reconnu la synagogue d'Esdras; dans
l'ancienne Ninive il vit sept mile de ses frères ; a Bagdad il
les trouva qui vivaient tranquillement sous la protection du calife
Mortanged. Il assure qu'ils avaient encore un chef de la captivité
, quoique cette dignité eut été abolie cent ans
auparavant; mais que ce chef tenait toute son autorité du
calife. Un grand nombre de Juifs habitaient autour de Babylone; ils
montrèrent à Benjamin le palais de Nabuchodonosor
désert et abandonné aux reptiles. benjamin passa en
Égypte et il les y trouva fort nombreux; il visita aussi la
terre de Gessen :, il y rencontra encore plusieurs de ses frères,
et crut y apercevoir des traces du séjour de ses aïeux.
Mais Jérusalem ne renfermait pas plus de deux cents Juifs, et
il n'y en avait presque pas dans tout l'étendue de la
Terre-Sainte. En Grèce il en vit deux cents qui s'étaient
retirés sur le Mont-Parnasse, et qui y vivaient de quelques
légumes qu'ils y cultivaient. Il y en avait en Corinthe, à
Thèbes, occupés à la fabrication des soieries et
aux teintures. Constantinople en comptait deux mille, ,et cinq cents
Caraïtes relégués dans le faubourg de Pera.
Lorsque Benjamin arriva à Rome, le juif Jehïel était
surintendant des finances du pape. De plus ils étaient
répandus dans toute l'Italie, à Capoue, à Naples
et jusqu'en Sicile. Il trouva ceux d'Allemagne qui attendaient tous
les jours le Messie ; enfin il trouva plusieurs synagogues en France
, savoir à Lunel , à Arles , à Marseille et à
Paris. Il parait que dans ce temps tous les juifs commençaient
à s'affliger de ne pas voir paraître le .Messie.
Cependant vers la fin du 11° siècle , les Juifs de France
étaient une propriété du seigneur; ils faisaient
partie de leurs domaines , et leur payait de grosses redevance; on
les vendait , les revendiquait; on les hypothéquait à
ses créanciers, et il y avait des actions d e complainte
contre ceux qui en troublaient la possession . A Paris comme à
Rome on les relégua dans des quartiers à part , qu'on
appela pour cette raison Juiveries. Philippe 1er leur donna des juges
spéciaux qui prononçaient sur les différents qui
s'élevaient entre eux et les Chrétiens, et le prévôt
de Paris était toujours l' un de ces juges. Les choses
demeurèrent en cet état sous Louis-le-Gros et
Louis-le-Jeune; mais on commença à être effrayé
de leurs richesses sous le règne de Philippe-Auguste. L'usure
avait déjà mis dans leur dépendance les terres
et les fortunes d'une grande partie des Chrétiens. Le besoin
général d'argent que faisait éprouver les
croisades leur faisait trouver dans toutes les classes des
emprunteurs, qui n'hésitaient pas à engager tout ce
qu'ils possédaient. Comme nous avons vu les cultivateurs
d'Alsace qui avaient fui la persécution, devenir la proie de
leur usure lorsqu'ils furent de retour dans leurs foyers, les
plaintes les plus vives parvinrent donc à Philippe-Auguste de
tous les points de la France. Il prit le parti tir les chasser,
confisqua leurs biens, rétablit ses sujets dans la possession
des biens qu'ils avaient aliénés, et les déchargea
des sommes qu'ils devaient aux Juifs, sous la condition qu'ils en
verseraient le cinquième dans son trésor. Mais quelques
années après, les besoins de l'État le forcèrent
à accepter une forte somme que lui offrirent les Juifs pour en
obtenir leur rétablissement, et il leur laissa avoir à
Paris deux synagogues. Philippe-Auguste rendit encore une ordonnance
qui fixait des bornes à l'usure des Juifs et semblait la
consacrer.
C'est aussi dans le 12°
siècle que Saint Bernardin défendit avec tant de zèle
les Juifs contre la fureur des croisés; ils furent encore
protégés par les papes Innocent II et Alexandre III;
mais Alphonse VIII les persécutait dans le royaume de
Léon.
On les avait chassé
d'Angleterre au commencement du 11° siècle, et cet exil
est un de ceux dont il paraissent avoir le plus souffert. Lorsque le
roi Richard monta sur le trône ils revinrent en foule; mais
comme ils passaient pour sorcier, on leur défendit de rester à
Londres pendant le couronnement. Beaucoup, entraînés par
la curiosité ou quelque autre motif, s'y étaient rendus
secrètement, furent découverts et massacrés par
le peuple. Quand Richard se croisa, ils crurent avoir assuré
leur tranquillité sous son règne, en portant une grande
quantité d'argent au trésor; mais le roi ne put
contenir le peuple qui, au moment de son départ, en fit encore
une exécution générale.
Il est un rapport sous lequel nous n'avons pas encore considéré
les décrets et les ordonnances des conciles et des prince à
l'égard des Juifs, et qui mérite cependant qu'on s'en
occupe. Les princes et les conciles, dans les mesures qu'ils
prenaient, avaient sans cesse le double objet de de défendre
la religion chrétienne des injures de ses ennemis en
d'empêcher les Chrétiens de judaïser; car malgré
la haine que se portaient les hommes des deux religions, il arrivait
souvent , dans ces siècles d'ignorance, que les Chrétiens
empruntaient quelques cérémonies des Juifs , et
confondaient les deux cultes dans leurs pratiques. Ainsi un concile
de Château-Gonthier défendit aux juifs de mal parler de
la religion , sous peine de bannissement. Celui de Mâcon leur
interdit de travailler publiquement les jours de dimanche et de
fêtes. Celui de Vienne, tenu à la fin du 13e siècle,
leur ordonna de fermer leurs fenêtres lorsqu'ils entendraient
passer la clochette du Saint-Sacrement. En même temps les
défenses les plus expresse étaient faites aux Chrétiens
de communiquer avec eux, à cause, disait-on. de la facilité
avec laquelle plusieurs d'entre eux se laissaient aller à
judaïser. L'Église s'occupa aussi de l'usure des juifs ;
le concile de Latran leur interdit tout commerce avec les Chrétiens
jusqu'à ce qu'ils eussent réparé le dommage
qu'ils leur avaient causé. Trente ans après, celui de
Béziers prononça l'excommunication contre les Chrétiens
qui violeraient cette loi. Ceux d'Alby et de Monpellier déchargèrent
les Chrétiens des dettes qu'ils avaient contractées
envers les Juifs, toutes les fois qu'ils prouveraient qu'elles
étaient le résultat de l'usure Mais les princes ne
tinrent pas la main à l'exécution de ces décrets,
et les Juifs et les Chrétiens les éludèrent de
concert, parce que, pour vivre, les uns avaient de prêter et
les autres d'emprunter.
Au 13° siècle,
une nouvelle persécution acheva de ruiner la nation dans
l'Orient. La religion en fut le prétexte, mais dans le fait
c'était à ses richesses qu'on en voulait. Lorsque les
Mamelouks vinrent en Égypte, on ne voit pas trop ce que
devinrent les Juifs sous leur empire. Les Tartares les traitèrent
bien. Dans l'Empire grec ils jouirent d'une assez grande liberté
pendant les 13e et 14e siècles. En Espagne on les persécuta.
Durant ce temps, les papes continuèrent à leur être
plus favorables que tous les autres souverains. Grégoire X les
sauva de plusieurs massacres, en Angleterre, en France et en Espagne.
Clément V les protégea et essaya de les instruire;
Clément VI leur ouvrit un asile à Avignon tandis qu'on
les poursuivait dans le reste de l'Europe. Mais revenons aux Juifs de
France. A l'avènement de Saint-Louis à la couronne, il
fut défendu à tous les Français de leur
emprunter. Un édit rendu sous sa minorité en 1228,
ordonna que pour les dettes contractées envers eux, on
dresserait trois exemplaires du billet obligatoire, dont l'un serait
remis aux officiers royaux, un au débiteur et un au créancier.
En Normandie aussi il y eu un moment où les dettes contractées
envers les Juifs n'étaient exigibles par eux que lorsqu'elles
avaient été enregistrées par le bailli.
Saint-Louis ne voulut pas les bannir, quoiqu'il en fut sollicité
par ses sujets; il aima mieux entreprendre de changer leurs habitudes
et de les convertir. Pour cela il rendit en 1234 une ordonnance qui
leur défendait l'usure , leur enjoignait de vivre du travail
de leurs mains, et qui portait enfin que le talmud et leurs autres
livres seraient brûlés. Ces dispositions s'exécutèrent
à la rigueur, et les Juifs parurent en souffrir d'avantage que
des persécutions beaucoup plus cruelles dont ils avaient été
quelquefois l'objet. Cependant comme en même temps Saint-Louis
comblait de libéralités et de faveurs ceux qui
changeaient de religion, un assez grand nombre de familles se
convertirent. Sous le règne de ce prince et sous celui de son
fils , on rendit aussi contre eux plusieurs lois flétrissantes.
En 1271, par exemple, on les obligea à porter une corne à
leurs bonnets. Un fait assez remarquable de l'histoire de ce temps,
c'est que Marguerite de Provence, veuve de Saint-Louis , avait son
douaire assigné sur les Juifs , qui lui payaient 219 liv. 7 s.
6 d. par quartier. Il parait qu'en Bretagne ils se conduisaient de la
même manière; car en 1239 les cultivateurs de ce pays se
trouvant la plupart ruinés par leurs usures, s'adressèrent
à Jean-le-Roux, duc de Bretagne, qui, sur la réquisition
des trois ordres réunis , les bannit de ses États,
après avoir déchargé leurs débiteurs du
paiement de leurs dettes. En 1306 , Philippe- le- Bel les chassa de
nouveau et leurs biens furent confisqués. En 1315, ils
obtinrent de Louis-le-Hutin, qui lui comptant de très grosses
sommes qu'ils viendraient s'établir en France pendant treize
années. Philippe-le-Long confirma le traité qu'ils
avaient fait avec Louis-le-Hutin, lorsqu'en 1321 on les accusa
d'avoir voulu empoisonner tous les puits , fontaines et citernes du
royaume , d'intelligence avec les infidèle. On conservait dans
le trésor des chartes la traduction de deux lettres arabes où
l'on crut trouver la preuve de cette accusation. On la punit en
brûlant tout ceux qui furent jugés les plus coupables,
et en chassant la totalité de la nation, à l'exception
des plus riches qui étaient moins compromis, et auxquels on se
contenta de demander une somme de 150 000 liv. Comme un certain
nombre avait trouvé moyen de revenir en France,
Philippe-de-Valois les mit tous dans l'alternative de se convertir ou
d'en sortir. Le roi Jean les rappela en 1350, puis il les bannit en
1377; les rappela encore trois ans après, en les soumettant à
une redevance. Charles V leur permit de rester dans ses États
seize ans par-delà les vingt ans que le roi Jean son père
leur avait accordés. Enfin, de nouvelles plaintes s'élevant
encore de toutes parts contre eux, Charles VI, sans égard pour
les dispositions de ses prédécesseurs les bannit par
lettres-patentes du mois de septembre 1394. Depuis , les juifs ont
été plusieurs fois encore tolérés, en
France , sans pourtant qu'on les y laissât jouir d'une entière
liberté. Au 15e siècle , on voit un certain Profaum de
leur nation, professer l'astronomie à Montpellier, Montalte,
médecin de Marie de Médicis était Juif, et
non-seulement Henri IV le laissa venir à Paris , mais il lui
accorda une entière liberté de conscience pour lui et
sa famille.
Dans le reste de l'Europe les
juifs étaient plus malheureux. Jamais ils n'ont autant
souffert qu'en Angleterre dans les 13e siècle. On leur avait
imposé des taxes si pesantes, que véritablement ils ne
pouvaient les acquitter, et on les empêchait de sortir de l'île
de peur qu'ils ne parvinssent à s'y soustraire. Enfin le roi
Édouard les renvoya, et il ne paraît pas qu'ils se
soient rétablis en Angleterre jusqu'à l'acte du
parlement de Cromwel, qui, en 1649, les y rappela en leur accordant
une grande liberté avec la permission de bâtir une
synagogue. En Allemagne, pendant les 13e et 14e siècles, on ne
cessa d'accuser les Juifs de favoriser les courses des tartares dans
l'Occident. Il est certain que comme leur position y était en
général malheureuse, on les trouvait toujours disposés
à se réjouir de tous les changements. Paraissait-il un
capitaine habile, un prince, un conquérant, jetait-il quelque
éclat; ils étaient toujours sur le point de le prendre
pour le Messie et ils croyaient toucher à leur délivrance.
En Bavière il courut parmi le peuple qu'ils avaient offert en
sacrifice un enfant. et on les massacra. En Lithuanie au contraire,
ils obtinrent des privilèges étendus qu'ils y ont
toujours conservés depuis. En 1267, le concile de Vienne
remarqua que dans les paroisses leur nombre s'était tellement
accru, que le revenu des curés s'en trouvait considérablement
diminué. En conséquence il ordonna la destruction des
synagogues nouvelles et magnifiques qu'ils élevaient de tous
cotés , et confirma pourtant l'existence des anciennes. Mais
ces décrets étaient inutiles, parce que les princes et
les seigneurs chrétiens qui tiraient beaucoup d'argent des
Juifs les favorisaient au point de prendre sous leur protection ceux
qui refusaient d'obéir. Cela n'empêcha pas qu'un concile
œcuménique tenu à Vienne en 1330, ne rendit un
décret contre l'usure, et n'ordonnât la traduction
devant les tribunaux, des Juifs qui s'en seraient rendus coupables.
Mais l'évêque de Spire les défendit de tout son
pouvoir, disant que ceux qui avaient traité avec les Juifs
avaient dû savoir à quoi ils s'engageaient, et qu'ainsi
les contrats qui les liaient étaient obligatoires. C'est aussi
vers ce temps-là que Venceslas, roi de Bohème, se vit
forcé de remettre à ses sujets tout ce qu'ils devaient
aux Juifs qui les avaient ruinés par leur usures.
On s'occupa beaucoup de la conversion des Juifs en Espagne pendant le
15e siècle. On ouvrit de tous les côtés des
conférences où on les appela. Lorsqu'au mois de mars
1492, Ferdinand-le-Catholique, après avoir triomphé des
Maures, donna un édit qui bannissait de ses États tous
ceux qui ne voudraient pas embrasser le Christianisme, 70 000
familles, au rapport de Mariana, sortirent d'Espagne emportant avec
elles 3o millions de ducas . Cette proscription enveloppa plusieurs
rabbins savants , entr'autres le célèbre Abravanel.
Jean II, roi de Portugal , reçut dans ses États ceux
qui voulurent s'y établir , en les assujettissant à de
fortes taxes. En Portugal et en Espagne ils embrassèrent
extérieurement le Christianisme et reçurent le nom de
nouveaux Chrétiens. Aujourd'hui ils y sont encore
astreints à pratiquer extérieurement le Christianisme ,
et on les désigne aussi par le même nom.
Pendant les 15e , 16e et 17° siècles , les Juifs d'Orient
furent , comme ceux d Occident , tour-a-tour paisibles ou tourmentés.
Cependant ils maintinrent en Perse , en Arménie, en Médie
et dans presque toutes les contrées où ils avaient
formé quelques établissements. On en trouve partout où
il où il se fait quelque commerce, depuis Bassora et les Indes
jusqu'à la Mingrelie. Ils paraissent avoir abandonné
Jérusalem et la Judée; la ville de ces contrées
où ils se réunirent en plus grand nombre est Supheta.
Ils y eurent des docteurs célèbres et même une
imprimerie, avec laquelle ils publièrent en 1560 un ouvrage du
chef de leur académie.
En Éthiopie,
pendant ces deux mêmes siècles , ils vécurent en
bonne harmonie avec les Chrétiens qui se font circoncire et
observent plusieurs des cérémonies judaïques.
Aujourd'hui on en trouve au Caire, dans toute l'Egypte et les parties
de l'Afrique où les Européens font le commerce.
A Constantinople ils jouissent depuis plusieurs siècles d'une
grande liberté , quoiqu'ils y portent tous une marque
distinctive. Ils habitent le quartier des étrangers et font
comme ailleurs le négoce ou l'usure. A la lin du 16e siècle
on leur permit d'établir une imprimerie qui répandit
leur loi dans l'Orient où ses exemplaires commençaient
à devenir rares. Enfin on leur voit des établissements
dans la plupart des villes de la Grèce; ils en ont en
Thessalonique, à Procéria, à Rhodes, à
Smyrne.
Voyons
maintenant ce qu'ils devinrent en Italie pendant le 15e, 16e et 17e
siècle.. Jean XXIII les tourmenta pour les forcer à
changer de religion; Nicolas II les protégea, et écrivit
à l'inquisition pour qu'elle ne les contraignit pas à
embrasser le christianisme. Alexandre VI ouvrit ses États à
ceux que Ferdinand-le-Catholique chassa d'Espagne, et les Juifs,
anciennement établis dans l'État romain, traitant leurs
frères avec dureté, et les laissant périr de
misère, Alexandre les menaça de les chasser, s'ils ne
donnaient aux nouveaux venus tous les moyens de s'établir. A
Naples, on ne voulut pas les recevoir; Jules III fit brûler
leurs livres. Paul 1V les les relégua dans des quartiers à
part, leur fit porter un chapeau jaune, les soumis à des
taxes, et leur ordonna de vendre leurs propriétés, qui
étaient devenues considérables. Pie V, irrité de
les voir toujours exercer l'usure, croyant aussi qu'ils faisaient le
métier de receleurs, et plusieurs autres encore plus vils,
prit le parti de les bannir de l'État romain. On dit que
Sixte-Quint avouait qu'il ne les tolérait qu'à cause
des profits qu'il en retirait; mais leur présence était
la source de beaucoup de désordres. Clément VIII
renouvela la bulle de Pie V; mais il leur permit d'habiter Rome,
Ancôme et Avignon. Les juifs d'Italie eurent alors plusieurs
savants rabbins; c'est en 1645 que mourût le fameux rabbin de
Venise, Léon de Modène. Voici le compte des synagogues
d'Italie dans les 18e siècle ; à Rome, il y en avait
neuf, dix-neuf dans la Campanie, trente-six dans la marche d'Ancône,
onze à Bologne, treize dans la Romagne. On serait tenté
de croire ce calcul des historiens exagéré.
En Allemagne, pendant les 15e et 16e siècles, les Juifs furent
soumis à des taxes par les landgraves, tant dans la Thuringe
que dans la Misnie. En 1401, on leur demanda nouvelles, et, comme ils
refusèrent de payer, on les jeta dans les prisons et on les y
laissa jusqu'à ce qu'ils se rachetassent individuellement par
de fortes rançons. En 1434, le concile de Bâle, qui
étendait sa juridiction en Allemagne, décréta
qu'il serait fait en tout lieux des sermons, auxquels les princes
enverraient tous les Juifs de leurs États. Les droits
politiques et plusieurs autres avantages étaient promis à
ceux qui se convertiraient, tandis qu'on prescrivait un habit
particulier à ceux qui demeuraient inébranlables, et
qu'on défendait aux Chrétiens de les prendre pour
fermiers ou pour valets.
Trente ans après,
Louis X de Bavière les renvoya; les princes de Mecklenbourg
les maltraitèrent. En 1499, le peuple les chassa de la ville
de Nuremberg. Le chef de la réforme, Luther se conduisit
envers eux avec beaucoup de violence; il empêcha plusieurs
princes de les recevoir, et en obligea plusieurs autres à les
bannir. Peut-être que le souvenir qu'ils en ont gardé et
la comparaison qu'ils font de sa conduite avec celle des papes, sont
la cause de la préférence qu'ils donnent encore
aujourd'hui aux catholiques sur les Protestants. En Pologne et à
Cracovie, ils continuèrent à être mieux que
partout ailleurs : ils y avaient alors, ainsi qu'en Allemagne, de
savants docteurs qui disputaient chaudement contre les Réformés.
En Bohème, ils étaient nombreux; l'an 1558 on y brûla
leurs livres. Ferdinand les chassa la même année, mais
peu de temps après ils revinrent. En 1574, ils furent
persécutés par les peuples en Moravie et en Franconie;
en 1592, ils s'établirent chez le duc de Brunswick: en un mot,
à la fin du 16e siècle, il n'y avait guère de
lieu en Allemagne, où ils ne commerçassent.
Nous avons dit qu'en Pologne , ils jouissaient de toutes sortes de
privilèges; dans le 17e siècle, il y parut plusieurs
célèbres rabbins, et les Juifs dévots y
envoyaient leurs enfants pour s'instruire à leur école.
Cependant, plusieurs de ces rabbins mêmes se convertirent de
leur propre mouvement, et commencèrent à combattre la
religion qu'ils avaient quittée. Leurs établissements
se soutinrent dans la Servie , la Croatie , la Moldavie, la Valachie
et toutes les villes riches de l'Allemagne. A Hambourg, ils se
trouvèrent si bien qu'ils la nommèrent la petite
Jérusalem. Leur synagogue cependant était à
Altona. A Augsbourg, ils existent depuis très-long-temps : on
sait qu'à Frankfort, ils sont en grand nombre.
Aujourd'hui, de tous les États de l'Europe, la Hollande est le
pays où les Juifs tiennent le plus de place. Ils s'y divisent,
comme ailleurs, en Juifs allemands et Juifs portugais; et quoiqu'ils
ne diffèrent entre eux que par quelques cérémonies,
ils se haïssaient naguère comme des idolâtres. Du
reste, il ne paraît pas qu'on se plaigne des Juifs en Hollande,
et tout donne à penser qu'ils ont mérité les les
prérogatives dont ils jouissent. Cependant on remarque encore
quelque différences entre les deux espèces de Juifs.
Les Portugais sont plus riches , ont des mœurs plus relevées
et sont plus éloignés que que les Allemands, des vices
et des habitudes qu'on reproche à la nation dans certaines
parties de l'Europe. C'est vers l'entrée du 17e siècle
qu'ils se réfugièrent en Hollande pour échapper
à l'inquisition, et c'est en 1675 qu'ils consacrèrent
cette grande et magnifique: synagogue que l'on voit à
Amsterdam.
En Prusse ,
ils sont assez nombreux, et ils y font la banque, le commerce et
l'usure. La plupart des banquiers de Berlin sont Juifs et la plus
grande partie des capitaux disponibles se trouve entre leurs mains;
C'est à eux que le Gouvernement et les particuliers
s'adressent dans leurs besoins.
Livourne
est aujourd'hui la ville d'Italie où ils sont en plus grand
nombre , et où ils font le plus de commerce. Ils y ont une
grande liberté , et il ne parait pas qu'on ait à s'y
plaindre de leur présence. Enfin, l'Espagne et le Portugal les
forcent encore à professer extérieurement le
christianisme; et l'on raconte que quelques-uns entraînés
par leur intérêt poussent la dissimulation jusqu'à
entrer dans les ordres sacrés.
Quant
aux dix tribus qui ne retournèrent pas à Jérusalem
, on ne saurait plus les distinguer , et l'on ne pourrait dire
précisément où elles habitent. Cependant, il est
vraisemblable que ce sont elles que l'on voit encore répandues
dans l'Orient, qui même se sont étendues en Pologne et
dans une partie de l'Allemagne.
Juifs en France depuis le 17° siècle jusqu'à présent
On a cru devoir entrer dans
quelques détails sur la situation des Juifs en France, dans
les deux derniers siècles. En conséquence , après
avoir jeté un coup-d'oeil rapide sur le sort des Juifs
répandus sur la surface du globe depuis leur dispersion, on a
formé un titre à part des renseignements qu'on a pu se
procurer sur cette matière.
Les
juifs en France se divisent en trois tribus ou nations différentes
, Juifs allemands , Juifs avignonnais et Juifs portugais. Les
portugais croient descendre de la maison de David; on remarque en eux
une certaine fierté que cette opinion leur donne; ils ont des
mœurs plus libérales, reçoivent une éducation
plus soignée, s'enrichissent par le moyen du commerce et d'une
utile industrie ; enfin , ils sont peu zélés
observateurs de la loi des rabbins. Bayonne et surtout Bordeaux sont
les principales villes qu'ils habitent. Les Avignonnais viennent
ensuite ; c'est parmi eux que l'on trouvait cette quantité de
brocanteurs et revendeurs dont la bonnefoi était si suspecte.
Les Allemands sont les plus ignorants et les plus superstitieux : de
tous les juifs ce sont eux que l'on a plus particulièrement
accusés de faire l'usure. Ils remplissent la Lorraine,
l'Alsace et tous les bords du Rhin. Louis XIII, en 1615, bannit
encore les juifs, à l'exception de ceux de Metz. Ses
successeurs les tolérèrent de nouveau dans plusieurs
provinces , jusqu'à ce que Louis XV , par l'arrêt du
conseil de 1722, ordonnât aux intendants des généralités
d'Auch et de Bordeaux de faire le dénombrement des Juifs qui
les habitaient, et de se procurer un état exact de leurs biens
, pour ces biens être saisis et confisqués; mais les
juifs portugais réclameront, et , sur leur requête , le
roi révoqua l'arrêt du conseil l'année suivante ,
confirma les déclarations de Henri II et de Henri III, faites
en leur faveur, et leur demanda seulement une somme de 100 000 livres
pour son joyeux avènement. Enfin, en 1784, Louis XVI
affranchit les juifs d'un droit qu'ils payaient à Strasbourg,
comme certains animaux. Il reste à faire connaître sous
quel régime ils vivaient , tant eu Alsace qu'en Lorraine et à
Bordeaux.
Juifs portugais.
A Bordeaux ils avaient des
syndics choisis parmi eux, avec lesquels le Gouvernement
correspondait, et qui lui répondaient des désordres ,où
pouvaient tomber tous les autres. Ils faisaient exécuter les
règlements de police que la communauté s'imposait
elle-même , et qu'elle était seulement tenue de faire
approuver par le roi. Si un juif étranger arrivait à
Bordeaux, le syndic en était aussitôt instruit, et s'il
n'y venait pas évidemment pour des affaires, ou quelque autre
motif légitime , le syndic lui ordonnait de s'éloigner
après lui avoir remis 3 liv. , s'il était dans le
besoin. Ils prenaient soin de leurs pauvres , tant pour accomplir la
loi , qui afin qu'ils ne fussent pas à charge aux Chrétiens.
Ils avaient leur boucherie, leur boulangerie particulières ;
en un mot , ils formaient une espèce de communauté
sous la surveillance du Gouvernement.
Juifs de la Lorraine.
Le sort des Juifs en Lorraine
fut d'abord fixé par ente déclaration du duc Léopold
, rendue le 20 octobre 1721. Elle permettait à 180 familles
juives de continuer leur résidence dans les États de ce
Prince, d'y exercer leur religion sans bruit , ni scandale. En même
temps, il leur était permis de faire le commerce , eu se
conformant aux ordonnances, usages, statuts et règlements des
lieux où ils seraient domiciliés. Par arrêt du 11
juin 1726. le même duc ordonna aux Juifs , qui , à titre
de propriété ou de locations , habitaient des maisons
dans l'intérieur des villes, bourgs ou villages, et qui se
trouvaient mêlés avec celles des catholiques de se
défaire desdites maisons et d'en sortir dans le délai
d'un mois, à peine de confiscation, à l'égard de
ceux qui seraient propriétaires , et de 2 000 fr. d'amende
contre ceux qui ne seraient que locataires. Il fut d'ailleurs, réglé
que, dans toute la Lorraine, les juifs seraient tenus de s'adresser
aux autorités locales , pour qu'elles leur désignassent
, à l'écart et dans des lieux les moins fréquentés
, des terrains ou maisons où ils habiteraient; en sorte que
parmi leurs maisons, il ne s'en trouvât point d'intermédiaires
qui appartinsses aux sujets catholiques du duc. Les usures que les
juifs exerçaient en Lorraine, et surtout dans les campagnes,
donnèrent lieu à un édit remarquable le 3o
décembre 1728. Cette loi déclara nuls tous les billets
et actes sous seing-privé, qui seraient faits au profit des
Juifs , tant pour argent prêté que pour vente de
marchandises ou autres engagements, Les lettres de change et autres
effets usités dans le commerce furent exceptés de la
prohibition. Il fut , en outre , ordonné que les Juifs
reconnus coupables de dol ou d'usure envers quelque sujets
catholiques, seraient punis par la perte de leur créance,
tenus d'en payer le double à leur débiteur, et obligés,
en outre, à une amende de 500 liv. envers le prince ,sans que
ces peines pussent être remises ni modérées par
les juges.
Enfin , un arrêt du
conseil du roi Stanislas, rendu le 26 janvier 1753 , termine la
jurisprudence relative aux juifs de Lorraine. Le voici dans son
entier
«Le roi s'étant fait représenter
l'arrêt du conseil-d'état, du 29 décembre 1733,
donné sur la requête du chef de la communauté des
Juifs dans ses États. par lequel il a été permis
à toutes les familles juives, comprises dans la répartition
qui avait été faite, en exécution d'un arrêt
du 26 juillet précédent, et montant à 180, de
continuer leur résidence dans ses États, juqu'à
son bon plaisir; et les impositions sur les juifs ayant depuis
continué d'être faites sur le pied desdites 180 familles
S. M. ne croit pas devoir déranger leurs établissements
, ni les frustrer du bénéfice de ces arrêts ;
étant aussi informé des différents abus et
inconvénients qui naissent de l'exécution de
l'ordonnance donnée par le duc Léopold, le 3 décembre
1723, concernant les actes qui se passent avec les juifs , elle
trouve a propos d'en suspendre l'exécution.
Oui, sur le rapport du sieur Rouott conseiller, secrétaire-d'état
ordinaire , commissaire à ce député , et tout
considéré :
« Sa
majesté , en son conseil , a ordonné et ordonne,
1°. Que le nombre des Juifs qui seront admis dans ses États
, demeurera fixé, jusqu'à son bon plaisir , à
cent quatre - vingt familles , et que sous le nom de famille seront
compris le chef et tous ses enfants et descendants des mâles,
demeurants dans une seule et même maison, sans préjudice
aux acquisitions faites, jusqu'à ce jour, par aucun d'eux , en
vertu de permission , et aux désignations faites dans
quelques-uns des lieux de leur résidence, de rues ou terrains,
pour former des habitations dans lesquels ils seront maintenus.
2°. Que les syndics desdits Juifs déposeront dans le mois,
au greffe de son conseil, un rôle ou état exact clé
tous les Juifs, chefs de famille, qui sont actuellement dans ses
États, contenant leurs noms et le lieu de la résidence
actuelle de chacun d'eux, pour être faite et arrêtée
en sondit conseil la liste de ceux qu'elle jugera à propos de
tolérer en chacun lieu , jusqu'audit nombre de cent
quatre-vingt familles, et de suite envoyée et publiée
partout où besoin sera.
3°. Que
lesdits juifs résidants dans ses États composeront une
seule communauté , de laquelle S. M. a nommé et établi
pour syndics, Salomon Alcan, Isaac Behr, et Michel Godechaux,
demeurant à Nancy.
4°. Ceux qui dans
la suite pourraient obtenir de S. M. permission de s'établir
dans ses États, pour remplacer des familles actuelles qui
seraient éteintes, seront tenus de faire registrer ladite
permission au greffe du bailliage, de la résidence , et de la
communiquer au premier officier du lieu, à peine de privation
de la grâce.
5°. Ordonne au surplus
S. M. , que les édits, ordonnances, déclarations et
arrêts de règlements donnés , tant au sujet de
l'exercice de leur religion , que de la police , commerce , et
autrement, seront suivis et exécutés , à la
réserve néanmoins de l'ordonnance du 3o décembre
1728, concernant les actes qui se passent avec les Juifs dont S. M. a
suspendu et suspend l'effet et l'exécution jusqu'à ce
qu'elle en ait autrement ordonné.»
Cet arrêt fut revêtu de lettres-patentes et enregistré
au parlement de Lorraine le 5 avril 1755.
Le 22
avril 1762 , cette cour rendit, sur le réquisitoire du
procureur-général, un arrêt par lequel elle
ordonna que les 1er, 2e, 3e et 4e chefs de l arrêt du conseil
précité , fussent exécutés à la
rigueur. Eu conséquence les familles juives établies en
d'autres lieux que ceux spécifiés au rôle furent
tenues de sortir des États dans le mois , sous peine d'en être
chassés et leurs biens confisqués au profit du roi.
Juifs de Metz
Les Juifs s'établirent à
Metz pour la première fois en 1567, en vertu d'une ordonnance
du maréchal de la Vieuville, gouverneur, qui permit à
quatre familles de cette nation d'y habiter et de s'employer au prêt
d'argent sur gages. Ces quatre familles se multiplièrent
jusqu'au nombre de vingt-quatre; et elles obtinrent, le 20 mais 1603
de Henry IV , des lettres- patentes portant que ce prince prenait
sous sa protection et sauvegarde les quatre-vingt ménages
juifs, descendus des huit premiers établis à Metz sous
le règne de son prédécesseur ; qu'ils J
continueraient leur demeure et qu'ils pourraient trafiquer et
négocier suivant leurs franchises , libertés et
coutumes anciennes; prêter argent sur gages et sans gages.
Le nombre des juifs à Metz s'accroissant toujours , ils
s'adressèrent à Louis XIII qui , par lettres-patentes
du 24 janvier 1632 , confirma les ordonnances précédemment
rendues en leur faveur. Le 23 mai 1631 intervint un arrêt, en
forme de règlement, du parlement de Metz, à la suite
d'une instance entre les corps de métiers et
les Juifs ,
qui permit à ceux-ci le commerce des marchandises ,
d'orfèvrerie, d'argenterie et de friperie, avec défense
à eux de vendre aucune marchandise neuve.
Le 25 septembre 1657 , ils obtinrent de nouvelles lettres patentes
confirmatives des précédentes, avec pouvoir d'étendre
leur commerce sur toutes sortes de marchandises. Le corps des
marchands s'opposa à leur enregistrement ; les Juifs de leur
côté représentèrent que devant leur
établissement à Metz à la bonté des rois
, il fallait qu'on leur laissât les moyens d'y subsister; que
supportant les charges publiques , ils ne devaient pas être
traités moins favorablement que les étrangers non
naturalisés ; qu'enfin ils n'entendaient faire le commerce des
marchandises neuves que comme marchands forains, c'est-à-dire
en magasin, sans exposition ni boutiques ouvertes.
Les marchands se pourvurent par requête civile contre cet
arrêt, sous le prétexte qu'il était contraire à
celui de 1634. Mais un arrêt de juillet les débouta de
leur requête.
En 1694 , les marchands
tentèrent encore de faire apporter quelques restrictions aux
libertés accordées aux Juifs ; et le parlement de Metz,
invariable sur ce sujet, maintint et confirma les droits de ces
derniers.
Les marchands en appelèrent
en cassation, et un nouvel arrêt du Conseil-d'état rendu
le 11 juillet 1696, condamna encore une fois leurs prétentions.
Le 31 décembre 1715 , des lettres-patentes imposèrent
chaque famille juive à une redevance annuelle de 40 liv. En
même temps le roi fit don de cette redevance au duc de Brancas,
à la comtesse de Fontaine et à leurs héritiers.
En 1718 , le corps des marchands de la ville de Metz demanda au roi
que le nombre des Juifs fut réduit, et qu'il leur fut défendu
de faire aucun autre trafic que le prêt d'argent à
intérêt.
Enfin le 9 juillet
1718 , le duc d'Orléans régent fit rendre un arrêt
du conseil, portant que les 480 familles des juifs de Metz
continueraient d y demeurer et d'y jouir du bienfait des anciennes
lettres-patentes aux conditions, suivantes :
Qu'à la diligence de M.. le procureur-général ,
il serait dressé par les chefs de la communauté des
Juifs , sans frais , un état des 480 familles et des individus
qui les composaient, lequel état resterait déposé
au greffe du bailliage afin qu'on put y avoir recours au besoin ;
Que les pères et mères de familles seraient tenus de
faire enregistrer au greffe du bailliage tous les enfants qui leur
naîtraient ;
Que les veuves ou filles
juives ne pourraient à l'avenir attirer à Metz aucun
Juif étranger par mariage.
Que les Juifs
seraient tous obligés de demeurer dans le quartier de
Saint-Féron, sans qu'ils puissent posséder ni louer
maisons , magasins , écuries , granges, caves ou greniers dans
les autres quartiers de la ville , à peine par les
contrevenants de payer, savoir; le Juif; 3 000 liv. d'amende, et le
propriétaire, 1000 liv. ;
Qu'ils
seraient tenus de compter annuellement la somme de 450 liv. à
l'hôpital de Saint-Nicolas; à laquelle somme avaient été
commués les 200 liv. d'ancien droit, établi le 6 août
1567; plus , 175 1iv. à la ville , à quoi avait été
estimé le droit d'entrée et de sortie qui se percevait
autrefois sur chaque Juif, et 200 liv pour le logement du vicaire de
la paroisse Ségoline ;
Qui ils ne
pourraient élire un rabbin sans la permission et l'approbation
de sa majesté
Qu'ils ne pourraient aller
par la ville ni travailler les jours de dimanche et de fête,
sinon par l'ordre ou avec la permission des commandants et des
magistrats , ou dans le cas d'une nécessité urgente
;
Qu' ils se conformeraient , pour le prêt
d'argent, aux lettres-patentes des rois prédécesseurs
de sa majesté , et aux. règlements faits sur cette
matière, et ne pourraient garder les gages qui leur auraient
été remis au delà du terme d'une année ,
ou de quinze mois au plus ; après lequel temps ils seraient
tenus de les faire vendre , à peine de perdre les sommes
qu'ils auraient prêtées;
Qu'ils
ne pourraient prêter sur gages aux femmes en puissance de mari
, aux enfants de famille , ni aux domestiques , à peine de
perdre ce qu'ils auraient prêté, et de plus grandes
peines s'il y prêté
Qu' ils ne
pourraient pareillement recevoir pour gages les outils des artisans ,
des ouvriers , laboureurs et journaliers ;
Que
leurs droits et hypothèques leur seraient conservés sur
les immeubles de leurs débiteurs , selon les règles
de la justice , et conformément aux ordonnances , lois ,
usages et coutumes du pays;
Qu'ils seraient
obligés de procéder devant les juges, et consuls de
Metz , dans les matières consulaires, pour les contestations
qu'ils auraient avec les Chrétiens , sauf appel au parlement
dans les cas qui y sont sujets; sa majesté leur réservant,
pour les contestations de Juif à Juif , la liberté de
se pourvoir devant leur rabbin , et aux chefs de leur communauté,
la connaissance leur police , religion , coutumes , cérémonies
et impositions ;
Qu'il leur serait permis
d'avoir des boucheries particulières pour la nourriture de
leurs familles, avec défense aux bouchers juifs de tuer un
plus grand nombre de bestiaux que ce qui est absolument nécessaire
à la subsistance des mêmes familles de vendre aux
Chrétiens d'autres viandes que celles des quartiers de
derrières des animaux, et les chaire de ceux qui auraient été
reconnus viciés des vices qui empêchent les Juifs d'en
manger , suivant leur loi , à peine de 1000 l. d'amende contre
les contrevenants.
Qu'ils seraient tenus de
commettre deux Juifs experts , pour visiter tous les animaux qui
seraient tués dans leurs boucheries et reconnaître ces
vices , lesquels experts seraient obligés de tenir un registre
fidèle de la quantité des bœufs, veaux et moutons
qui auraient été trouves viciés de ces sortes de
vices et de ceux qui ne seraient pas viciés , avec mention du
nom des boucher juifs qui les auraient tués et les
débiteraient; qu'en outre les jurés bouchers de Metz
continueraient leurs visites et inspections sur les bouchers juifs ,
ainsi qu'ils avaient droit de faire sur les autres boucheries ;
Qu'en cas de contravention , les pères et mères
seraient responsables de leurs enfants et les maîtres de leurs
domestiques pour le paiement des amendes qu'ils auraient
encourus.
Enfin , pour assurer d'une part les
conditions des domaines et de l'autre épargner aux Juifs les
frais et les inconvénients d'un recouvrement à faire en
détail sur chacune de leurs familles, par les commis préposés
qui ne seraient pas de leur nation, le montant de la redevance
annuelle de 40 liv, établie par les lettres-patentes de 1715
fut fixé à la somme de 20 000 fr., pour être
payée, savoir au duc de Brancas 15 000 liv., et à la
comtesse de Fontaine 5000 liv. ; à l'effet de quoi les
syndics juifs furent chargés de l'assiette et du recouvrement
de ladite somme.
Indépendamment de cet
arrêt du conseil , une déclaration du mois d'août
1710 , enregistrée au parlement de Metz , portait que le roi
informé que plusieurs Juifs étant dans cette ville ,
faisant la banque ou le commerce , tenaient leurs registres en langue
hébraïque pour couvrir plus facilement leurs usures , sa
majesté ordonna qu'ils seraient obligés de tenir des
registres dans la forme prescrite par l'ordonnance et en langue
française ; faute de quoi ils seraient déchus de toute
action pour raison des sommes qu'ils prétendraient leur être
dues , déclarés incapables de faire aucun commerce de
banque, ou autre de quelque nature que ce fût , et condamnés
en outre a 2000 liv. d'amende.
Juifs d'Alsace.
On a donné dans toute
leur étendue les lois relatives aux Juifs de Metz afin que
l'on pût prendre une idée générale des
Juifs en France, et des rapports dans lesquels ils étaient
placés à l'égard des gouvernements et des
Chrétiens. En Alsace, leur organisation était
à-peu-près la même. Ils y faisaient le commerce
de la même manière et aux mêmes conditions. Ils se
gouvernaient entr'eux par des rabbins dont le roi approuvait le
choix, et il lui soumettaient les règlements qu'ils
s'imposaient eux-mêmes. La justice leur était rendue
comme dans la généralité de Metz. Comme il
s'introduisait un abus d'un nouveau genre, qui consistait à
passer au nom de Chrétien les contrats usuraires qui se
soldaient au profit des Juifs, le conseil souverain de Colmar, le 21
juin 1714, fit défense à toutes personnes, de quelque
qualité et condition qu'elle fussent, de se rendre à
l'avenir concessionnaires d'aucun Juifs, à peine de perdre
leur dû et sous telle autre peine que de droit. Il fut
également interdit, sous les peines les plus sévères,
aux notaires et officiers publics de passer aucun acte de cette
espèce.
En 1733, l'usure des juifs
faisant de grands ravages en Alsace, on vit paraître la
déclaration du 24 mars portant : "que les juifs qui
feraient des prêts, affirmeraient devant les notaires que ces
prêts ne renfermaient même secrètement aucune
convention usuraire laquelle affirmation serait mentionnée
dans les contrats , à peine de nullité contre les actes
et de faux contre les Juifs ; que ceux de cette nation qui se
trouveraient avoir commis quelque dol, fraude, surprise ou usure, ou
qui auraient accumulé les intérêts avec les
capitaux, outre la nullité des actes et la perte de leurs
créances dont les débiteurs seraient déchargés
par la simple vérification du fait , seraient condamnés
à payer aux parties plaignantes le double des sommes portées
dans lesdits actes, et à une amende de 500 liv. à quoi
ils pourraient être contraints par corps ; le tout sans
préjudice de l'action criminelle. "
Au mois de septembre de la même année , ils obtinrent un
sursis à exécution de cette déclaration ; sur
séance qu'on ne voit pas qui ait été levée.
Tel était donc l'état où les Juifs se trouvaient
en France lorsque la révolution arriva. A l'aspect des
changements qui s'opéraient de toutes parts, ils conçurent
bien vite l'espoir de voir leur sort s'améliorer. Bientôt
même ils espérèrent d'être en tout
assimilés aux Français. Encouragés par plusieurs
brochures qui paraissaient en leur faveur et par une certaine vogue
que leur donnaient les maux qu'ils avaient soufferts sous le
Gouvernement qu'on venait de détruire, ils adressèrent
leurs réclamations à la commune de Paris. Ils en furent
reçus comme ils l'avaient espéré, et peu de
temps après on fit à l'Assemblée constituante
une motion d'ordre, tendant à leur rendre, ainsi qu'aux
comédiens, les droits de cité. Le 16 avril 1790, ils
furent mis par un décret spécial sous la sauve-garde de
la loi. Il ne parait pas cependant que leur sûreté fût
menacée; il est probable au, contraire qu'ils n'avaient
sollicité ce décret qu'afin d'obtenir un témoignage
public de l'intérêt de l'Assemblée , et pour
préparer les esprits à leur entière
réhabilitation.. Quelques mois après, second décret
qui les affranchit de toutes les redevances annuelles qu'ils payaient
à titre de droit d'habitation , de protection et de tolérance.
Enfin , le 27 septembre 1791 , on leur donna tous les droits des
Français. Néanmoins la ville de Strasbourg qui avait
envoyé plusieurs adresses à l'Assemblée dans le
cours de 1790 et 1791 où elle s'opposait a cette mesure ,
renouvelant alors avec chaleur ses remontrances, l'Assemblé
constituante, le lendemain du jour où elle avait assimilé
les Juifs aux Français , rendit un décret portant:
1° Que dans le mois les juifs d'Alsace donneraient aux
directoires de district du domicile de leurs débiteurs ,
l'état de leurs créances, tant en principal qu'en
intérêt sur des particuliers non juifs. 2° que les
directoires de district prendraient tous les renseignements
nécessaires pour constater les moyens connus des débiteurs
pour acquitter ces créances; et qu'ils feraient passer ces
renseignements avec leur avis sur la manière de liquider ces
créances aux directoires des deux départements; 3°
que ces directoires donneraient sans délai leur avis sur le
même objet, et qu'après l'avoir communiqué aux
Juifs , ils l'enverraient à l'assemblée avec les
observations de ces derniers.
La session de
l'assemblée constituante se terminant peu de jours après,
aucune suite ne fut donnée à ce décret par
l'assemblée législative, et il n'a jamais reçu
son exécution.
Enfin, dans l'an 6, les
Juifs demandèrent au Conseil des 500 d'être assimilés
aux corporations supprimées, afin que la nation se chargeât
d'acquitter leurs dettes. Leur demande d'abord accueillie finit par
être rejetée.
Voilà donc
quel a été le sort des Juifs en France pendant les deux
siècles qui viennent de s'écouler. Il nous reste à
rechercher le véritable esprit de leur loi, les développements
qu'elle a reçus , et les rapports dans lesquels cette loi les
place à l'égard des sociétés au sein
desquelles ils vivent. Cette recherche fera l'objet du titre suivant.
De la loi des Juifs.
Le législateur des
Hébreux , qui réunissait dans sa personne tous les
pouvoirs , leur a donné une loi qui réunit en elle tous
les caractères; elle est à-la-fois religieuse ,
politique et civile. Au lieu que les autres peuples obéissent
à des lois qu'ils savent tenir des hommes, celui-ci ne peut
agir qu'il ne croie obéir ou désobéir à
Dieu. Sa loi intervient clans toutes ses actions , elle prononce sur
toutes. Aucun des individus qui la suivent ne peut faire un geste
qu'elle n'ordonne ou ne défende , qu'elle n'approuve ou
qu'elle ne blâme. Moïse qui connaissait ce peuple
inconstant et léger jusqu' à ce qu'il ait été
malheureux, parait avoir voulu lui imprimer un caractère si
particulier, des habitudes si exclusives, qu'il ne pût se mêler
avec aucune autre nation , et qu'il dût exterminer celles dont
il lui destinait les dépouilles. D'abord il l'isola en lui
annonçant qu'il était le peuple que Dieu avait choisi ,
et par là lui inspira une confiance et un mépris des
autres hommes qui, dans la suite, ne contribuèrent pas peu au
succès de son entreprise. "Les Juifs , dit Tacite (7)
sous la conduite de Moise, dépossédèrent les
habitants d'un pays cultivé qu'ils trouvèrent , et y
bâtirent leur temple et leur ville. Moïse , pour s'assurer
de leur fidélité, leur donna une religion contraire à
celle de tous les autres peuples ...... Ils se gardent entre
eux une foi inviolable et une charité toujours prête;
mais ils n'ont pour tous les autres peuples que de la haine et de
l'inimitié." On lit au Deutéronome (8)
"Vous dominerez sur plusieurs nations , et nulle ne vous
dominera." Dans beaucoup d'endroits , Moïse et Josué
défendent aux Israélites toute alliance avec les
étrangers , et les menacent de la colère du ciel s'ils
manquent à ce commandement. Ailleurs il leur ordonne de ne
laisser la vie à aucun des habitants des lieux qu'ils vont
conquérir. Après la captivité de Babylone,
Esdias (9) trouvant à Jérusalem
beaucoup de Juifs qui avaient épousé des femmes
étrangères, les obligea à les renvoyer.
Cependant on lit dans l'Exode IV : "Vous n'attristerez pas et
vous n'affligerez point l'étranger, parce que vous avez été
étrangers vous-mêmes dans le pays d'Égypte."
Mais ce précepte parait avoir surtout pour objet de leur
recommander l'hospitalité à l'égard des
étrangers qui les visiteraient ; et la charité qu'il
leur prescrit envers quelques individus. n'est point conciliable avec
l'éloignement que leur loi cherche à leur inspirer pour
ces mêmes individus réunis en corps de nation.
Mais la loi de Moyse ,permet-elle l'usure , ou la détend-elle
seulement aux Juifs entre eux? Il n'est pas du tout constant que les
juifs ne puissent, d'après leur loi , pratiquer entre eux
l'usure. Nous en alléguerons pour preuve , non pas notre
opinion. personnelle , ni aucune interprétation qui vienne de
nous , mais le témoignage des savants rabbins dont ils
adoptent aveuglement toutes les décisions. Nous lisons dans le
Deutéronome (10) : Non foenerabis fratri
tuo ad usuram pecuniam. "Tu ne prêteras pas d'argent à
usure à ton frère." Or, les rabbins
(11) prétendent qu'au lieu de : Non foenerabis fratri
tuo, il faut lire , Non foenerabis li fratre tuo serment
que le mot **** était
au passif, et qu'on devait traduire: c'est-à-dire , non pas ,
" tu ne prêteras pas usure à ton frère",
mais "tu ne te laisseras pas prêter à usure par ton
frère" d'où il suit que la loi condamne plutôt
celui qui se laisse faire le mal que celui qui le commet. La glose
ordinaire des rabbins: " Il est défendu à celui
qui emprunte de payer aucun intérêt au prêteur".
Sixte de Médicis dit en propres termes (12)
"Dernièrement quelques rabbins très habiles,
requis par le savant Philippe Archinto, vicaire de Rome, déclarèrent
avec Non foenerabis fratri tuo; tu ne te laisseras pas prêter
à usure par ton frère."
A la
vérité , les auteurs qui rétablissent ainsi le
passage dont il est question, soutiennent que la défense
d'emprunter à intérêt équivaut à
celle de prêter, et ils pensent que les hommes de leur religion
ne sauraient tirer aucune usure des sommes qu'ils prêtent.
Quant à l'usure envers l'étranger , Moïse ne l'a
pas seulement tolérée, mais prescrite.
(13) Alieno foenerabis; "Tu prêteras à
usure à l'étranger." Moyse ne condamne pas les
richesses ; au contraire, il les propose pour récompense à
ceux qui observeront fidèlement la loi. Comment donc les
particuliers auraient-ils pu augmenter leurs fortunes dans un pays
sans commerce et où, du jubilé, les propriétés
demeuraient toujours dans les mêmes mains, si l'on n'avait pu
il prêter à intérêt, soit de l'argent ,
soit des marchandises ?
Joseph dit
(14) " II est défendu de prêter à usure
à aucun Juif." Philon (15) s'exprime de
la même manière. Tous deux n'ajoutent rien et semblent
croire , par leur silence, qu'il n'en était pas de même
à l'égard des Gentils. Mais voici ce que l'on trouve
dans le célèbre Maimonide, la plus grave des autorités
parmi les Juifs (16) " Il est permis, tant de
prêter que d'emprunter à intétêts aux
Gentils et aux Prosélytes; car il est écrit : Tu ne
prêteras pas à usure à ton frère. il est
défendu de prêter à usure à son frère,
quoique cela soit permis à l'égard du reste du genre
humain.. C'est même un précepte positif de pratiquer
l'usure sur l'étranger ou Gentil ; car il est écrit
aussi : Tu prêteras à usure a l'étranger et au
Gentil. Il faut donc observer que le précepte à
cet égard est affirmatif. Tel est le texte de la sainte
loi."
On lit aussi dans Sepher Siphri (17)
: "Tu prêteras à usure au Gentil est un précepte
positif . de même que tu ne prêteras pas à usure à
ton frère est un précepte négatif."
Dans le Pirushtora (18) : "La loi n'en
dit pas autant du vol , et il est reçu que prendre secrètement
le bien d'un Gentil est un crime : mais l'usure dont le contrat
résulte du consentement et de la libre volonté tant du
prêteur que de l'emprunteur, n'est nullement défendue
qu'entre frères."
Il semble que
:Moïse ait eu dessein , au moyen de l'usure , d'élever
une barrière de plus entre sou peuple et les nations
étrangères. On connaît cette multitude infinie de
règlements et de pratiques avec laquelle il parait avoir voulu
en quelque sorte constituer les mœurs des hébreux , et
les séparer a jamais du reste du genre humain. Ainsi il leur
interdit l'usage de tant de sortes d'aliments , et il leur ordonna
d'appréter les autres d'une manière si particulière.
Ainsi il leur prescrivit tant d'ablutions de prières , un
repos si absolu le jour du sabbat. Ainsi il leur imposa ces
règlements bizarres qui leur rendaient impraticables les
mariages avec les étrangers qu'il leur avait défendu
d'ailleurs. Toutes ses lois avaient la religion pour objet ; l'amour
et la crainte de Dieu , le respect pour ses commandements étaient
les seuls sentiments qu'il eût cherché à leur
inspirer; ces sentiments décidaient de toutes leurs actions et
remplissaient entièrement leurs âmes. Aussi quand ils
les abandonnaient ils restaient sans guide et sans mobile , sans
courage et sans vertu. De là vient que nous ne les voyons pas
dans leur histoire négliger leur loi sans qu'ils tombent
aussitôt dans la corruption la plus grande et le plus profond
abaissement.
Il est temps d'examiner quel a
été l'état religieux des juifs depuis Moïse,
et s'ils n'ont rien ajouté à sa loi.
Lorsque le don de prophétie eut cessé parmi les juifs ,
par une suite de leur inquiétude naturelle plusieurs sectes se
formèrent. Nous devons d'abord les diviser en deux classes :
celles qui ne reconnaissent pour divine que la loi écrite de
Moïse , et celles qui qui confondent dans leur vénération
et leur croyance la loi orale ou traditionnelle. Ces dernières
se composent d'hommes qui pensent que Moïse n'a écrit que
la moindre partie des préceptes qu'il a reçus de Dieu ,
et qu'il a confié seulement à la tradition, un grand
nombre de ces préceptes, de peur qu'en les écrivant ils
ne parvinssent à la connaissance des idolâtres. Nous
donnerons le développement de cette opinion à mesure
que nous ferons connaître les sectes qui la professaient.
Les partisans de la loi écrite ont formé deux sectes ;
la première , celle des Sadducéens , parut lorsque
Ptolémée Evergete régnait en Égypte, et
Seleucus Callinicus en Syrie. Ils rejetaient la loi orale , se
renfermaient dans la lettre de la loi de Moïse, niaient qu'il y
eût une autre vie, croyaient que tout l'homme périssait.
On peut les regarder comme les matérialistes du judaïsme;
ils ont entièrement disparu.
La seconde
est celle des Caraïtes ; on en trouve aujourd'hui en Pologne et
en Lithuanie. Ils rejettent comme les Sadducéens toute
tradition orale, mais ils croient à l'immortalité de
l'ame.
Les Pharisiens sont la première
secte qu'aient formée les partisans des traditions orales. Ils
prirent naissance sous Jonathan , l'un des Macchabées , 130
ans avant Jésus-Christ , et ce sont eux que l'on voit encore
répandus par toute la terre. Ils soutiennent qu'outre les lois
écrites de Moïse, Dieu avait enseigné verbalement
à ce législateur un grand nombre de rites et de dogmes
, qu'il a fait passer à la postérité sans les
écrire. Ils nomment les personnes par la bouche desquelles ces
traditions se sont conservées , et ils leur donnent le même
degré d'autorité qu'à ce qui est écrit.
Les Pharisiens , au commencement , se donnaient pour les sages par
excellence ; c'est à eux à qui Jésus-Christ a
tant reproché leur orgueil , le mépris qu'ils faisaient
des autres hommes , et le faste des austérités qu'ils
étalaient aux yeux du peuple.
Les
Esséniens suivaient la loi écrite, et choisissaient
entre les traditions. Leur morale était pure et élevée
(19). Josèphe donne une peinture de leurs
mœurs qui les fait aimer.
Philon
(20) est , ce semble , le seul auteur qui fasse connaître
les Thérapeutes. Il les représente comme les moines du
judaïsme, et Josèphe les compare aux Pythagoriciens. Ils
menaient une vie entièrement contemplative , et vivaient seuls
dans des cellules où ils pratiquaient beaucoup
d'austérités.
Les juifs,
aussitôt après leur dispersion , élevèrent
des académies où se conservait la doctrine, et qui
réunissaient leurs docteurs les plus savants. Ce sont les
chefs de ces académies qui ont fixé par leurs écrits
la loi traditionnelle, et lui ont acquis ainsi parmi la nation une
autorité égale a celle de son législateur. Le
plus célèbre sans doute fut Judas le saint , auteur de
la Mishua. Judas s'étant aperçu que la loi orale
commençait a s'oublier et à se corrompre , voulut
réunir et conserver à jamais toutes les traditions
qu'il prétendait posséder dans leur entière
pureté. En conséquence, il composa son fameux livre qui
parut vers l'an 180. C'est un code informe du droit civil et
canonique des Juifs, tout rempli des superstitions les plus
singulières. Il est divisé en six parties : la première
est une espèce
de traité d'agriculture ; la seconde
règle l'observance des fêtes ; la troisième
traite des femmes et décide de toutes les causes matrimoniales
; la quatrième regarde les procès et les pertes
qu'entraîne le commerce, et la manière d'y procéder;
elle renferme aussi un traité de l'idolâtrie et il
paraît que c'est la plus importante; la cinquième parle
des oblations, et la sixième des purifications.
Comme la Mishua laissait des doutes sur plusieurs points , et que
d'ailleurs de nouvelles questions s'étaient élevées
, Jochanan, aidé de Rab et de Samuel , deux disciples de Judas
, firent un commentaire de la Mishua , qu'on appela Thalmud ou Gemare
(c'est-à-dire doctrine ) de Jérusalem. Mais ce
commentaire ne paraissant pas lui-même exempt d'erreur, l'école
de Sora près de Babylone, en entreprit un autre qu'on appela
Le Thalmud ou la gemare de Babylone. Ce Thalmud, qui parut vers l'an
500, est beaucoup plus estimé que celui de Jérusalem.
Les Juifs ne pensent pas que les Thalmudistes
aient été inspirés ; ils n'attribuent
l'inspiration qu'aux prophètes. Cependant ils préfèrent
le Thalmud à l'Écriture; ils comparent l'Écriture
à l'eau , la tradition à un vin excellent ; ils disent
que la loi est le sel; la Mishua le poivre ; le Thalmud, des aromates
précieux. Ils soutiennent
que celui qui pécha
contre la loi de Moïse, peut être absous ; mais que le
crime de celui qui contredit les docteurs , est irrémissible.
Ils décident toute espèce de question par le Thalmud
comme par une loi souveraine. Le rabbin Isaac assure qu'il ne faut
pas s'imaginer que la loi écrite soit le fondement de la
religion ; il ajoute que c'est la loi orale. C'est au moyen de cette
loi que Dieu a fait alliance avec son peuple. Car il savait que son
peuple serait transporté chez des nations qui transcriraient
ses livres , et il n'a pas voulu ente la véritable loi lut
connue des étrangers. Les rabbins disent : "Apprends ,
mon fils, à avoir plus d'attention aux paroles des scribes
qu'à celles de la loi." On lit dans le Thalmud de
Jérusalem : " Apprends , mon fils , que les paroles des
Scribes sont plus aimables que celles des prophètes." Les
rabbins modernes ont commenté et commentent encore le Thalmud,
et ils n'ont cessé de donner de nouvelles décisions.
Le Thalmud se compose de 24 volumes in-fol. , écrits sans
ordre , sans méthode ; c'est un amas indigeste de contes
superstitieux; d'anachronismes, d'erreurs historiques de tous genres
, au travers desquels il n'est pas aisé de saisir la morale
des rabbins et ce qu'ils prescrivent aux juifs à l'égard
des nations parmi lesquelles ils habitent. Nous citerons donc , pour
le faire connaître sous ce dernier rapport , ce qu'en ont dit
quelques savants érudits qui ont eu le courage de l'étudier,
et nous en donnerons une idée encore plus précise par
l'ouvrage du rabbin Léon de Modène, que les Juifs
apologistes de leur secte , recommandent aujourd'hui comme le livre
qui donne l'idée la plus exacte de la doctrine et des
pratiques qu'ils avouent.
Voici comment
s'exprime Saumaise à ce sujet, après avoir cité
le fameux passage du Deutéronome (21) ,
"Ces paroles du Deutéronome sont entendues par tous les
maîtres sans exception, en ce sens, que l'usure est défendue
à tout Juif avec tous les juifs , et leur est permise avec
tous les étrangers riches ou pauvres. Ce n'est pas une
considération de peu de poids que le consentement unanime de
tous les rabbins a cet égard."
Ailleurs , le même Saumaise dit, à propos de la loi de
Moïse , et sur l'usure des Juifs en général (22)
: "Les Juifs n'étaient pas fort adonnés au
commerce lorsqu'ils habitaient la Judée; mais il s'est avéré
qu'ils ont toujours été grands usuriers, ainsi que les
Syriens leurs voisins." Nous ne consignons ce témoignage
de ce savant érudit, que parce que se consacrant à
relever les fautes des autres , il ne devait rien avancer
légèrement.
Il ajoute : (23)
"C'est parce que les prophètes connaissaient bien le
caractère usurier du peuple juif, qu'ils reviennent si souvent
à la charge à ce sujet . en menaçant des
jugements de Dieu ceux seulement, il est vrai , qui , contre le vœu
de la loi , pratiquaient l'usure envers leurs frères :plus ils
avaient de penchant vers ce péché , plus les prophètes
devaient faire d'efforts pour les en détourner ; d'autant plus
que la permission d'exercer l'usure contre les étrangers
semblait les conduire à ne pas faire grâce même à
leurs frères.
Dans un autre ouvrage , il
dit (24) : "Je n'ai vu nulle part quelle
punition la loi de Moïse infligeait à l'usure défendue
; d'où l'on peu conjecturer qu'elle n'était pas bien
grave , ou plutôt qu'il n'y en avait aucune. En effet. les
peines pour les autres délits sont soigneusement
déterminées."
Enfin (25)
"Les Juifs évitent encore aujourd'hui de prêter à
intérêt aux Juifs,. parce qu'ils savent que la loi de
Moïse le défend; mais comme cette loi le leur permet avec
les nations , on les a vus dans tous les siècles et dans tous
les lieux . autrefois comme aujourd'hui , pratiquer l'usure."
Je rapporterai encore les paroles du juif Zalkind-Hourwrtz, auteur
d'un ouvrage qui concourut avec celui de M. Grégoire, en 1789,
pour le prix proposé par la Société royale de
Metz sur la question : Est-il des moyens de rendre les Juifs plus
heureux et plus utiles en France ? " Malheureusement, dit
Zalkind-Hourwrtz, le Talmud défend seulement de voler le nacri
(l'étranger); mais il permet de profiter de son erreur. Or, on
sait bien que de profiter de l'erreur à y induire, le
chemin n'est pas long.
Comme nous
l'avons dit, les Juifs d'aujourd'hui non-seulement consentent à
ce qu'on prenne dans Léon de Modène l'idée de
leur religion et de leurs pratiques, mais encore ils paraissent le
souhaiter.
Nous allons donc les faire connaître
d'après cet ouvrage.
Toutes les choses
observées ou pratiquées aujourd'hui chez les Juifs, se
divisent en trois classes 1° les préceptes de la loi
écrite de Moïse, qu'ils appellent Mizvoth hatorah ,
ou commendement de la loi ; 2° le Thalmud , ou loi orale ; 3°
les coutumes , qui varient selon les lieux.
On
connait les préceptes de la loi de Moïse , et toutes les
coutumes qu'elle impose : mais les rabbins en ont inventé une
foule de nouvelles; si des Juifs bâtissent une maison, ils
doivent la laisser imparfaite en mémoire de la ruine du
Temple. Ils ne peuvent avoir ni statues, ni portraits : leur
vaisselle et leur batterie de cuisine
doivent n'avoir pas servi.
Les rabbins déterminent .jusqu'à la position qu'on doit
garder en dormant. Ils croient aux songes et jeûnent pour les
conjurer.
Plusieurs sortes d'étoffes
leur sont interdites. N'osant donner à leurs habits la forme
qui leur est commandée, ils portent sous leurs habits un
morceau de drap ayant cette forme, et qu'ils appellent arban
canfoth.
Ils font des ablutions sans
nombre; ils s'interdisent de jeter à terre l'eau où ils
se sont lavé les mains. attendu qu'ils ne pourraient passer
dessus tant elle est immonde. Ils doivent dire au moins cent prières
par jour. Ils les renouvellent à chacune de leurs actions et à
chaque impression soudaine ou vive qu'ils reçoivent. Ils vont
trois fois le jour à la synagogue: ils ne peuvent ni boire ni
manger, ni rien faire , ni même saluer quelqu'un qu'ils n'y
aient été une première fois.
Ils ne peuvent semer deux espèces de grains à la fois.
Ils ne peuvent greffer aucun arbre, ni même en conserver de
greffés sur leur terrain.
Ils ne
laissent presque pas de pauvres parmi eux. Si un pauvre ne peut être
secouru par ceux de la ville où il demeure, il s'adresse aux
rabbins qui lui donnent un billet signé, ainsi conçu :
"Le porteur est homme de bien et de mérite; on supplie
chacun de l'assister. " Avec ce billet partout où il y a
des juifs, le pauvre est secouru. Les rabbins recommandent aussi de
faire la charité aux pauvres étrangers.
Actuellement les Juifs parlent la langue du pays qu'ils habitent ; il
n'y a guère que les rabbins qui soient en état de faire
un discours en hébreu. La principale occupation des Juifs est
l'étude de leurs lois , et ce n'est que pour s'en procurer une
intelligence plus complète , qu'ils peuvent apprendre
quelques-unes de nos sciences. Faire dans un autre but, l'étude
de ces dernières leur paraît fort dangereuse.
Les rabbins prononcent sur tous les différents, décident
des choses défendues ou permises, jugent toutes les matières
de religion , , se mêlent aussi du civil. Ils célèbrent
les mariages, déclarent les divorces, châtient ceux qui
désobéissent, et même, les excommunient. les
rabbins, dit encore Léon de Modène, défendent
l'usure; mais les juifs se la permettent d'après le passage de
l'Écriture.
Les notaires publics ne sont d'aucune autorité
pour eux, si ce n'est qu'en sa qualité d'écrivain, le
notaire vaut un témoin qui, accompagné de deux autres,
rend valide par sa présence toutes sorte d'écritures,
soit qu'il s'agisse de négoce, de testament, de mariage ou de
divorce, ou de toute autre affaire. Tous les procès entre
Juifs sont décidés par les rabbins ou des arbitres. Les
criminels sont livrés aux gouvernements sous la domination
desquels ils habitent.
L'usage d'une foule de
poissons , d'oiseaux de quadrupèdes qui servent à notre
nourriture leur est interdit. Ils ne doivent manger que des mets
apprêtés par les Juifs ; ils ne serviraient pas du
couteau d'un chrétien. Ils observent plusieurs cérémonies
pendant le repas.
Le jour du sabbat, ils
demeurent dans une inaction absolue. Ils ne mangeraient rien qui soit
né ou qui ait été préparé ce
jour-là. Ils ne travailleraient pas éteindre un
incendie; ils ne peuvent allumer du feu , une lampe ; mais il leur
est permis de le faire faire par un individu non juif. Comme on leur
défend également de porter ce jour-là aucun
fardeau , ils poussent le scrupule jusqu'à se vêtir le
plus légèrement possible. Ils doivent s'interdire de
parler d'affaires, d'aller à plus d'un mille de la ville où
ils se trouvent; Les chirurgiens ne peuvent opérer. Les
rabbins laissent aux médecins seuls un peu plus de liberté.
Le Calendrier des Juifs achève de
compléter leur isolement des autres peuples. On l'imprime tous
les ans. Le cours d'une lune fait le mois des Juifs. Leur année
commence au mois de septembre ; pour égaler les années
solaires avec celles de la lune , ils font chaque cycle on révolution
de dix-neuf ans , et de ces dix-neuf ans il y en a sept de treize
mois chacun. Les années de treize mois reviennent tous les
deux ou trois ans ; alors ils comptent deux fois le mois Adar , et
ils le placent entre nos mois de février et de mars, et ils
disent Adar 1er, Adar 2e. Le 15 du mois de Nisan qui répond en
général à Avril , commence la fête de
Pâques ; ils passent tout le temps que dure cette solennité,
à réciter des prières et à faire des
cérémonies qui rappellent leur délivrance de
l'Egypte. Ils ont encore beaucoup de fêtes pendant le cours de
l'année dont quelques-unes durent plusieurs jours. La fête
des Tabernacles en dure neuf.
Tout Juif est
obligé de se marier ; les rabbins ont fixé l'âge
de dix-huit ans pour le mariage. Quiconque demeure dans le célibat
par-delà sa vingtième année, est censé
vivre dans le péché. II est permis à tous les
Juifs d'avoir plusieurs femmes, mais les Lévantins seuls en
profitent. Un mari est contraint de répudier sa femme, s'il
est public qu'il en ait de justes sujets de jalousie. Un mari peut
toujours répudier sa femme quand il lui plaît , et ,
s'il le fait , ils sont libres tous deux de se remarier.
A treize ans et un jour , les hommes sont majeurs; les femmes à
douze ans et un jour. L'éducation, comme nous l'avons dit, se
borne à l'étude de l'Hébreux et des livres
sacrés.
Les Juifs talmudistes ou
rabinistes ont horreur des Juifs caraïtes qui ne reconnaissent
que la loi écrite; ils ne leur permettent même pas
de changer de croyance.
Si quelqu'un veut se
faire juif, trois rabbins. l'examinent et tâchent de tirer de
lui si ce n'est point quelque considération purement humaine
qui le porte à prendre ce parti. Ils lui représentent
que la loi de Moïse est fort sévère, que ses
sectateurs sont sous l'oppression et dans le mépris des autres
nations, et ils ne reçoivent son abjuration que s'il ne paraît
pas ébranlé un instant.
Les Juifs
se confessent à Dieu une fois l'an ; ils récitent leur
confession générale devant ceux qui les assistent à
l'heure de la mort; enfin ils ont des cérémonies
funèbres toutes particulières.
Nous avons fini l'exposition de tous les faits que nous avons pu
recueillir , dans le dessein de faire connaisse l'état présent
des Juifs , les variations de leur sort et les développements
de leur doctrine depuis leur dispersion. Mais nous ne terminerons pas
ce travail sans résumer ces faits, et examiner quels en sont
les principaux résultats.
Les Juifs sortirent des ruines
de Jérusalem et des liens de la captivité pour se
répandre par toute la Terre. Ils portèrent en tous
lieux les sentiments et les croyances que Moïse leur avait
inspirés dans le dessein de les isoler et de leur inculquer la
haine et le mépris des autres peuples.
Haïs et méprises à leur tour , ils ne tardèrent
pas a être persécutés chez toutes les nations qui
leur donnaient asile. Tous les jours ils voyaient davantage se
répandre une religion qui reconnaissait pour Dieu celui qu'ils
avaient crucifié; et ils étaient traités comme
des sacrilèges par tous ceux qu'ils devaient considérer
comme des idolâtres. Les peuples ignorants et barbares les
égorgeaient, tandis que les ministres du Christianisme, plus
éclairés sur la véritable morale de l'Évangile,
les protégeaient et les regardaient comme une preuve vivante
de leur religion même. Une foule de lois cruelles fuient
portées contre eux ; On leur interdit la possession de la
terre, le commerce, l'industrie , et on les condamna pour ainsi dire
à l'usure, à laquelle ils n'étaient ils
n'étaient que trop portés, puisqu'elle leur offrait
à-la-fois le seul moyen de satisfaire leur avidité et
leur vengeance. Les ravages de leur monopole excitèrent
partout les plaintes les plus vives , et pendant plusieurs siècles
les princes ne firent que les chasser et les rappeler tour-a-tour ;
ils les chassaient lorsque le mal devenait trop grand. et ils les
rappelaient quand ils avaient besoin d'argent, attendu que les Juifs
leur payaient de très grosse sommes pour être tolérés,
véritables marchands d'argent, il se trouvait toujours dans
leur mains une grande quantité de cette denrée. Déjà
ils suivaient le Thalinud bien plus que la loi de Moïse, et
leurs adversaires affirmaient que le Thalmud autorisait l'usure. Ce
point fut longtemps controversé entre eux et les Chrétiens;
peut-être même n'a-t-il pas pas encore été
éclairci. Quant à nous il nous parait évident ,
par les passages authentiques que nous avons cité, que les
rabbins ont non-seulement autorisé, mais encore prescrit
l'usure; nous croyons aussi pouvoir assurer que dans le dédale
inextricables de leurs écrits, on trouverait des passages où
ils la défendent. A la vérité il nous a semblé
que la plupart de ces passages étaient postérieurs aux
reproches des Chrétiens. D'ailleurs comment expliquer
autrement que les Juifs qui se trouvent aujourd'hui à faire
presque tous l'usure, soient en même temps les plus religieux
et les plus exactes observateurs du Talmud ? Indépendamment de
ce que renferme la loi des rabbins sur ce sujet, il est un fait
important qui doit trouver ici sa place et qu'aucun juif ne niera :
c'est que les usuriers de cette nation qui se reprochent
intérieurement le mal qu'ils font aux Chrétiens,
croient à l'aide de beaucoup de pratiques religieuses ,
pouvoir l'expier à mesure qu'ils le commettent. n'est-ce point
encore une chose singulière et dont on ne doit chercher la
raison que dans le vice de la morale ou des lois d'un peuple que de
voir la misère , l'ignorance et le malheur le porter à
une seule espèce de désordres et de crimes ? Dans les
autres religions , les hommes grossiers ou misérables se
laissent aller au jeu, au vice, au vol , à la débauche,
selon la nature de leurs positions et la diversité de leurs
humeurs. Ici , c'est toujours l'usure ; nous avouerons que ce simple
fait nous paraissait suffisant pour lever tous les doutes; et lorsque
les Juifs disent qu'ils ne sont usuriers que parce qu'ils sont
malheureux, on pourrait leur répondre que le malheur et
l'oppression avilissent les hommes, mais qu'il ne leur imprime pas ce
caractère constant et uniforme dans leur avilissement.
Nul doute qu'une observation impartiale ne donne cette opinion, que
les Juifs ne se rapprochent des autres peuples ou plutôt qu'ils
ne cessent d'être en opposition avec eux, qu'a mesure que leur
obéissance a leur loi est moins aveugle et moins entière.
Ne voyons-nous pas les Juifs portugais suivre fort peu le Thalmud?
Les savants distingués qu'ont eu les Juifs d'Allemagne, leur
fameux Mendelshonn avaient-ils un grand respect pour la loi des
rabbins ; enfin ceux que nous voyons parmi nous cultiver et honorer
les sciences sont-ils des dévots ?
(1) Joseph, liv. XI.
(2) id. lib. XII.
(3) Basn. liv. VI, chap.
VI.
(4) Abravanel. Manasse.
(5) Théophyl. Simocattes in
Maur. liv. V, chap. VII
(6) Du Haillan. Hist. de Fr. liv. IV, p.
175. - Aventium Annal. Bolar. lib. 4, p. 204.
(7) Hist. , lib.
5.
(8) Deut., ch. XV, v. 6.
(9) Esd. , chap. IX et X.
(10)
Deut. Chap. XXIII, v. 19.
(11) Maimonid. hala ch. Melowa Welowa.
cap. 4 Mun Mikot. praecept. negat. 153. Mana et gemare tit. Buba
metris, cap. 5, Shuleau, Arach. lib. Jore dea cap. 179. 160.
(12)
De foen jud. lib. 2, cap.3.
(13) Deut. chap. XXIII, v. XX
(14)
Josep, Archoelog. 4, cap. 8.
(15)Philon, lib. de charitate.
(16)
Maim. halach Melowa, chap.5, et proecept. negat. Mikotz. 153.
(17)
Sepher Siphri, fol. 51, col. I.
(18) Mores bar Nachman,
Pirusshora, fol. 323, a.
(19) Joseph. Bello. Jud. lib. II. cap.
XII.
(20) Philo de Vite Contemp.
(21) Saum. de Trapeztico
foenorse, p. 683, edit de la Haye, année 1640
(22) id. pag.
370.
(23) id. page 371.
(24) De modo usurarum. Elzévir,
Lahaye, année 1639
(25) De Trapezelico faenore, p. 596.