Sur les juifs
On a présenté au gouvernement
l’idée de priver les Juifs des droits de citoyens;
Ou au moins de les réduire à l’état où
ils étaient avant la révolution.
Elle est dangereuse, en ce qu’elle tend à faire poser en
principe que la religion peut influer sur l’état civil
et politique des Français. Si ce principe était admis,
ce ne serait plus l’habitation sur le sol français,
pendant le temps déterminé par la loi, qui
constituerait le citoyen français.
Le même principe donnerait bientôt naissance à
celui de l’intolérance. Après les juifs, les
Protestants seraient ou pourraient être inquiétés,
les persécutions religieuse pourraient se renouveler.
Tout ce qui habite le sol français est citoyen français,
hors les cas d’exception prévus par la loi ; la secte
n’y fait rien.
Elle est
impolitique en ce que réduire les juifs au simple état
de brocanteurs ou de courtiers, c’est évidemment vouloir
en faire une caste de fripons. Moins avilis sous l’ancien
gouvernement, ils eussent été plus civilisés,
moins démoralisés.
Mais,
dit-on, leur loi leur fait un précepte de l’usure envers
tout ce qui n’est pas Juif.
Erreur
! Les art. 19 et 20, chap. 23 du deutéronome (Vulgate) disent,
il est vrai;
« Non Foenerabis
fratri tuo ad usuram, pecuniam, nec fruges, nes quamlibet aliam rem ;
« Sed alieno. »
Mais ce n’est pas là un
précepte, c’est une faculté.
L’usure est défendue de Juif à Juif ; elle est
permise, et non ordonnée, de Juif à étranger.
Ainsi l’entend M. Le Maître
de Sacy lui-même, dans son Commentaire sur la Bible, et il ne
flatte pas les Juifs.
Mais, dit-on
encore, les Juifs d’Alsace, Lorraine et Trois-Evêchés,
dévorent les campagnes par l’usure ; ils se font adjuger
les biens des paysans qu’ils ont ruinés.
D’abord, sous le rapport de finances et d’économie
politique, qu’importe au gouvernement dans quelles mains
passent les biens du territoire français, pourvu que ce soit
des Citoyens Français; or, les Juifs établis en France
sont Citoyens Français; donc ils peuvent avoir des biens comme
les autres Citoyens Français.
2°
Sur 80 000 Juifs répandus sur le sol de France, 5 ou 600 se
livrent à l’usure. Faut-il pour cela proscrire les 80
000 ?
3° Peut-on leur faire un crime
de l’usure, quand le Code Civil la permet, au moins
implicitement ? ( titre du Prêt).
4° S’ils vexent les paysans par leurs usures, c’est
la faute des Tribunaux. Que les Tribunaux défèrent au
débiteur le serment sur le quantum des intérêts
usuraires cumulés avec le principal; qu’ils réduisent
les condamnations à la somme avouée par le débiteur
pour le principal et l’intérêt légal, à
compter du jour de la demande, et les usuriers seront bientôt
dégoûtés du métier.
5° Que l’on veuille bien faire attention, que les Juifs
usuriers sont les restes d’une race qui s’éteint;
que leurs enfants plus instruits rougiront de ce genre affreux
d’industrie; et d’ailleurs, tous les usuriers ne sont pas
Juifs.
Beaucoup de Juifs figurent parmi
les vainqueurs d’Austerlitz. Plusieurs sont membres de la
légion d’honneur : rentrés dans leurs foyers, ils
y trouveraient pour récompense la proscription, la flétrissure
!
Le Gouvernement ne peut pas vouloir
une telle injustice.
6 mai 1806 Masson, avocat
A Paris, de l’Imprimerie de B. Imbert, rue de la
Vieille-Monnaie, n° 12
Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005