Ce travail a été fait dès le mois de juillet dernier, c'est-à-dire, avant l'ouverture de l'assemblée :
des circonstances en ont retardé l'impression; je le donne absolument tel que je l'avais composé alors.


    L'HI ST O I R E des Juifs depuis leur dispersion par Titus , jusqu'au dernier temps de la monarchie française , est trop connue , pour qu'il soit besoin de remonter â ces époques de cruauté et d'intolérance ; je me bornerai donc , vu surtout la faiblesse de mes talents et le peu d'habitude que j'ai d'écrire dans une langue que je n'ai jamais apprise par principes , a partir de l'époque où les Juifs ont été réintégrés dans les droits qu'ils n'auraient jamais dû perdre.
    Beaucoup d'écrits pour et contre leur admission ont été publiés dans le temps ; j'ai eu. le courage , en 1790 , de réfuter l'opinion de M. Delafarre , alors évêque de Nancy; et j'ose croire que cette lettre que j'ai publiée , contenait tant de vérités et de raisonnements sans réplique , qu'elle a eu, en quelque sorte, tout le succès que j'en attendais. Peut-être aujourd'hui encore se trouve-t-il quelques personnes imbues de la rouille des préjugés contre les Juifs; je les renvoie avec confiance à la lecture de madite lettre , intitulée: Lettre du sieur Berr-Isaac-Berr, négociant à Nancy, juif naturalisé, en vertu de lettres patentes du roi, enregistrées au parlement de Nancy, député des Juifs de la Lorraine, à monseigneur l'évêque de Nancy , député à l'assemblée nationale. Aussitôt le décret de leur admission au droit de citoyen, j'ai publié une lettre à mes co-religionnaires pour les engager à s'occuper de leur régénération, que j'ai cru à la vérité très facile (Cette lettre se trouve imprimée â la suite de celle que je viens de publier il y a trois mois, â M. le sénateur Grégoire) , mais que des circonstances de la révolution, des obstacles , des causes particulières ont rendue si difficile, qu'aujourd'hui le gouvernement même daigne s'en occuper , et que par suite du génie surnaturel de notre auguste monarque , il a conçu cette idée si grande , si nouvelle , de faire une assemblée de députés juifs ses sujets , pour, de concert avec eux , opérer leur régénération civile.
    Il est donc sans doute du devoir de chacun des députés appelés à cette assemblée, d'éclairer le gouvernement sur les causes présumables du retard de cette régénération , et de lui proposer les moyens les plus propres pour hâter cette régénération.
    Je vais donc remplir ma tâche , tout autant que mes moyens me le permettent.
    J'indiquerai , non seulement les choses, les abus à corriger , les obstacles , les empêchements à lever, mais encore tout ce qui me parait avoir causé et provoqué dans l'origine ces mêmes abus , ces mêmes obstacles, et je diviserai ce petit travail en deux chapitres très succinct , avant de présenter un projet d'organisation, que vraisemblablement ce même travail exigera. Le premier chapitre traitera des empêchements et des obstacles que les Juifs rencontraient de la part du gouvernement et de leurs concitoyens ; le second traitera des pratiques intérieures de la part des Juifs. Les uns et les autres , à mon avis , ont été et seront toujours la cause du retard d'une régénération complète , tant qu'ils subsisteront.

CHAPITRE PREMIER.
ARTICLE I-.

    L'abandon dans lequel se trouve notre culte , par l'omission de son organisation dans la loi du 18 germinal an X , est une principale cause du retard de leur régénération morale et civile.
    Déjà j'ai développé dans ma lettre à M. le sénateur Grégoire , les inconvénients qui résultent de cette omission dans le rapport et le discours éloquent de son excellence le ministre des cultes , et les avantages qui en résulteraient si elle venait à être réparée. D'un côté , la conséquence affligeante qu'en tire le vulgaire , et qui augmente et perpétue souvent sa haine et ses préjugés contre ceux qui professent le culte judaïque; car rien n'est plus propre que le mépris à étouffer toutes les idées libérales qui seraient si naturelles aux sectaires de ce culte ; d'un autre côté , si , par l'effet d'une organisation légale, ils avaient été forcés de se réunir pour régulariser la discipline intérieure de leur culte et de tout ce qui y est relatif , ils auraient par-là trouvé aussi naturellement l'occasion de s'entretenir et de se concerter sur les moyens de leur régénération civile; ils auraient reconnu mutuellement la nécessite de changer plusieurs de leurs anciennes habitudes, occasionnées par des causes qui n'existent plus. Par le contact spontané qui se serait établi entr'eux réciproquement , ils auraient chacun reconnu la nécessité et l'utilité de faire apprendre à leurs enfants des arts et métiers , des connaissances morales et politiques, enfin des sciences et des arts libéraux , et ils auraient fait coïncider cette instruction sociale avec le devoir de faire en même temps élever et instruire leurs enfants dans la religion de leurs pères. Naturellement l'idée leur serait venue de convenir entr'eux d'une contribution volontaire ou forcée pour l'établissement d'ateliers propres à y recevoir des pauvres. Mais l'absence totale de toute assemblée, cette espèce d'anarchie religieuse qui règne parmi eux , puisqu'ils n'ont aucun chef légal , aucun homme revêtu du pouvoir de les convoquer , les éloigne les uns des autres, chacun d'eux mieux pensant voulait opérer le bien de fait ce qu'il veut, et par un égoïsme honteux et une insouciance coupable ,. ils ne s'occupent que d'eux-mêmes. Si par hasard quelque homme plus raisonnable et ses co-religionnaires, il serait obligé d'abord de consulter ses propres moyens et ses facultés intellectuelles , et bien rarement ils suffisent pour lui faire remplir un pareil but. Il me parait donc indispensable, autant pour obtenir notre régénération civile que pour établir entre tous les cultes cette égalité de droits qui est dans les principes et les sentiments du gouvernement, que notre culte soit organisé à l'instar des autres religions positives. C'est par-là seulement que l'on pourrait obtenir les deux effets salutaires que je viens d'indiquer.

ART. II.

    Le dédain, le mépris , vulgairement attachés au mot de Juif, est une des plus grandes causes du retard de notre régénération. Je crois l'avoir suffisamment développé dans ma lettre â M. le sénateur Grégoire. Dans les tribunaux et sur le théâtre , on n'entend encore que trop souvent, au sujet d'événements particuliers , des propos avilissants pour les Juifs en général , et des allusions dérisoires et injurieuses. Je ne dois pas me répéter ici , en voulant prouver de nouveau que de pareils traitements sont propres à étouffer toute espèce de sentiments généraux , et à porter dans les âmes le découragement le plus absolu.
    Lorsque la religion catholique était seule dominante en France, beaucoup d'enfants suçaient dans le sein de leur mère , pour ainsi dire, la haine contre tous ceux qui n'étaient pas de cette religion dominante et principalement contre les Juifs. Il était à présumer que depuis la reconnaissance solennelle de la liberté des cultes par notre immortel Empereur, il devait résulter que le gouvernement ; accordant même degré de protection à chacune des religions positives connues dans le vaste empire français , les Juifs , comme les autres, jouiraient des bienfaits de cet amour fraternel établi entre les habitants d'une même terre. On pouvait penser alors que les enfants chrétiens ne seraient plus ni élevés ni instruits dans aucun de ces principes de prévention et d'intolérance dont j'ai parlé. Malheureusement les faits prouvent
le contraire ; souvent le Juif continue à être méprisé et avili au milieu des deux branches du christianisme.
    Il serait donc à désirer que sa majesté l'Empereur et Roi, père de tous ses sujets, donnant suite à sa bonté, à sa sollicitude, manifestât par une déclaration claire et formelle ses volontés à cet égard , comme il a bien voulu déjà les déclarer provisoirement dans son décret du 3o mai, en disant: « qu'il n'entrait en ses intentions ni de maintenir, ni de renouveler leur avilissement. » Paroles consolantes et philanthropiques , qui nous ont tous pénétrés de sécurité et de reconnaissance pour sa personne sacrée , et qui sont aussi dignes de sa grandeur que de son génie. Ce serait le seul moyen d'extirper par sa racine cette malheureuse haine., si contraire â l'esprit de l'évangile , et à préparer la réconciliation des deux filles avec leur mère. Il serait peut-être également â désirer , pour atteindre le lut plus efficacement , de faire supprimer entièrement le mot Juif dans la langue française. La Bible ne les nomme qu'enfants d'Israël, leur langue est connue sous la dénomination de langue hébraïque; ils ont longtemps été connus sous le seul nom d'Israélistes ; ne faudrait-il pas continuer de les nommer Israélites ou Hébreux. ? Comme leur culte hébraïque ou judaïque, l'opinion dérisoire appliquée au nom de Juif s'éteindra par l'oubli de la pratique de ce mot dans le sens abusif. La régénération future et complète de leur part , empêchera de faire des applications semblables aux mots d'Hébreu ou d'Israélites , autres que la signification première. Le mot de Juif en français, et de Jûde en allemand, ne provient , à ce qui me semble , que du nom que portait le royaume de la Judée , et de ce qu'en la langue hébraïque , de laquelle la plupart de leurs prophètes et historiens se sont servis , on trouve le mot de Jehoudi, duquel dérive le mot Juif en français , et Jûde en allemand. Aujourd'hui que nous n'avons pas d'autre patrie , d'autres terres natales que l'empire français, pourquoi , sous le règne du grand Napoléon , ne reprendrions-nous pas, pour distinguer notre religion d'avec la croyance des autres sectes religieuses , le nom d'origine de notre existence , et le premier nom d'Israël que Dieu nous avait donné ?

CHAPITRE DEUXIÈME.
Pratiques intérieures.
ARTICLE Ier.

    Le mode bien louable , dans le principe , de faire donner, partout où des Juifs sont domiciliés , des billets de nourriture et de logement aux Juifs pauvres et voyageurs de tout âge et de tout sexe , est , à ce qui me semble , une cause qui retarde notre régénération complète. Autant cet acte de bienfaisance était naturel, juste et nécessaire , lorsque les Juifs n'avaient d'autres ressources de gagner leur vie que par 1e commerce, et que la plupart d'entr'eux n'avaient ni les moyens, ni les facultés pour embrasser d'autre état ; qu'il ne leur restait, pour ainsi dire, d'autre ressource que la mendicité ( encore étaient-ils restreints à ne recevoir que de leurs co-religionnaires seulement , des secours que les chrétiens leur refusaient presque toujours ) ; autant les bienfaits deviendraient abusifs et nuisibles aujourd'hui , en ce qu'ils tolèrent et propagent l'oisiveté et le fainéantisme , et que par-là souvent des hommes sans aveu, des vagabonds , trouvent un refuge , un repaire. Que chaque commune , bourg ou village qui renferme des habitants juifs prenne soin entre eux de leurs vieillards et infirmes, rien de plus agréable sans doute devant Dieu et l'humanité ; mais il faut absolument refuser toute charité et secours à l'homme capable d'un travail quelconque , et anéantir ainsi entièrement, par un refus obstiné, les moyens de voyager aux Juifs pauvres, afin de les pousser à regarder le travail comme leur seule ressource. Cependant , comme la charité est une des principales vertus que pratiquent les Juifs, ils n'oseraient., de leur propre mouvement, refuser à celui qui tend la main pour recevoir. Il conviendrait peut-être , que par un règlement de la part du gouvernement, défense leur soit faite de loger à l'avenir ceux de leurs coreligionnaires mendiants qui passent d'une ville à l'autre , surtout pour les étrangers , et de faire exécuter à leur égard les lois sur la mendicité en général.

A R T. II-


    La trop grande extension donnée à l'esprit de fraternité , qui , d'après le voeu de notre religion doit régner entre nous tous appuyée sur une fausse interprétation d'un passage talmudique, Col- Israël Acheihem, est aussi, à ce qu'il me semble , un motif de retard à notre régénération.
    Jusqu'ici repoussés de toutes les sociétés honnêtes et civilisées, ils étaient forcés
seules qui les frappaient ; chacun d'eux , de ne vivre qu'entre eux seuls; là ils n'ont jamais rencontré que les yeux de leurs égaux; renfermés au-dedans d'eux-mêmes, les distinctions de la fortune étaient les seules qui les frappaient; chacun d'eux animé de l'espoir que cette distinction,seul effet du hasard, pourrait aussi un jour lui écheoir en partage , ne considérait en quelque sorte l'homme riche entre eux , que comme un dépositaire momentané. Il arrivait aussi de là que l'homme pauvre , lorsqu'il recevait de la charité de la part de l'homme riche, il ne la recevait pas avec le sentiment de la reconnaissance , mais comme obligation de la part du donateur.
    Lorsqu'enfin les âmes les plus charitables entre nous , sauront employer et diriger leur sentiment de charité ; lorsque celui capable d'un travail quelconque, et qui voudrait s'en éloigner., se verra repoussé avec mépris et dédain , et que par suite de ce refus il se verra pressé par le besoin., alors enfin il faudra bien qu'il se résolve au travail ; lorsque surtout il y aura parmi nous des hommes qui devront leur fortune , non au hasard , mais à leurs talents, ou même des hommes investis d'un caractère honorable de la part de gouvernement , par lequel ils sauront se faire respecter par la place qu'ils occupent , ou lorsque quelqu'un ne sera distingué dans quelques arts ou métiers , et qu'il aura mérité par-là la confiance et l'estime publique , c'est alors seulement que cet esprit d'union et de fraternité entre les sectaires d'une même religion , étendu beaucoup trop loin , sera rappelé dans ses justes bornes , une salutaire émulation les enflammera tous pour le bien individuel et le bien général.

ART. III-

    L'ambition démesurée et coupable d'amasser et d'accumuler une fortune pécuniaire , presque sans en jouir, est sans doute le reproche le plus fondé qu'on peut nous faire , et qui sans doute a été et sera toujours une barrière invincible à notre régénération entière , tant qu'elle subsistera. Il est notoire qu'en la ci-devant Alsace surtout , des Juifs, riches de cinq à six cent mille francs , se contentent d'un hareng salé et une croûte de pain pour leur dîner ; la cause originaire de cette soif malheureuse est cependant facile à développer.
    Anciennement; lorsqu'ils n'avaient d'autres moyens d'existence que le trafic et le prêt d'argent que leur existence n'était que précaire que le gouvernement lui-même , reconnaissant en quelque sorte don injustice envers eux, leur permit de prêter leurs capitaux à 12 pour 100 par an , lorsque la loi n'admettait que 5 pour 100, ils étaient nécessairement forcés d'économiser jusqu'à l'avarice tout ce qu'ils pouvaient amasser , pour, d'un côté, pouvoir se racheter des mains de leur persécuteur; de l'autre, pour pouvoir, en cas de besoin, se sauver avec leur fortune dans d'autres pays plus tolérants.
    Sans doute que depuis leur admission aux droits civils et de citoyen, toutes ces craintes et toutes ces précautions à prendre n'existant plus , ils auraient dû abandonner ce honteux commerce d'argent , que la religion leur défend, et que le bon sens repousse ; mais déjà je l'ai dit amplement dans ma lettre imprimée , le laps de temps entre notre esclavage et la liberté n'est pas encore assez long, pour que la masse des Juifs ait pu apprécier le changement heureux qui venait de s'opérer à leur égard. Je me permettrai d'ajouter que si plusieurs ont continué à faire le métier de l'usure , si l'exaction de la part de quelques-uns des Juifs a provoqué avec justice , de la part du gouvernement , une mesure contre l'usure , c'est cependant en quelque sorte le gouvernement lui-même qui a facilité ce délit.
    En effet , remarquons que dans l'ancien régime, quelques Juifs , Alsaciens surtout, sacrifiaient honneur, probité , réputation, s'exposant à la rigueur des lois spirituelles et civiles , pour exercer l'usure et amasser de l'argent, sans espoir même de le réaliser en immeubles ; qu'au moment heureux arrivé de se voir assimilé entièrement aux autres citoyens français, ils aperçoivent en même temps des lois agréables à leurs yeux , qui déclarent l'argent marchandises , qui admettent les intérêts conventionnels , qui autorisent d'exiger même des intérêts des intérêts , qui accordent aux créanciers porteurs de lettres de change signées sans distinction de qualité, d'obtenir des jugements et par corps , et qu'au moyen de la promulgation de ces lois, ils pouvaient faire désormais, ouvertement et avec solidité, ce qu'ils avaient anciennement fait clandestinement et avec risque ; ils avaient donc à choisir entre ces nouvelles lois.:.. Bien loin de moi l'idée seulement de les justifier sur ce qu'ils ont lâchement préféré de profiter des lois qui leur présentaient des moyens d'augmenter leur fortune , aux lois qui les décoraient du titre inappréciable de citoyen français , et de s'occuper à le devenir. Mais cependant , envisageons l'homme dans sa nature ordinaire , rempli de passions et de vices , il me semble qu'on pourrait en quelque sorte , sinon justifier, mais pallier leur culpabilité. En effet, c'est au moment où ils devaient changer d'habitudes , contractées depuis leur enfance , et s'occuper à cultiver des terres , à faire apprendre des métiers pénibles à leurs enfants , ils trouvent , dans le même moment des facilités à conserver , sous l'égide de la loi , leurs anciennes habitudes , qui flattaient leurs passions et leur incapacité , ne sachant pas, par cette même incapacité , tout ce que renfermait d'honorable , d'utile et de solide , le décret de l'admission aux droits de citoyen ; trouvant une porte ouverte et facile pour assurer leur fortune et celle de leurs enfants, par l'oisiveté féconde de l'usure ; voyant â côté d'eux des chrétiens qui vendaient leurs immeubles pour se procurer des capitaux , afin de les placer sous des intérêts usuraires , appelés conventionnels permis par la loi ; ne doit-on pas avouer qu'il fallait . avoir reçu plus d'instruction et d'éducation qu'ils n'en avaient, pour pouvoir balancer sur le choix... Donc , tout en avouant la bassesse et la lâcheté de leur choix, il me semble que le gouvernement pourrait prendre en considération ces remarques , pour diminuer au moins la gravité de l'action.
    Et, il suffira de faire surveiller à l'avenir ceux d'entr'eux qui oseraient encore continuer ce misérable et honteux métier d'usurier, pour les extirper du milieu de ceux de leurs co-religionnaires régénérés.

ART- IV

    L'ignorance qui règne parmi nous des bases et des points essentiels de notre religion , que la plupart d'entre nous , pour ne pas dire la grande majorité , ne professe que par routine , et sans autres principes que ce qu'ils entendent dire et voient faire de la part des auteurs de leurs jours, est encore , selon moi , un des grands motifs qui retarde leur régénération.
    Pour justifier cette ignorance , et en indiquer le remède , il suffira de développer les causes qui l'ont produite.
    Presque jamais il n'y a eu de fondation faite pour aucune institution religieuse , pas même pour une école primaire. L'état de tolérance , l'existence précaire qu'ils avaient , le petit nombre de personnes réunies dans les lieux où on les a tolérés et fixés , ensuite le peu de fortune , pour ne pas dire la pauvreté, que la plupart d'entr'eux avaient en partage , sont des motifs plus que suffisants pour expliquer comment ils n'avaient pu faire aucune institution utile à l'éducation de la jeunesse.
    La plupart des pères de famille aujourd'hui existants ont été élevés dans les villages , bourgs ou petites communes, sans maître d'école , sans instituteur , et exclus des écoles publiques ; la plupart de ces enfants d'alors , pères de famille aujourd'hui, ne se ressentent que trop du vide et du manque d'éducation.
    Cette ignorance et des principes religieux , et des principes moraux et physiques , a fait d'eux assez généralement , à l'exception de ceux que les plus rares dispositions naturelles rendaient capables de braver et de surmonter les obstacles, et qui acquéraient ainsi des talents et des qualités , une classe d'hommes séparée quoique nés avec les mêmes facultés intellectuelles des autres hommes; ils sont devenus bruts , incivils , pusillanimes , etc. La négligence de l'éducation a produit sur eux l'effet que produirait sur un champ , une terre, l'absence totale de la culture. En les forçant , dans chaque circonscription de deux ou trois départements , à se réunir pour faire une masse, par des cotisations volontaires ou contraintes, afin d'entretenir un établissement d'école primaire publique pour les Juifs , en y joignant la faculté déjà si heureusement existante de les faire entrer dans toutes les écoles secondaires et des lycées de l'empire , on obtiendrait , il me semble , que la génération prochaine ne laisserait plus voir de distinction entre la culture de l'homme né chrétien et de l'homme né juif.

ART. V.

    Le peu de respect, de vénération et d'égards qu'ils ont, et principalement les Juifs allemands , et pour les cérémonies religieuses , soit dehors , soit dans la synagogue même et pour le rabbin , élu comme chef ou ministre de leur culte , influent peut-être encore sur les retards de leur régénération; car ces rabbins se trouvant ainsi dépendants , ne peuvent, comme beaucoup d'entr'eux le voudraient, exercer une influence salutaire sur leur régénération civile.
    Cette conduite et les abus s'expliquent cependant., en cherchant la cause originaire.
    Il est notoire que presque jusqu'aux derniers temps de l'ancienne monarchie française , les Juifs n'étant que tolérés et leur culte souffert , ils avaient beaucoup de ménagement et de précautions â prendre pour ne pas offusquer ni déplaire , soit au clergé alors dominant , soit aux magistrats subalternes. Presque partout où ils avaient obtenu des permissions de se réunir pour leurs prières ou cérémonies religieuses, on leur désignait les quartiers les plus obscurs et reculés ; dans bien des endroits ils ne pouvaient faire ces réunions que dans les coins les plus reculés de leurs demeures , sans aucun bruit et sans aucune solennité : naturellement ni les lieux, ni les cérémonies , ne pouvaient inspirer ce respect , ce recueillement qu'imposent à l'œil les cérémonies religieuses faites avec l'aisance de la liberté absolue.
    Le peu de lumières que l'oppression laissait répandre au milieu d'eux , les rendant
incapables de donner aux cérémonies l'enveloppe et la forme convenables, le désordre dans lequel se faisait un culte naturellement simple , et qui ne pourrait tirer d'éclat que par les accessoires moraux qu'apporteraient ceux qui le pratiquent , devait naturellement produire cette espèce de rabaissement moral du culte juif; ajoutez à cela que le rabbin est ordinairement un homme pauvre , ne devant sa modeste existence qu'à ceux qui veulent bien contribuer à son salaire ; cet homme n'ayant ni existence assurée, ni autorité reconnue, obligé quelquefois d'attendre tout des bienfaits et des charités de ses ouailles pour subvenir à ses besoins pressants; loin d'inspirer du respect pour sa personne et de l'égard pour ses paroles, loin de pouvoir remplir les vrais devoirs de sa place , en rappelant à ceux de la religion et de la vertu les hommes qui s'en écartent , il est obligé de se taire et fermer les yeux, dans la crainte de ne plus voir les riches contribuer à son salaire ; surtout s'il avait le courage de leur adresser directement des reproches qu'ils méritent quelquefois. Tout cela empêche la morale si essentiellement pure de notre religion, d'avoir dans la bouche de ses ministres une influence salutaire sur la régénération , que la plupart d'entr'eux ne cessent d'appeler par des voeux impuissants.
    Voilà donc encore un abus essentiel à faire disparaître ; le gouvernement y parviendra en salariant les rabbins , et les rendant ainsi indépendants, et en accordant au culte judaïque les même facultés et les mêmes prérogatives qu'aux autres cultes établis par le concordat.

ART- VI.

    L'habitude contractée chez la plupart des Juifs , et principalement en Alsace , contre les principes talmudiques, de marier leurs enfants mâles à l'âge de quatorze est aussi une cause éminente du retard. de leur régénération.
    La Bible et plusieurs passages talmudiques ordonnent d'avoir un état , de savoir un métier, de posséder une portion de terre ou de vigne avant de se marier ; et cependant , par une fausse interprétation d'un autre passage talmudique , qui parait recommander de marier leurs enfants presque encore dans l'adolescence , et sous le préjugé de ne pas laisser développer les désirs de la nature sans les satisfaire aussitôt par le mariage , ils ont presque généralement contracté l'habitude de marier leurs enfants fort jeunes. De là arrive souvent l'absence d'éducation achevée, le manque d'étude, d'instruction et de connaissances pour avoir déjà dans la société une existence indépendante: Ces mariages précoces sont en général nuisibles , et chez les chrétiens et chez tes Juifs , surtout en ce qu'ils contrarient l'effet des conscriptions militaires : souvent , à l'âge de la conscription , le conscrit est déjà père de plusieurs enfants.
    Il serait â désirer que le gouvernement fit défense aux officiers civils de faire des mariages , à moins que le futur ne prouve avoir satisfait à la loi de la conscription ; le gouvernement se réservant cependant de donner des dispenses dans des cas extraordinaires.
    J'ai indiqué , je crois , les abus à corriger et les obstacles à lever, au moyen desquels seuls pourraient s'opérer la régénération d'une classe d'hommes qui ne peut que se sentir encore de quelques restes de l'antique humiliation qui a pesé sur elle , et de la meurtrissure des chaînes de l'esclavage qu'elle a portées ; et le voeu paternel de sa majesté l'Empereur, le désir de tous les hommes de bien pourrait s'effectuer , sans voir une génération tout entière s'écouler dans de vains efforts pour y parvenir. Il suffirait sans doute de les indiquer, pour que la sagesse et la sollicitude de sa majesté l'Empereur lui suggérassent les moyens d'y remédier par une loi organique sur notre culte , qui en même temps contiendrait des moyens répressifs sur tout ce qui jusqu'ici a empêché cette régénération. Cependant , par suite de mon zèle, de mon attachement à la chose publique , je ferai suivre ce petit travail d'un projet de loi organique que je soumettrai à la discussion de l'assemblée générale, pour être par elle proposé au gouvernement , si elle le juge à propos. J'observerai seulement ici que dans ce projet de loi organique , je fais entrer principalement les moyens d'encourager la jeunesse aux travaux et professions utiles , et d'établir dans chaque arrondissement ou circonscription territoriale, des séminaires et des ateliers pour y recevoir des enfants pauvres, soit pour les arts et métiers, soit pour les connaissances religieuses- Trop heureux si quelques articles seulement de ce projet pouvaient être adoptés, et que j'eusse contribué en quelque sorte à satisfaire la volonté suprême de sa majesté l'Empereur et Roi , et au bien-être de mes co-religionnaires.

De l'Imprim. de GIGUET et MICHAUD, rue des Bons-Enfants,n°.34.



Source : BNF-Gallica