Littérature

    Considération sur le prêt à intérêt, par un jurisconsulte; 1 vol. in-8°. Prix, papier ordinaire, 3 fr., & 4 fr. franc de port; papier fin, 5 fr., & 6 fr. franc de port. A Paris, chez Eberhart, imprimeur-libraire, rue des Mathurins-saint-Jacques, n° 10; Méquignon l’aîné, rue de l’École de Médecine, n° 9; & Lenormant, rue des Prêtres saint-Germain-l’Auxerrois.

    Il était difficile de rencontrer une époque plus favorable que le moment actuel pour publier un ouvrage sur le prêt à intérêt; & celui que nous annonçons pourrait être moins bien fait qu’il ne l’est effectivement, qu’il ne saurait manquer encore d’attirer l’attention publique dans un instant où l’on s’occupe à fixer, s’il est possible, l’existence d’un peuple dont malheureusement l’usure ne fut que trop souvent l’unique métier.
    Étrangers à la questions que traite l’auteur, nous n’en avons moins lu son livre tout entier avec un véritable intérêt; ce qui nous semble une assez forte preuve du talent avec lequel il est écrit. Mais, avant de le considérer sous le rapport littéraire, les circonstances actuelles nous font une loi de donner une idée du système qu’il renferme.
    La question que j’examine, dit l’auteur, proposée dans son expression la plus générale, est celle-ci : Est-il permis de prêter  à intérêt ? Mais avant de répondre à cette question, il faut savoir quelle loi on considère lorsqu’on demande s’il est permis; & ce qu’on entend par  prêter à intérêt. De là suit la division de l’ouvrage : l’idée générale sur les lois; - définition du prêt à intérêt; - que permet à cet égard la loi civile ? - que permet la loi religieuse ? - la loi religieuse défend de prêter à usure, &c.
    On voit déjà la route que l’auteur s’est tracées & le but qu’il veut atteindre : suivons le dans ses développements.
    Après avoir distingué dans un premier chapitre, très bien fait en lui même, mais peut-être un peu long vu la place où il se trouve, la loi religieuse de la loi civile, & la loi naturelle de la loi positive divine; après avoir conclu, par anticipation, que le chrétien  doit se tenir en garde contre les permissions de la loi civile, il définit ce que c’est que le prêt, ce que c’est que le prêt à intérêt; passe ensuite à l’examen de ce que permet à cet égard la loi civile, & convient que la loi actuelle permet tout, contraire en cela, dit-il, à l’usage antique, qui avait proscrit le prêt à intérêt dans tout le monde chrétien, contraire surtout aux usages constants de la France, où, même après le relâchement survenu dans le reste de l’Europe, les évêques, les parlements, la Sorbonne, les ordonnances des rois s’accordaient avec la loi civile & avec les plus célèbres jurisconsultes pour le condamner & le proscrire. L’examen de ce que permet la loi religieuse occupe ensuite l’auteur ; on peut dire même que c’est là son véritable objet, car, au risque de manquer à son titre, il consacre la plus grand partie de son ouvrage à l’examen de cette seule question; & en se montrant plus chrétien que jurisconsulte, plus religieux que politique ou moraliste, il paraît croire avoir fait assez, s’il a prouvé que la loi de Moïse défendait jadis & que celle du Christ défend aujourd’hui l’usure. De telles vues sont respectables, sans doute; mais, je le demande à l’auteur lui-même, dont le but certainement a été d’être utile, croit-il avoir pris le chemin le plus sûr pour y parvenir ? Le point essentiel n’est-il pas de proposer des choses praticables ? & n’affaiblit-on pas tout ce que l’on exagère ?
    Qui qu’il en soit, après avoir employé autant de logique que d’érudition pour établir que le prêt à usure est également défendu & par l’ancien & par le nouveau Testament, il arrive à ses conclusions, dont voici la substance : L’intérêt de l’argent, chose légitime, nécessaire, impossible à proscrire & jamais proscrite; L’intérêt de l’argent retiré par le prêt, chose nullement nécessaire, proscrite par notre ancienne législation, détestée de Dieu & des hommes, & source éternelle de maux pour la société. Faire valoir son argent, rien de plus permis, le faire valoir par le prêt, rien de plus défendu.
    Nous aurions désiré, nous le répétons, que l’auteur eût un peu plus considéré la question en jurisconsulte, en législateur; que ne se bornant pas à faire, en quelque sorte, un livre de morale religieuse, qui ne sera guère lu, ou du moins qui ne sera goûté que par ceux qui n’ont pas besoin d’être convertis, il eût employé un talent aussi distingué à sonder la profondeur du mal, à chercher des remèdes positifs, des remèdes praticables,  ayant soin surtout de balancer toujours les inconvénients de ces remèdes avec ceux du mal même.
    Mais si l’on passe des principes de l’auteur (qui prêche, comme on voit, que par excès dans le bien), à la manière dont il les expose, on n’a plus que des louanges à lui donner. Son ouvrage, tel qu’il l’a conçu, est conduit avec une suite, il est écrit avec une convenance & une pureté de style, les preuves y sont déduites avec une netteté, avec une force, qui enchaînent l’attention & prêtent de l’intérêt aux passages les plus arides. On sent que l’érudition de l’écrivain n’est point d’emprunt; que maître de sa matière, il la voie dans son ensemble, & s’est rendues familières les sources où il puise, Depuis la Bible, jusqu’au code civil; depuis Aristote ou Tacite, jusqu’à Turgot & Montesquieu; depuis Bossuet jusqu’à Calvin, il a tout consulté, tout comparé : les Instituts de Justinien, comme les écrits de Domat ou de Grotins; le Digeste comme l’Encyclopédie; Ponthier, Barbeyrac ou Saumaise, comme Saint-Léon, Fleury ou Saint-Ambroise; les ordonnances des rois, comme les arrêts de tribunaux, tout est analysé, défendu, ou réfuté. Si nous insistons sur ce genre de mérite, c’est parce qu’il devient rare de nos jours, & qu’il n’est malheureusement que trop commun de voir des échotiers écrire sur des matières qu’ils n’ont même pas encore fini d’étudier, & que conséquemment ils ne possèderont jamais.
    Nous terminons cet article par quelques citations.
    « La question du prêt à intérêt, dit l’auteur en commençant, serait extrêmement simple, si, de part & d’autre on voulait s’entendre, fixer le point de la difficulté, convenir des principes communs, avouer franchement leurs conséquences nécessaires; chercher enfin une vérité de religion & de morale, comme on cherche la vérité d’un fait, je veux dire sans égard aux préventions, aux préjugés, aux motifs d’amour-propre ou de cupidité, qui visiblement n’y font rien & ne prouvent rien. On a souvent fait tout le contraire; on a confondu les lois divines avec les lois humaines. On a compté l’argent pour tout, la morale pour rien. On a épuisé la question du côté de l’emprunteur ; à peine l’a-t-on envisagé du côté du prêteur … Pour nous … nous ne voyons ici qu’une question de droit à examiner … nous croyons que la loi de Dieu a prononcé; nous montrerons que la loi. Nous la montrerons dans toute son étendue, d’autant plus attentifs à ne point l’affaiblir que nous ne voulons point l’exagérer … »
    Voici comment l’auteur définit plus loin la loi religieuse et la loi divine :
    « Deux sortes de lois régissent le monde, la loi de Dieu, la loi des hommes ; l’une essentiellement juste & saine, éternelle comme Dieu même; l’autre nécessairement imparfaite & changeante comme les hommes. La loi de Dieu veille à-la-foi sur les actions & sur les pensées, observe le cœur & gouverne la conscience; la loi des hommes ne veille que sur les actions, ne gouverne que les actions. L’une est la loi de tous les pays & de tous les siècles; l’autre est une loi de temps et de lieu, vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà. Enfin … l’une est la loi religieuse, qui bien observée, nous met en paix avec Dieu, avec les hommes, avec nous-mêmes; l’autre est la loi civile, qui, bien observée, n’a pour but & pour fin que de nous mettre en paix avec les hommes. Que le citoyen n’en attende pas d’avantage des législateurs de la terre; que le chrétien n’oublie jamais que sa législation est du ciel ».
    Ces deux citations suffisent pour justifier tout à-la-fois & l’espèce de critique que nous nous sommes permises, & les justes éloges que nous avons donnés à l’auteur. Au reste, quelque opinion que l’on ait sur les principes qu’il cherche à établir relativement au  prêt, nous ne pensons pas qu’il puisse y en avoir deux sur sa manière de raisonner & d’écrire.