AVIS
Sur des
Questions touchant les juifs
Les sections de l’intérieur et de
législation qui ont vu le rapport du grand-juge ministre de la
justice, sur diverses questions relatives aux Juifs, et en
particulier à ceux des départements des Hauts et
Bas-Rhin.
Ont considéré
Qu’il est vrai que dans les
départements des hauts et Bas-Rhin, les Juifs ont continué
de se livrer à l’usure, comme ils le faisaient avant
d’avoir reçu les avantages du de cité, et d’avoir
été exemptés des assujettissements et des taxes
auxquelles l’ancien gouvernement les avait condamnés ;
Qu’il est possible que par suite,
de ces usures, la mutation d’un grand nombre de propriétés
se soit opérée, soit de gré à gré,
soit par expropriation;
Mais que si on
faisait pour d’autres départements, pour celui de la
Seine par exemple, les mêmes recherches, on aurait des
résultats peut-être plus remarquables encore, parce que
l’usure est un mal qui se fait sentir dans plus d’un lieu
de la France;
Que le remède à
ce mal ne peut être ni dans une mesure applicable à une
partie du territoire, ni dans une mesure applicable à une
partie des citoyens de l’Empire;
Que cette mesure doit être pour l’Etat entier et pour
tous ceux qui l’habitent;
Que la
fixation du taux légal de l’intérêt
pourrait être utile, mais serait inopportunément
proposée aujourd’hui;
Que
les vues jointes au rapport du grand-juge, ne peuvent faire la
matière d’une loi.
En effet :
1° On ne
peut anéantir en aucun cas des hypothèques acquises, si
on ne prouve fraude ou dol dans le contrat;
2° On ne peut dire que les hypothèques prises par des
Juifs sont nulles; car d’abord comment prouver le Judaïsme
? Et en deuxième lieu comment s’assurer qu’on
n’atteindra pas des tiers non suspects de Judaïsme par
l’anéantissement de cette hypothèque ?
3° On ne peut déclarer un homme citoyen français,
inhabile à prendre hypothèque, à moins qu’on
ne veuille d’abord empêcher aussi d’en prendre sur
lui ; ensuite l’empêcher de se marier s’il ne l’est
pas ; s’il est marié, l’empêcher de stipuler
les droits de sa femme, de ses enfants, les siens même en
licitation, partage, soulte de partage, etc. ; afin à être
usurier lui et sa race, en le condamnant à ne posséder
que de l’argent et jamais d’immeubles.
4° Qu’on ne pourrait dire par une loi que les juifs ne
jouiront pas des droits de citoyen, sans posséder une
propriété, puisque la constitution n’y oblige pas
; qu’établir une règle nouvelle, serait la
matière d’un sénatus-consulte, et que d’ailleurs
faire une disposition constitutionnelle pour les hommes professant un
culte particulier, serait une mesure de grands inconvénients
et même de l’injustice, puisqu’il est reconnu que
les Juifs paient les charges publiques, se soumettent à la
conscription, et remplissent toutes les obligations prescrites par
les lois;
5° Qu’assujettir
à une patente, les Juifs en général, serait
renouveler les droits auxquels ils étaient sujet avant 1789,
et contre lesquels il y a eu une réclamation générale,
sans rien faire pour prévenir l’usure qu’on leur
reproche;
Que ce ne sont que par des
mesures administratives qu’on peut remédier au mal;
Que si les Juifs venus de Pologne ou
d’Allemagne, depuis moins de dix ans, se conduisent mal, on
peut les expulser comme étrangers;
Que les chambres des notaires peuvent recevoir des instructions du
grand-juge sur les mesures que les notaires doivent prendre, les
vérifications qu’ils doivent faire en passant des actes
où des hommes ayant le droit de cité, mais connus pour
Juifs et pour exercer l’usure, paraîtront comme parties;
Que les Juifs étrangers peuvent
n’être admis sur le territoire français, en vertu
de simples ordres du ministre de la police.
En se résumant,
Les deux Sections sont d’AVIS,
Qu’il n’est pas possible de faire une loi particulière
sur les Juifs afin de réprimer l’usure ;
Que le mal, trop répandu en France, a besoin de remèdes
généraux, et que la loi qui les contiendra doit être
commune à tout l’Empire;
Que le moment n’est pas opportun pour s’occuper de cet
objet;
Que, quant à présent, l’usure
reprochée aux Juifs régnicoles et étrangers, ne
peut être réprimée que par des mesures
d’administration et de police.
A Paris, de l’Imprimerie impériale, 30 avril 1806
Source: Centre
Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005