Il faut distinguer dans les dispositions d'organisation et de discipline indiquées par sa Majesté l'Empereur, celles qui appartiennent à la discipline religieuse proprement dites, celles qui appartiennent à la discipline administrative, enfin, celles qui appartiennent à l'exercice des Droits civils.
    On ne parle point ici de l'exercice des Droits politiques, parce qu'il n'est rien dans les vues de l'Empereur, qui se lie à cette espèce de Droits.
    La distinction ci-dessus posée est de la plus haute importance. Car, c'est au Grand Sanhédrin seul, comme assemblée religieuse, qu'il appartient de statuer légitimement sur les règles de la Discipline Religieuse. Si l'on chargeait de ces Règlements une autorité civile ou Politique quelconque, on s'exposerait infailliblement à voir des décrets inconnus ou du moins à voir naître un schisme semblable à celui qui a désolé la France en 1791, semblables à ceux qui se sont manifestés parmi les Juifs eux-mêmes, notamment en Hollande.
    Ce qui fait incontestablement partie de la Discipline Religieuse, c'est l'élection des Rabbins, leurs fonctions, leur autorité, leur confirmation, la formation du Consistoire Central et des Consistoires Départementaux, tous les articles du Projet de Règlement qui s'y rapportent. Ces articles doivent donc être être communiqués au Grand sanhédrin.
    Ce qui appartient à la discipline administrative, ce sont, les traitements des Rabbins, la manière d'y pourvoir, leur rapport avec l'Autorité publique, l'Assemblée des Anciens, la Juridiction qu'il leur sera permis d'exercer.
    Enfin, ce qui appartient à la **** des Droits Civils, c'est la faculté de faire le Commerce, les professions qui s'y rattachent, celle de prêter sur hypothèque, et dans toute la latitude déterminée par les lois.
    Les conditions qui déterminent la jouissance ou la privation des Droits Civils sont clairement et expressément déterminés par la loi du 17 ventôse an XI. Il résulte de l'article 9, que tout Juif né en France y conserve la jouissance des Droits Civils.
    Ainsi, les Juifs nés en France ne pourraient être considérés même hypothétiquement comme Etrangers et privés des Droits Civils, que par une Loi ou un Sénatus Consulte qui ferait exception aux Lois existantes.
    Or, la faculté d'exercer le Commerce, de tirer des Lettres de Change, d'avoir Boutiques, de Brocanter, de prendre hypothèque, de la prendre pour des sommes indéterminées, font autant de facultés qui dérivent de la jouissance des Droits Civils.
    Sans doute, on aurait le droit, par une mesure de Police, de dire aux Juifs : Français ou non, nous ne vous admettons à résider sur le territoire que dans le cas où vous souscririez aux conditions suivantes et où vous les observeriez fidèlement, mais cette mesure serait un véritable exil, non pas seulement à l'égard d'un particulier, mais à l'égard d'un corps entier de Nation paraîtrait avoir dans l'opinion un effet fâcheux, porterait plutôt l'empreinte de la violence que de la sagesse, quoiqu'elle fut possible, ne serait certainement pas légale, et n'offrirait aucune garantie de stabilité.
    Sans doute encore, l'Assemblée Générale pourrait dire aux Juifs qu'elle est sensée représenter, (car dans le fait elle n'a aucun caractère véritablement représentatif, et ceux qui ne l'ont point élue, qui ne lui ont donné aucun pouvoir, ne sont point représentés par elle) elle pourrait leur dire : je vous ordonne de vous conformer à telles et telles conditions;
    Mais, on lui répondrait : en vertu de quelle autorité nous imposez-vous ces Lois ? Est-ce en vertu d'une autorité qui vous soit propre et inhérente ? Mais vous n'en avez aucune qu'autant que notre libre assentiment aura sanctionné vos Décrets, puisque vous n'êtes point nos délégués.
    Est-ce en vertu d'une autorité Transmise par le Gouvernement ? Mais il ne peut vous autoriser à faire plus qu'il ne pourrait faire lui-même; et ici on rentre dans la difficulté que nous venons d'exposer, et qui résulte de la loi du 17 ventôse an XI.
    D'ailleurs, par quelle peine ce décret de l'Assemblée pourrait-il être sanctionné ? Refuserait-elle aux contrevenants le titre et la qualité de Juifs; mais cette menace ne serait qu'apparante, car, privée de toute autorité religieuse, elle ne pourrait les excommunier.
    On ne voit donc qu'une manière véritablement légale de régulariser cette marche.
    Il faudrait que les Juifs fussent un moment hypothétiquement considérés comme une nation encore étrangère, avec laquelle on entre dans une sorte de Traité, que dans ce Traité on ne l'admit, ni dans la génération actuelle ni dans les Générations futures, à résider en France, à y jouir de l'exercice des Droits Civils qu'à des conditions qu'elle aurait offertes elle-même.
    Les articles en questions seraient le texte de cette convention qui serait agréée par le Gouvernement.
    Mais, soit pour établir la première hypothèse, à l'égard de 100 mille individus nés en France, et par conséquent investis par la loi du 17 Ventôse de la jouissance des Droits civils, soit pour consacrer à l'avenir, à l'égard des individus de cette nation, l'exception relative à une jouissance des Droits civils, il faut, ou une loi qui révoque la première, ou un Sénatus Consulte supérieur aux Lois.
    On n'insistera pas ici sur les graves inconvénients d'une mesure de haute police, dans une affaire de cette nature. Ces mesures qui ont en général le grave inconvénient de paraître arbitraire lors même qu'elles ne le seraient pas, entraîneraient ici des conséquences bien plus fâcheuses, puisqu'il s'agit de transactions civiles, lorsqu'il s'agit de frapper un Corps entier de nation, elles seraient de nature à alarmer les Citoyens, sur l'exercice de leurs droits les plus sacrés.

Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005