Projet de décret du Conseil d'Etat
Sur la Convocation d’une Assemblée 
d’individus professant la religion juive

Par M. Regnaud (de Saint Jean d'Angély)
Rapporteur

Napoléon, Empereur des Français et Roi d’Italie;
 

 Sur le compte qui nous a été rendu que dans plusieurs départements septentrionaux de notre Empire, des individus de la religion juive, n’exerçant aucune profession, aucune industrie utile, se livrent uniquement à l’usure ; qu’au moyen du prêt le plus modique, rapidement grossi par les intérêts les plus immodérés, ils ont acquis des droits apparents, et se sont fait donner des titres pour des sommes considérables qui ne leur sont pas réellement dues ;
 Que par ces contrats frauduleux ils ont préparé la spoliation d’un grand nombre de cultivateurs;
 Qu’en vertu de lettres-de-change ou d’obligations surprises à la crainte et à l’ignorance, ils peuvent atteindre en même temps dans leurs personnes et dans leurs biens la plus grande partie de ces cultivateurs;
 Que s’il n’était porté remède à de si dangereux abus, un grand nombre de nos fidèles sujets, actuellement menacés d’un emprisonnement et d’une expropriation injustes, seraient bientôt privés de leur liberté et dépouillés de leurs biens ;
 Qu’il est nécessaire que nous interposions notre autorité pour arrêter le mal présent et pour l’empêcher de renaître à l’avenir;
 Considérant que l’exécution des contrats usuraires et frauduleux que la voix publique et les magistrats nous ont dénoncés, ne peut avoir lieu sans consacrer irrévocablement l’injuste spoliation d’un nombre considérable de sujets ; 
 Que ceux au profit de qui se ferait la spoliation, n’ayant dans nos États aucune propriété, aucun établissement, n’étant, pour la plupart, que d’avides cosmopolites, pourraient emporter le prix des immeubles dont ils auraient, par leurs manœuvres, dépouillés illégitimement nos sujets, et que tout recours à notre justice serait enlevé aux victimes de leur cupidité
 Que la vente simultanée des biens dont les propriétaires sont menacés d’expropriation, dans la partie considérable de notre Empire, avilirait en même temps le prix des domaines patrimoniaux au préjudice des particuliers, et le prix des domaines nationaux au préjudice de l’État;
 Que sans porter atteinte à des contrats attaqués avec raison, mais où la fraude a su se cacher sous l’apparence des formes légales, la justice peut et doit en suspendre l’exécution;
 Qu’un sursis ordonné par nous à cette exécution sera d’abord un avertissement à ceux qui ont surpris ou extorqué les obligations fausses ou usuraires, de rendre eux-mêmes justice aux individus qu’ils ont trompés ;
 Que ce sursis donnera en outre aux tribunaux et aux administrateurs de notre Empire le temps de vérifier les faits et d’éclairer notre justice, avant que notre autorité agisse définitivement;
 Que ce même sursis ne portera, en fin de cause, aucune atteinte aux droits légitimes des créanciers, parce que d’un côté il n’arrêtera pas les actes conservatoires, et que de l’autre les intérêts des capitaux légitimement dus pourront être payés pour le temps du retard.
 Considérant en même temps que notre justice ne doit faire aucune distinction entre les habitants de notre Empire, quels que soient leur culte et leurs principes religieux ;
 Que la vérité doit toujours avoir près de notre trône un libre accès ;
 Que si les accusations y sont arrivées appuyées de tout ce qui pouvait nous déterminer à une mesure provisoire, nous devons à ceux qu’elles inculpent tous les moyens de nous faire parvenir, ou leur justification, ou leurs motifs d’atténuation, ou leur résolution de réparer leurs torts; 

décret
Sur la Convocation d’une Assemblée 
d’individus professant la religion juive.

Au Palais de Saint-Cloud, le 30 Mai 1806

NAPOLEON, EMPEREUR DES FRANCAIS ET ROI D‘ITALIE; 
Sur le compte qui nous a été rendu, que dans plusieurs département septentrionaux de notre Empire, certains Juifs, n’exerçant autre profession que celle de l’usure, ont, par l’accumulation des intérêts les plus immodérés, mis beaucoup de cultivateurs de ce pays dans un état de grande détresse. 
 Nous avons pensé que nous devions venir au secours de ceux de nos sujets qu’une avidité injuste aurait réduit à ces fâcheuses extrémités.
 Ces circonstances nous ont fait, en même temps, connaître combien il était urgent de ranimer, parmi ceux qui professent la religion juive dans les pays soumis à notre obéissance, les sentiments de morale civile qui malheureusement ont été amortis chez un trop grand nombre d’entre eux, par l’état d’abaissement dans lequel ils ont longtemps langui, état dans lequel il n’entre point dans nos intentions de maintenir ni de renouveler. 
 
 
 

 

Que le moyen le plus sûr de connaître ce que les individus professant la religion juive peuvent désirer de nous faire entendre en leur faveur, c’est de réunir près de nous et notre capitale, les plus instruits et les plus distingués d’entre eux, pour qu’ils puissent nous apporter leurs réclamations et nous exprimer leurs vœux.
 Que les notables des juifs ainsi rassemblés pourront recueillir et transmettre à tous ceux qui sont répandus dans notre Empire, nos intentions de ne juger personne sur sa croyance, mais sur ses actions;
 Qu’ils pourront s’assurer que loin qu’il soit dans notre volonté de leur retirer les avantages et les droits dont jouissent dans notre Empire, notre désir est de leur préparer les moyens de s’en rendre dignes, et de se les assurer à jamais;
 Que nous désirons consulter les premiers d’entre les juifs sur les moyens de relever leurs principes et leur morale civile, sans porter atteinte à leur liberté religieuse, jusqu’aux principes et à la morale des lois et des institutions françaises, que tous les habitants de notre Empire doivent suivre et respecter ;
 Que ce n’est pas pour l’isoler au milieu de la nation française que nous réunissons sous nos yeux une espèce de représentation de la nation juive ; mais au contraire pour consulter ses sages sur les moyens d’assurer à tous leurs frères une place honorable pour eux et utile à la France parmi ses citoyens;
 Que notre pensée n’est pas de faire renaître ou de prolonger l’abaissement où ils ont été longtemps réduits ; mais de les exciter, de les instruire à en sortir, en abjurant l’ignorance, l’oisiveté ou les honteux trafics auxquels l’ancienne législation française et la législation actuelle de plusieurs États les avaient condamnés;
 Que notre bienveillance veut au contraire les appeler à l’instruction et au travail, à l’exercice des arts et des professions utiles, afin de substituer des moyens honorables de subsistance aux moyens honteux auxquels ils se sont réduits, afin de rendre leur existence dans nos États, aussi utile, aussi productive qu’elle put être destructive ou stérile;
 Que la persécution n’est à redouter que dans les temps d’ignorance, de fanatisme ou de faiblesse, mais que sous les lois que nous faisons régner, au sein des lumières dont nous favorisons les progrès, nous avons à la fois la volonté et le pouvoir d’éclairer, d’organiser, de rendre utile cette portion de nos sujets dont nous appelons des députés près de notre trône ; et lorsque nous  nous occupons des juifs, ils doivent bannir toute crainte, et se livrer à l’espérance d’un sort meilleur et plus assuré;
 Que la sévérité et la rigueur, toujours loin de notre intention, mais commandées quelquefois à notre justice, ne seront jamais armées qu’après que nous aurons inutilement employé la raison et la persuasion, l’indulgence et la bonté ;

Pour l’accomplissement de ce dessein , nous avons résolu de réunir en une assemblée les premiers d’entre les Juifs, et de leur communiquer nos intentions par des Commissaires que nous nommerons à cet effet, et qui recueilleront en même temps leur vœu sur les moyens qu’ils estiment les plus expédiens pour rappeler parmi leurs frères l’exercice des arts et des professions utiles afin de remplacer, par une industrie honnête, les ressources honteuses auxquelles beaucoup d’entre eux se livrent de père en fils depuis des siècles.

A ces causes,
 Sur le rapport de notre grand juge ministre de la justice, et de notre ministre de l’intérieur;
 Notre Conseil d’état entendu,
 Nous avons décrété et décrétons ce qui suit :

A ces causes,

 Sur le rapport de notre Grand-Juge Ministre de la Justice et de notre Ministre de l’intérieur; notre Conseil d’État entendu,
 Nous avons DECRETE et DECRETONS ce qui suit :

Article 1er
 Il est sursis, pendant un an, à compter de la date du présent décret, à toutes exécution de jugement ou contrats, autrement que par simple actes conservatoires, contre des cultivateurs non négocians des départements de la Sarre, de la Roer, du Mont-Tonnère, de la Meurthe, du Haut et du Bas-Rhin, de Rhin-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges, lorsque les titres contre ces cultivateurs auront été consentis par eux en faveur des juifs.

Article 1er
 Il est sursis, pendant un an, à compter de la date du présent décret, à toutes exécution de jugement ou contrats, autrement que par simple actes conservatoires, contre des cultivateurs non négocians des départements de la Sarre, de la Roer, du Mont-Tonnère, de la Meurthe, du Haut et du Bas-Rhin, de Rhin-et-Moselle, de la Moselle et des Vosges, lorsque les titres contre ces cultivateurs auront été consentis par eux en faveur des juifs.

2 - Il sera formé, au 1er juillet prochain, dans notre bonne ville de Paris, une assemblée d’individus professant la religion juive, et habitant le territoire français.

Art. 2 
 Il sera formé, au 15 juillet prochain, dans notre bonne ville de Paris, une assemblée d’individus professant la religion juive, et habitant le territoire français.
 

3 - Les membres de cette assemblée seront au nombre porté au tableau ci-joint, pris dans les départements y dénommés, et désignés par les préfets parmi les rabbins, les propriétaires et les autres juifs les plus distingués par leur probité et leurs lumières.
 

Art. 3 
 Les membres de cette assemblée seront au nombre porté au tableau ci-joint, pris dans les départements y dénommés, et désignés par les préfets parmi les rabbins, les propriétaires et les autres juifs les plus distingués par leur probité et leurs lumières.

4 - Dans les autres départements de notre Empire non portés audit tableau, et où il existerait des individus professant la religion juive au nombre de cent et de moins de deux cents, le préfet pourra désigner un député ; pour cinq cents et au-dessus jusqu’à mille, il pourra désigner deux députés, et ainsi de suite.
 

Art. 4 
 Dans les autres départements de notre Empire non portés audit tableau, et où il existerait des individus professant la religion juive au nombre de cent et de moins de cinq cents, le préfet pourra désigner un député ; pour cinq cents et au-dessus jusqu’à mille, il pourra désigner deux députés, et ainsi de suite.

5 - Les députés désignés seront rendus à Paris avant le 1er juillet, et feront connaître leur arrivée et leur demeure au secrétariat de notre ministre de l’intérieur, qui leur fera savoir le lieu, le jour et l’heure où l’assemblée s’ouvrira.
 

Art. 5 
 Les députés désignés seront rendus à Paris avant le 10 juillet, et feront connaître leur arrivée et leur demeure au secrétariat de notre ministre de l’intérieur, qui leur fera savoir le lieu, le jour et l’heure où l’assemblée s’ouvrira.

6 - Des commissaires nommés par nous se rendront à l’assemblée, ils lui exposeront nos intentions bienfaisantes et protectrices, l’instruiront de ce qu’elle aura à faire pour les remplir, et nous faire parvenir le résultat de son travail.


7 - Notre ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

Art. 6 
 Notre ministre de l’intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.

Signé NAPOLEON
Par l’Empereur:
Le secrétaire d’état, signé B. MARET
Pour ampliation:
Le Ministre de l’intérieur, signé CHAMPAGNY.

NOMS des Départements
Haut-Rhin, Bas-Rhin, Mont-Tonnère, Rhin-et-Moselle
Sarre, Roer, Moselle,Meurthe,Vosges, Gironde
Basses-Pyrénées, Vaucluse, Côtes-d’Or, Seine

Certifié conforme : Le Secrétaire d’état, signé Hugues B. MARET
Pour ampliation : Le ministre de l’intérieur, signé CHAMPAGNY

N° 1  Tableau approximatif de la Population juive 
Existante dans l’Empire français


N° 2       Tableau, par Départements, du nombre de Juifs 
à envoyer à l’Assemblée des individus professant la religion juive, dont la venue a été ordonnée par S. M.

NOMS des
Départements

NOMBRE 
De Juifs

Observations


NOMS des
Départements

Population 
juive
présumée

Nombre
de Députés
à envoyer

Haut-Rhin

11 679

Par calculs probables

Haut-Rhin

11 679

12

Bas-Rhin

14 417

Les députés du Bas-Rhin le portent à 20 000

Bas-Rhin

14 417

15

Mont-Tonnère

  8 867

9

Mont-Tonnère

  8 867

Incertain

Rhin-et-Moselle

 3 556

4

Rhin-et-Moselle

 3 556

Probable

Sarre

800

1

Sarre

800

Idem

Roer

400

1

Roer

400

Idem

Moselle

4 500

5

Moselle

4 500

Officiel

Meurthe

 6 883

7

Meurthe

 6 883

Incertain

Vosges

 6 513

7

Vosges

 6 513

Idem

Gironde

600

2

Gironde

600

Idem

Basses-Pyrénées

500

2

Basses-Pyrénées

500

Idem

Vaucluse

520

2

Vaucluse

520

Presque positif

Côtes-d’Or

200

1

Côtes-d’Or

200

Douteux

Seine

 5 500

6

Seine

 5 500

Idem


65 645

74


65 645


Nota; On est parti, pour former ce tableau, et pour les 
départements du Nord, de la base de la population présumée, en donnant un député  par mille, et prenant la fraction pour un nombre complet.
     Pour les départements du midi, où il y a moins de juifs et où ils sont plus éclairés, on a porté deux députés pour chaque département; mesure qui a semblé nécessaire pour pouvoir comparer les opinions.
     Pour le département de la Seine, on a suivi la même proportionque pour les départements du Nord
     L’article qui autorise les préfets dont les départements ne sont pas portés en cet état, et où il existe des juifs, à envoyer un député pour une population de  15 000 et au dessous, fait présumer que l’assemblée sera de quatre vingt individus environ, nombre qui avait été indiqué d’abord
 


 

Paris le 10 juin 1806 

Le ministre de l’intérieur 
À Messieurs les Préfets des départements 

Je vous envoie, Messieurs, une ampliation imprimée du décret impérial du 30 mai 1806, relatif à l'usure que certains Juifs ont exercée envers des citoyens. Il prescrit les mesures pour parvenir à faire remplacer, par une industrie honnête, les ressources honteuses auxquelles beaucoup de Juifs se sont livrés. 
 Veuillez m’en accuser réception, prendre sans délais les mesures nécessaires pour l’exécution de ce décret qui concerne votre département, et m’envoyer immédiatement la liste des députés que vous aurez nommés pour se rendre à l’assemblée qui doit s’ouvrir à Paris le 19 juillet. 

Recevez l’assurance de ma parfaite considération 

CHAMPAGNY 

……………………………………..


Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005