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Le décret
du 30 mai 1806 voulait que l'on recueillît le vœu des
Juifs sur les moyens que leurs députés estimeraient les
plus expédients pour ramener parmi leurs frères l'amour
des arts et des professions utiles
Ces moyens
ont été indiqués dans le règlement du la
décembre dernier, que l'on paraît, vouloir adopter.
Les vœux émis, par l'assemblée, se rapportent à
cette adoption. Il en est un par lequel on demande que les rabbins
consistoriaux soient salariés par l'État et un autre
pour que le sursis du 30 mai soit levé.
Les mesures que l'on sollicitait du Souverain pour que de semblables
désordres ne se renouvelassent plus à l'avenir, avaient
pour objet les modifications à apporter à la levée
de ce sursis, et qui avaient été proposées dans
un Mémoire confidentiel remis par le président au
Ministère de l'Intérieur.
Deux
seules dispositions étaient à prendre. L'une pour la
mise en activité du règlement, l'autre pour le sursis.
Il eut fallu déroger au règlement
en ce qui concerne le salaire des rabbins. Voilà tout ce qu'il
y avait à faire.
Trois projets de
décret.
Le premier portant approbation
du règlement;
Le second sur la
conscription;
Le troisième sur les
créances.
Le premier contient une
omission; le second est inutile; presque toutes les dispositions du
troisième sont dangereuses.
Ce ne sont
point là les moyens proposés par l'assemblée des
députés israélites. Ils se seraient bien gardés
de les indiquer comme propres à faire cesser l'usure, puisque
leur effet inévitable est d'en fortifier l'habitude, et même
de la rendre nécessaire.
Il n'est pas
temps encore d'établir cette triste vérité.
Les députés demandaient que sa Majesté mît
le comble à ses bienfaits en consentant à concourir
elle-même au salaire des rabbins.
Il faut
ajouter ici qu'il fut remis dans le temps, par le président de
l'assemblée, à MM. les commissaires des observations
écrites, pour établir l'utilité politique de
l'adoption de ce vœu.
L'omission de cette
disposition serait grave, si, comme il y a lieu de le penser, les
projets présentés ne sont point convertis en lois: elle
serait indifférente s'il en était autrement; car ces
projets nous reportant à la législation du treizième
siècle, et prononçant à notre égard une
interdiction civile, leur effet n'en serait pas moins désastreux,
soit que la mesure fût adoptée, soit qu'elle ne le fût
pas.
On n'a pas assez; réfléchi
de quel puissant moyen on se privait pour remplir les vues de sa
Majesté, en dédaignant celui -là.
D'ailleurs, ce salaire n'eût été qu'une juste
compensation. L'État reçoit des Juifs les centimes
additionnels pour les frais des cultes : par là ils concourent
aux dépenses des autres, sans que le leur y participe, ce qui
fait évidemment double emploi.
Les
Protestants ont obtenu l'application de ces centimes additionnels aux
frais de leur culte. Pourquoi les Juifs n'obtiendraient-ils pas la
même justice?
On est convenu de regarder
ce salaire comme une compensation des propriétés
appartenant aux corporations religieuses. Mais est-ce la véritable
raison politique qui a déterminé à mettre
cette dépense à la charge de l'État? On ne le
pense pas.
Elle se bornerait pour les Juifs à
20 ou 25 mille francs par an, ou même, si l'on veut, à
la moitié de cette somme ; car c'est moins le salaire en
lui-même qu'ils, considèrent, que la qualité de
salariés du Gouvernement.
Telle est la
seule observation qu'ils ayent à faire sur le premier projet
de décret.
Passons au second.
Il veut que les deux tiers des Israélites appelés par
la conscription fassent leur service en personne, ou par des
remplaçants de leur religion. En cas d'inobservation, aucun
Israélite ne pourra être présenté par les
ministres aux places à la nomination de sa Majesté.
.Les Juifs ne sont pas moins faillibles que les autres hommes; mais
si l'on veut être juste à leur égard, il faut
beaucoup se méfier des plaintes que dans les départements
du Nord on porte contre eux. N'en serait-il pas du reproche d'éluder
la conscription , comme du projet d'envahir le territoire tout entier
de la ci-devant Alsace, à l'aide de leurs créances?
N'a-t-il pas été démontré que ces
créances, loin d'égaler la valeur du fonds, n'égalaient
pas le quart du revenu d'une année?
Quels moyens peuvent avoir les Juifs d'éluder cette loi, que
n'ayent pas comme eux tous ceux qui y sont assujettis ? Où est
la preuve qu'ils l'éludent plus que les autres? Ceux qui ne
font pas le service se font remplacer, et par là, ils
satisfont à leur devoir : ceux qui n'ont pas le moyen de se
faire remplacer font leur service, à moins d'infirmités
qui les en dispensent.
Que font de plus les
sectateurs des autres religions?
L'assemblée
générale de leurs députés ayant été
invitée à s'occuper de cet objet, avait pensé y
avoir suffisamment pourvu par l'article XXI du. projet de règlement,
et par les décisions doctrinales du grand sanhédrin.
Elle s'était convaincue qu'il y avait dans les armées,
soit en France; soit dans le royaume d'Italie, des officiers et des
soldats Juifs qui s'y conduisent en braves militaires. Elle avait vu
que quelques élèves de cette religion, de l'école
polytechnique, étaient partis volontairement ; que si dans le
département de la Moselle, par exemple, des Israélites
se sont fait remplacer par des Chrétiens, dans le département
de la Gironde des Chrétiens se sont fait remplacer par des
Israélites.
On n'a pas réfléchi,
en outre, qu'il y a des lieux où la disposition proposée
serait inexécutable. Il peut arriver, en effet, que trois ou
quatre familles seulement habitent dans la même commune, et que
chacune ait à fournir un conscrit dans la même année;
si quelqu'un est obligé de se faire remplacer, où
prendra-t-il un remplaçant de sa religion ?
La disposition serait une flétrissure et une injustice : elle
punirait, en cas d'inobservation l'innocent pour le coupable.
Supposez: un homme de bien et de talent, n'ayant ni fils, ni frères,
ni neveux, et vivant dans une ville où les Israélites
éludent la loi. Il sera peut-être le premier à
les en blâmer, à les exhorter à la suivre : s'il
n'est point écouté, en quoi aura-t-il mérité
l'exclusion dont parle l'article du projet? Pourquoi enfin le punir
d'une faute qu'il n'a pas commise, qui ne se commet par d'autres qu'à
son grand déplaisir? Pourquoi enfin cette solidarité
par le seul motif de la conformité de croyance?
C'en est, sans doute, assez sur cette matière; examinons le
troisième projet.
Ici le contraste est
frappant entre le vœu qui précède et les
dispositions qui suivent ; entre tout ce qui s'est passé aux
yeux de la France et de l'Europe, et le résultat affligeant
que le projet présente. L'esprit de ce projet choque les
intentions manifestées par sa Majesté. La lettre même
y est opposée à la lettre de son décret du 30
mai 1806, et aux assurances transmises de sa part par ses
commissaires.
Ce qu'il y a de plus triste
encore, c'est que les moyens proposés , loin de guérir
le, mal, le rendent incurable.
On croira
peut-être que nous avançons un paradoxe insoutenable ,
en disant que ce projet, destiné principalement à
réprimer l'usure , la favorise , la commande en quelque sorte,
laisse le champ le plus libre à ses exactions, et les couvre
d'une sacrilège impunité.
Laissons pour un instant de côté les six premiers
articles: nous y reviendrons.
Le septième
jusqu'au seizième prononcent une interdiction civile contre
les Juifs, et les placent dans la situation la plus désastreuse
où ils se soient trouvés depuis leur dispersion.
Le commerce et l'industrie en grand leur deviennent
inaccessibles.
Les arts ; les métiers ,
les professions utiles leur sont rendus impraticables. L'industrie
même agricole, leur présente assez d'obstacles pour
qu'ils s'en éloignent.
Tout cela est
indépendant de la honte, de l'abjection, de l'avilissement
attachés désormais à la qualité de Juif,
circonstance qui suffirait à elle seule pour neutraliser les
effets de la meilleure loi.
Voilà donc
des gens de bien d'une religion , privés tout à la
fois, et de plusieurs moyens d'existence, et de tous moyens de
considération. Mais il reste une ressource à une classe
digne d'en profiter, et cette ressource c'est l'usure.
Oui, l'usure, et, qui plus est, à l'abri du blâme de
l'opinion. Le projet indique, sans le vouloir, les sentiers
ténébreux, les détours inextricables où
ses fraudes pourront se commettre. Les exacteurs peuvent être
tranquilles, l'innocence seule expiera leurs crimes.
L'article VII interdit aux Juifs de prêter à des
personnes inhabiles à contracter mais le Code civil y avait
pourvu. Ce qui est d'une application générale est aussi
d'une application particulière. Pourquoi faire un article de
loi pour prescrire ce que prescrivent d'autres lois en vigueur
connues de tout le monde?
En législation,
c'est un mal de multiplier les lois sans nécessité. Ici
l'auteur du projet n'a pas fait attention qu'il proposent une
disposition inutile ; que cette disposition, liée à
toutes les autres , forme une. législation particulière
; que toute législation . particulière dans un grand
Empire, rompt l'uniformité des lois et viole le principe de
l'unité politique; que ce principe une fois méconnu,
ramène à la bigarrure qui existait dans l'ancienne
Monarchie ; et que cette bigarrure ralentit l'action du Gouvernement.
Se pourrait-il que ce fût par nous que l'on commençât
cet impolitique retour?
L'article VIII. exige
le visa d'un magistrat pour valider les obligations contractées
au profit des Juifs. Certes, la plupart des magistrats sont probes et
incorruptibles ; mais les notaires aussi sont des dépositaires
de la confiance publique sur la loyauté desquels on a coutume
de se reposer. On se demande pourquoi tous les contrats stipulent un
intérêt de cinq pour cent, quand tout le monde; sait que
la plupart des prêts se font à un taux plus élevé
?
N'est-il pas évident que la nécessité
établira :une connivence entre l'emprunteur gêné
et le prêteur avide ? Que celui-ci délivrera en présence
du magistrat la somme entière, et que l'emprunteur lui
restituera la portion convenue pour former le prix de l'intérêt?
Mais on n'a pas réfléchi que ce subterfuge même
n'était pas nécessaire; car le projet affranchit de ces
formalités les billets ordinaires de commerce : dès
lors les prêteurs feront souscrire des engagements de cette
nature, qui, sous tous les rapports, leur offrent plus de sûreté.
A l'égard de toutes les obligations par acte authentique, il
faudra le concours de deux officiers publics. D'une part le notaire,
de l'autre le juge de paix. Quel est celui des deux qui devra se
transporter chez l'autre ? N'y aura-t-il pas là un conflit
d'amour-propre ? Ce conflit n'embarrassera-t-il pas les contractant?
Ou bien, ce que prescrit l'article ne finira-t-il pas par ressembler
au concours des deux notaires pour la passation d'un acte de leur
ministère, c'est-à-dire, à une formalité
aussi vaine qu'illusoire ?
Mais, on le
demander, pourquoi ces précautions contre tout ce qui porte le
nom de Juif ? C'est, dit-on, pour atteindre quelques escrocs et pour
garantir quelques dupes. Il est connu, et il a été
démontré, que sur environ cinquante mille individus de
cette religion qui habitent les départements du Nord, on ne
signale que vingt ou vingt-cinq individus envers lesquels on pourrait
justifier de pareilles précautions ; en est-ce assez pour
faire subir aux cinquante mille la flétrissure de la loi?
N'est-ce pas retomber plus cruellement que jamais dans l'inconvénient
tant de fois rappelé qui faisait imputer à tous le
blâme mérité par quelques-uns ? Ici on va plus
loin encore ; ce n'est pas seulement un reproche , c'est un cachet
d'opprobre que l'on attache au nom de Juif.
Il
est douteux si les usuriers de la ci-devant Alsace voudront se donner
la peine de se soumettre à des formalités semblables
pour donner plus d'authenticité à leurs créances,
ou s'ils n'aimeront pas mieux recourir au moyen plus simple,
d'associer à leurs opérations des usuriers Chrétiens
à qui il est donné de pratiquer sans gêne cette
noble profession. Ainsi, à l'aide d'un Chrétien, voilà
les Juifs affranchis de toute contrainte, délivrés de
toute appréhension, de tout reproche, et continuant leurs
usures en échappant à tous les regards.
Si l'on demande quel sera leurs recours contre leurs coopérateurs
Chrétiens, ne le trouvent-ils pas en leur faisant souscrire
des effets au porteur ?
L'article X veut
qu'aucun: Juif ne puisse prêter sur nantissement, à
moins que ledit prêt ne soit accompagné d'un acte
authentique indiquant, etc. etc.
Que l'on
jette un regard autour de soi, on verra;. de toutes parts des maisons
de prêt, des maisons de commission, des bailleurs de fonds sur
nantissement , et parmi tous ces gens là, on ne verra pas
figurer un seul Juif.. Qui ignore d'ailleurs qu'il existe des lois
qui prescrivent que tout dépôt de marchandises, ou
effets donnés en nantissement, soit accompagné d'un
acte public ? Par quelle fatalité ceux envers lesquels on a le
moins de précautions à prendre à cet égard,
sont-ils précisément ceux qui suggèrent contre
eux les plus injurieuses ?
Au reste, peu
importe. Que l'abus soit réprimé partout où il
se montre. Ici on ne fait que le consacrer par des formes légales.
En vain exige-t-on, une déclaration .de la. somme prêtée.
La complaisance de l'emprunteur, commandé par les
circonstances; se prêtera à tous les arrangements exigés
par le prêteur, et reproduira les détours que nous avons
signalés sur l'article précédent. Quelques
prêteurs seront peut-être frustrés de leurs
conditions. Malheur alors aux emprunteurs sur lesquels on
s'indemnisera de ce risque, par des conditions plus dures et des
précautions plus humiliantes!
Cette
disposition, sans qu'il paraisse que l'on s'en soit aperçu,
attaque aussi les opérations les plus usuelles du commerce. Le
négociant qui avancera des fonds sur des consignations
perdra-t-il son privilège, parce qu'il ne voudra pas se
soumettre à des formalités qui blessent les sentiments
d'un homme d'honneur ?
Quand même
l'article XI n'aurait pas été prévu par les lois
existantes, il n'en aurait pas moins été inutile pour
les sectateurs de la loi de Moïse. Cette loi leur défend
expressément de retenir jusqu'à la nuit les vêtements
mis en gage par le pauvre.
Il faut le répéter,
toutes ces restrictions n'amèneront d'autre résultat
que d'engager les usuriers à se mettre en règle, que de
légaliser en quelque sorte les exactions de l'usure. S'il faut
tant de précautions pour le prêt sur nantissement, on le
déguisera sous des transactions de vente. La restitution de
l'objet vendu sera promise par le bailleur de fonds. Il ne faut pas
perdre de vue que dans tous ces cas, le besoin se soumet à la
loi qu'on lui impose, et que cette loi c'est l'avarice qui la
dicte.
C'est dans les articles XII et XIII que
se développe l'esprit du projet de décret. Celui du 30
mai 1806, en suspendant l'effet des condamnations, réserve
cependant aux créanciers le droit d'inscription pour conserver
leur rang et leur privilège. Le projet présenté
est bien plus rigoureux; il interdit aux Juifs, non propriétaires,
la faculté de prendre des inscriptions hypothécaires.
Ce n'est pas seulement leur défendre de prêter, c'est
leur défendre d'accorder aucune espèce de crédit
En d'autres termes, c'est les exclure du commerce, des arts, de
l'agriculture même.
N'est-il pas vrai que
les dettes produites par le commerce, trouvent, à défaut
de paiement, une sûreté dans les hypothèques? Or
la banque roule uniquement sur le crédit Les établissements
industriels ont un indispensable besoin de ce véhicule.
L'artisan même, malgré ses besoins journaliers, est
obligé d'accorder cette facilité pour se procurer du
travail. L'agriculteur ne trouve souvent à se défaire
de ses denrées qu'en les vendant à terme. Toutes ces
classes, parmi les Juifs, sont condamnées à n'en
accorder à: personne ; elles compromettraient le fruit de
leurs sueurs par des crédits qui ne leur présenteraient
aucune garantie.
Non-seulement l'esprit de ces
deux articles conduit à ce résultat d'empêcher
les Juifs de prêter, mais aussi d'empêcher qu'on ne leur
prête. Il est rare qu'en matière de crédit et de
confiance il y ait action sans réaction. Tous les genres
d'industrie sont dans une mutuelle dépendance, tous se prêtent
une assistance réciproque. On ne peut eu gêner un ,
circonscrire son développement par des entraves, sans que ces
circonstances influent sur les autres. Par la même raison que
les Juifs, dans les crédits qu'ils accordent, ne trouveront
plus la même sûreté, leurs propres engagements ne
présenteront plus la même solidité. Dès
qu'ils ne pourront plus faire crédit, ils ne pourront plus eu
jouir. Se peut-il que ce soit en les plaçant dans cette
situation qu'on les invite à devenir des citoyens utiles et
laborieux?
Autrefois on bannissait les Juifs;
mais cette idée ne pouvant être présentée
à un Monarque aussi éclairé que juste, on a
imaginé de proposer de laisser les Juifs en France, et de les
bannir de toutes les carrières utiles. Au sein même de
la France , ils seraient expulsés de leur patrie car pour tous
les hommes, ubi bene, ibi patria.
L'article XIII laisse une ressource certaine à un petit nombre
de Juifs. L'usurier éludera la loi , pu: plutôt il
trouvera les moyens de continuer ses opérations avec pleine
sécurité. Pour obtenir une hypothèque, il lui
faut une pareille valeur en biens-fonds. Et bien! il en, achètera,
obtiendra du crédit de son vendeur, lui paiera un gros revenu
, et s'indemnisera par les bénéfices que lui permet le
prêt usuraire.
Le négociant dont
les bénéfices sont si éventuels , le fabricant
qui n'en fait que de très modérés, l'artisan,
l'agriculteur, qui, le plus souvent, ne gagnent que ce qui est
nécessaire à leur subsistance; les hommes de toutes ces
classes, trouveront-ils assez d'avantages dans leurs professions pour
subvenir à leurs dépenses et acquérir des
propriétés ? peuvent-ils employer leurs capitaux
disponibles, quand même nous supposerions qu'ils en ont, sans
affaiblir, sans anéantir l'aliment de leur industrie ?
Quelle
ressource leur restera-t-il ? L'usure, parce que seule elle est
encouragée, protégée dans ce projet de loi; elle
y est, pour ainsi dire, indiquée comme l'unique moyen
d'existence. S'il est vrai que la plupart des hommes cèdent,
tôt ou tard, à des besoins qui se renouvellent tous les
jours; si le cri de la nature, l'aspect d'une famille prête à
mourir de faim, l'emportent sur la voix de la conscience, on peut
prédire qu'avant dix-ans, si une pareille loi existait en
France, nos détracteurs seraient dispensés de signaler
quelques départements où un petit nombre de Juifs fait
l'usure. Nous ne craignons pas de le dire, tous ceux qui auraient pu
se résoudre à rester en France sous le poids de
l'ignominie, tous deviendraient usuriers.
Pourraient-ils songer à devenir propriétaires,
lorsqu'ils ne trouvent plus cette garantie que présente une
législation uniforme et constante? C'est parce que le
propriétaire est plus lié à la Patrie qu'il est
plus inquiet sur la loi qui le régit. Il craint de dépendre
de l'esprit du moment, du caprice de la puissance *.
Les droits civils sont des attributs inhérents à la
propriété ; ils sont aussi réels, aussi sacrés
qu'elle-même ; ils en sont l'âme et le plus solide appui.
On ne peut attenter à ceux-ci par des lois d'exception
particulières, sans attenter à celle-là. La
moindre incertitude l'effarouche. Le projet proposé en vue de
faire acquérir de nouvelles propriétés, répand
l'alarme sur celles que l'on possède déjà, parce
qu'en modifiant les droits, il affaiblit les garanties, ébranle
la sécurité, et produit une alarme dont l'effet est
diamétralement opposé aux vues généreuses
qui avaient déterminé notre convocation.
Ainsi l'Israélite dont la fortune mobilière serait dix
fois plus considérable que ses propriétés
foncières, éloigné de l'idée de la
convertir en biens-fonds par les dispositions même que l'on
propose pour l'y engager, se verra contraint de la faire passer chez
l'étranger, puisqu'il ne peut guère l'utiliser en
France avec sûreté, qu'au prorata des biens-fonds qu'il
possède. On le place dans l'alternative ou de l'éloigner
de lui, ou de la laisser oisive dans ses mains.
L'article XV prescrit aux conservateurs des hypothèques de
n'inscrire en faveur des Juifs qu'après s'être fait
représenter les titres qui établissent leur propriété,
etc.
Les articles précédents sont
inexécutables, et celui-ci le prouve.
Le
conservateur devra; donc demander à ceux qui se présenteront
dans sou bureau, quelle est la religion qu'ils professent.
Il n'inscrira qu'après s'être assuré que l'on
possède en biens-fonds une valeur égale à celle
que l'on fait inscrire; mais comment le conservateur pourra-t-il
savoir si le même individu n'a pas fait inscrire dans d'autres
bureaux.? Faudra-t-il qu'il soit en correspondance avec tous ses
confrères des autres département de l'Empire?
L'article XVI veut, .qu'aucun représentant héritier ou
cessionnaire d'un Juif, ne soit admis à arguer d'ignorance ou
de bonne-foi, lorsque le titre dont il sera porteur ne sera pas
revêtu des formalités prescrites par les dispositions
précédentes.
Il est impossible
qu'en rédigeant cet article du projet, on ait eu la moindre
idée des inconvénients qu'il présente dans son
exécution : par lui, la négociation des valeurs; créées
par la confiance est en quelque sorte interdite aux Juifs, ou du
moins extrêmement difficile, parce qu'elle ne présente
plus, aux preneurs la même garantie. La loi veut qu'aucun
individu sans exception; professant la religion de Moïse,
ne puisse faire contracter à son profit aucun engagement sans
le visa d'un juge de paix ; par là il se trouve
assujetti à cette formalité pour toute: cession,
transport, ou simple endossement d'un engagement déjà
fait, c'est-à-dire, pour toute transmission des valeurs en
papier. L'exception prononcée en faveur des effets de commerce
sera trop souvent sujette à des contestations, et pour n'y
être point exposé, tout effet de cette nature, sur
lequel figurera un nom de l'ancien testament, sera repoussé de
la circulation. Si la confiance n'est pas détruite, elle est
au moins très-affaiblie. Le commerce s'effarouche des
formalités, des incertitudes, des discussions qui ralentissent
la rapidité de sa marche. Ou là loi tombera bientôt
en désuétude, ou elle exclura les Juifs du
commerce.
Et remarquez que cette disposition
destructive de l'industrie commerciale, ne déjouerai pas les
stratagèmes de l'usure. A la faveur des effets au porteur,
l'usurier opérera ses revirements, alimentera son odieux
trafic , tandis qu'à côté de lui l'industrie et
le commerce mourront d'inanition.
Les six
premiers articles du projet statuent, pour la plupart, sur des objets
prévus par des règlements de police municipale , et
qu'il était inutile de rappeler, principalement, lorsque l'on
adoptait le règlement du 10 décembre dernier, qui
attribue aux consistoires l'espèce de police qu'il convient de
leur donner sur les étrangers.
L'article III soumet: les colporteurs ou revendeurs à une
autorisation spéciale et annuelle des Préfets, etc.
,
Cette disposition, qui se rapporte à
ceux qui sont nés ou naturalisés en France, est
humiliante et injuste : ils sont Français et citoyens,
pourquoi ne jouiraient-ils pas des mêmes droits dont jouissent
les autres Français exerçant le même métier
? Si leur nombre a été jusqu'ici considérable,
la faute en est aux anciennes lois, qui leur prohibaient
l'exercice des métiers. Aujourd'hui que l'un des objets
essentiels des consistoires locaux, sera de diriger la. jeunesse vers
cet exercice, le colportage diminuera sensiblement. La seule
précaution qui était à prendre, c'était
de statuer qu'il ne leur serait délivré de patente que
sur un certificat de bonnes mœurs; donné par leur
consistoire : ce qui aurait facilité à celui-ci, les
moyens de ramener aux professions utiles tous ceux qu'il en aurait
jugé capables. Il ne faut pas perdre de vue que tout est
destiné , dans les établissements proposés par
l'assemblée générale , à inspirer aux
Israélites un invincible dégoût pour un trafic
ignoble qui rétrécit l'âme et dégradé
le caractère **.
L'article XX renferme l'aveu implicite que les dispositions
précédentes ne sont pas généralement
applicables ; et toutefois le projet commence par les étendre
sur tous. Cependant ou, n'ignore pas que sur environ vingt
départements de l'Empire où il se trouve des Juifs , il
n'est parvenu des plaintes que d'un très-petit nombre ; que
sur les six dénommés dans le décret du 30 mai
1806, il y en a contre lesquels personne n'a réclamé,.
en sorte que tout se réduit à trois ou quatre, où
un certain nombre d'individus connus , méprisés et
abhorrés de leurs coreligionnaires plus encore que des autres
habitants , exercent le trafic de l'usure.
Pourquoi faut-il dès-lors qu'innocents et coupables , tous
soient d'abord frappés du même opprobre ? En vain
dira-t-on que ces mesures n'atteignent que les seconds : sans doute
il en sera ainsi sous le rapport purement judiciaire , mais si sous
le rapport politique , mais dans l'opinion publique , tous les Juifs,
sans distinction, seront avilis.
Pour ne plus
trouver de coupable, le projet destine à une masse
entière le traitement réservé au seul coupable.
Par un renversement de toutes les idées, ce n'est plus le
châtiment qui: succède au délit, mais qui
le précède.
D'abord, on
fait subir à tous l'humiliation et l'affront: de la loi, puis
, on se réserve de réparer l'injustice que l'on: commet
sciemment. Au lieu de commencer par restreindre les dispositions
proposées aux lieux et aux individus, on commence par ne pas
adopter de restriction. Mais la flétrissure restera, la honte
aura été publique, générale; la
réparation sera clandestine et particulière. On veut
faire grâce : on ne veut pas faire justice.
L'article porte : "Que l'on se réserve de suspendre
l'exécution du présent décret dans les
départements où il n'aurait été
porté aucune plainte sur la conduite des individus
professant » la religion de Moïse ».
Il faut remarquer qu'il n'est pas dit ici des plaintes relatives à
l'usure, mais des plaintes sur la conduite ; ce qui
donne une latitude indéfinie à la réserve de
suspendre ou de ne point suspendre l'exécution du décret.
De plus, sont-ce des plaintes contre un seul ou contre tous qui
détermineront à ôter ou à laisser la
flétrissure de la loi ? Quelle est donc cette perfection plus
qu'humaine que l'on exige de ceux que l'on traité avec tant de
mépris.
Le projet est évidemment
imprévoyant et irréfléchi; car en tout ce qui
concerne les Israélites, même des départements
septentrionaux, il s'agit moins de punir des crimes que de réformer
des habitudes ?
L'assemblée, par son
arrêté du 30 mars ,émit le vœu que les
habitudes vicieuses fussent réformées. Elle
considéra que des lois coercitives peuvent bien être
dirigées contre les actions, mais qu'il fallait une
influence, une autorité d'un autre genre sur les
habitudes. Pénétrée de l'idée que les
mœurs ne se réforment que par d'autres mœurs, tous
ses travaux se dirigèrent vers ce but.
De deux choses l'une : ou l'existence des Juifs en France est un mal
et alors il faut les en bannir; ou elle n'est point un mal, et alors
ce ne sont plus des Juifs qu'il faut voir en eux , mais des
Français.
Aujourd'hui qu'ils attachent
un prix inestimable à la qualité de Français, il
leur serait mille fois plus douloureux de de le porter avec
déshonneur, que d'être réduits au malheur de le
perdre. Ils aimeraient mieux être proscrits que déshonorés.
Dans les. projets proposés tout semble contredire le passé;
tout contrarie les desseins, magnanimes, de sa Majesté au
détriment de l'honneur de cent-vingt-mille individus Français
et Italiens, ses sujets fidèles, coupables seulement de
professer une religion qui est aussi celle de quelques usuriers de
.la ci-devant Alsace.
Un semblable projet ne
serait pas admissible, quand même on aurait fait l'expérience
de l'inefficacité des moyens proposés par l'assemblée,
à plus forte raison lorsque cette expérience n'est pas
même commencée.
Il présente
un mélange bizarre de protection apparente et
d'oppression réelle, et semble nous reporter au règne,
de Philippe-le-Bel
Les lois précédentes
avaient été pour les Israélites comme autant de
mains secourables qui leur étaient tendues pour les sortir du
gouffre des proscriptions : celle-ci les y replongerait que
jamais.
Ce serait vouloir qu'ils se repaissent
de glands, après qu'ils ont trouvé l'usage du blé.
A Dieu ne plaise qu'ils aient la moindre crainte que ces projets
soient adoptés, ce serait méconnaître les vues
grandes et libérales du plus puissant Monarque de la
Terre.
Toute leur confiance repose sur son
auguste tête; et eux aussi disent, dans l'effusion de leurs
cœurs : Si l'Empereur le savait !
Ils ne demandent au Conseil d'État que cette grâce. Que
sa Majesté soit instruite de leurs sentiments, alors ils ne
redouteront rien pour leur honneur; un père veut
conserver celui de ses enfants.
FURTADO, ex-Président.
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* Discours de MM. les commissaires impériaux, du 28 septembre;
** Voyez page 227 du Recueil des procès-verbaux, ,. et la Lettre du président aux Juifs de Francfort , page 166,
Source : BNF-Gallica