Il ne m'est parvenu aucuns renseignements directs au sujet du
soulèvement qui doit éclater avant peu contre les Juifs
de cet arrondissement, suivant les informations qu'on vous a
données.
Mais voici ce que présume
avoir donné lieu à ce bruit.
La catastrophe arrivée à Alger,
où les Juifs ont été très maltraités,
a réveillé probablement la haine que les paysans en
général ont contre eux par rapport à l'usure que
les Juifs surtout exercent à leur égard. Leurs
débiteurs, exaspérés par cette usure, auront
vraisemblablement dit qu'ils les traiteront comme à Alger; et
s'ils croyaient pouvoir le faire avec sécurité, je
croirais assez qu'ils n'hésiteraient pas à prendre ce
parti.
Le canton de Ferette est celui où
les Juifs sont le plus détestés. Ils sont en très
grand nombre à Durmenach qui est une commune de ce canton.
Dans les communes de Heguenhein, Oberhagenthal et de Niederhagenthal,
canton d'Huningue, ils sont très très nombreux aussi,
et l'on peu dire que dans les communes rurales, principalement celles
où ils s'en trouvent beaucoup, ils y sont en aversion parce
que leur usure y fait plus de victimes que dans les communes où
il y en a peu d'établis.
J'ai déjà
provoqué plusieurs fois l'attention du Gouvernement sur cet
objet dans mes états de situation sous le rapport de la police
générale, et à chaque occasion dans des lettres
de service, en proposant mes idées pour remédier au
mal. Je l'ai prévenu que si l'on ne prenait un parti à
ce sujet, les Juifs finiraient par être les maîtres de
tous les biens fonds de l'arrondissement dont une très grand
partie leur était déjà affectée au bureau
des hypothèques; je lui ai reppelé ce qui s'était
passé dans les années 1778 à l'occasion des
fausses quittances.
Là dessus il a été
ordonné qu'on vérifierait au bureau des hypothèques
le montant des créances des Juifs, et comme je l'avais
annoncé, elles se montaient à des sommes exorbitantes
qui doivent s'être accrues depuis. L'effet de l'usure empirant
chaque jour, chaque minute, la situation des débiteurs.
Depuis cette époque le Gouvernement n'a point fait connaître
ses intentions. Je suppose qu'il médite dans sa sagesse les
moyens d'obvier au mal.
En attendant sa
décision, je crois, Monsieur le Général, que
pour prévenir tout fâcheux éclat, il serait
prudent d'ordonner à la gendarmerie de faire tous les jours
des visites dans les communes où il y a beaucoup de Juifs, et
toutes les semaines des tournées dans toutes les communes
confiées à sa surveillance. Sa fréquente
présence contiendra les malveillants et donnera de l'énergie
aux biens pensants
Recevez, je vous prie,
Monsieur le Général, l'assurance de ma considération
respectueuse
Signé Somervogel