DISCOURS
PRONONCE
A LA GRANDE SYNAGOGUE DE PARIS.
A L'OCCASION
DE L'OUVERTURE DU GRAND SANHÉDRIN,
Par    ABRAHAM COLOGNA,
TRADUIT EN FRANÇAIS
Par M. le Président FURTADO



In luce facierum regis est vita, et bene volentia ejus sicut nubes, plluviae
  Prov. chap. XVI, vers IV.    

    IL est donc vrai que les restes dispersés d'Israël peuvent se féliciter en ce jour; d'occuper une place dans les fastes glorieux du plus grand des héros !   
    Il est donc vrai que l'homme prodigieux à qui la victoire empressée obéit dans les champs de Mars; que le fort, le magnanime, à qui les empires et les peuples doivent leur salut et leur félicité ; que le monarque tout à la fois terrible et généreux, dans l'indignation duquel les gouvernements déloyaux rencontrent leur infaillible perte, et dont la protection est le plus solide appui des souverains ami.; que l'homme extraordinaire pour qui le siège impérial est un trop faible tribut; daigne déchirer de sa main puissante et bienfaisante le voile épais qui, pendant près de quatre cents lustres, tint enseveli dans un honteux oubli les orphelins de la débile Sion !
    Il est donc vrai, dis-je, que le génie prodigieux de l'immortel Napoléon, émanation de l'esprit vivifiant de l'éternelle sagesse, rappelle à une nouvelle existence les membres desséchés et désunis des restes d'un peuple aussi célèbre par ses malheurs qu'il l'avait été par son ancienne gloire !
    Grand Dieu! votre bonté suprême me permet donc aujourd'hui, Ezéchiel nouveau, d'être le témoin et l'admirateur de la résurrection
 qui s'opère !
    Lorsque je fixe mes regards étonnés sur cette vénérable réunion d'hommes doctes, une voix secrète et plus qu'humaine semble me dire : "Ces hommes que tu contemples, recommandables par leur savoir, absorbés dans une profonde méditation, se préparant à promulguer des décisions doctrinales, hier encore n'étaient que des membres froids et inanimés de la famille d'Israël"
"Ossa hoec universa domus Israël sunt" Esch. chap XXXVII, v. 4    
    O spectacle magnifique et inattendu: ô surprenante et heureuse métamorphose!
    Nous jadis avilis... Qu'un silence profond ensevelisse à jamais la douloureuse et trop longue histoire de tant d'horribles persécutions, de tant d'odieuses calomnies!
    Nous, jadis avilis à la face du monde entier et presque à nos propres jeux, peu sen est fallu que nous ne perdissions le dernier refuge du malheur, l'espérance de le voir jamais finir. "Inaruerune ossa nostra, perdu spes nostra." Ibid.

    Et comment n'aurions-nous pas éprouvé ce triste sentiment? de quel prix pouvait - être la vie à des êtres qui avaient cessé d'appartenir à la société civile, et que l'on dégradait au-dessous de la qualité d'homme ?
    Dieu lui-même affirme cette vérité , lorsque sous l'image de son serviteur fidèle, condamné par le monde aux persécutions, il décrit notre destinée.    "Abscissus è terra viventium. " Isaïe, Chap. LIII, v.8.

    Non , l'image que j'ai empruntée de la mort n'est point une hyperbole ; non, la résurrection dont j'ai parlé n'est point une chimère. Ne sont-elles pas signalées dans les paroles divines que j'ai rappelées?
    Israël, te voilà rendu à la vie par un de ces changements  merveilleux que pouvait seul opérer, dirigée par une main divine, la main puissante du plus grand monarque de la terre!

    Ce génie créateur, qui parmi les mortels est le mieux formé a l'image de Dieu (1) en suit les traces sublimes.

    Dieu, en donnant l'être à l'homme, a doué cet ouvrage de ses mains d'un rayon de son intelligence, qui, dissipant devant lui l'illusion des sens et des passions, lui montre la route la plus sûre pour se diriger vers la bien.

    De même l'auteur de notre régénération politique a chargé ceux d'entre nous qu'il en a jugés dignes, de la mission intéressante et noble de dissiper devant nos frères les ténèbres de l'ignorance, le préjugé-enfant de l'erreur, et de faire briller à  leurs yeux la lumière de la justice et de la vérité .

    C'est dans ce sens que nos maîtres célèbres, usant d'une métaphore instructive et sublime, ont judicieusement appelé la suprême magistrature, les yeux du peuple.

    Respectables sénateur ! vénérable chef de la religion, illustre président (2), vous qui, dans cette assemblée de sages, brillez de tant d'éclat et siégez si dignement, et vous, très-docte collègue (3), qui avez si justement mérité d'être assis à sa droit,. et qui partagez mon amitié et mon respect
    Déjà parcourant par la pensée les annales de notre longue dispersion, vous remarquerez le petit nombre de jours sereins qui de temps en temps ont banni les tristes ombres, et vous reconnaissez qu'ils n'ont été que comme un faible crépuscule, en comparaison de la brillante lumière qui nous éclaire aujourd'hui, et qui signale cette époque heureuse et mémorable.
    
    Que n'ai-je le don sublime de l'éloquence pour me rendre l'interprète des sentiments nobles et touchants dont vos âmes se remplissent en ce moment! J'exprimerais notre pieuse gratitude envers l'Éternel, première source de toutes les grâces; votre ferme attachement à la religion sainte et sacrée de vos pères ; votre vif et ardent désir de procurer la félicité spirituelle et temporelle de nos frères et de nos descendants; votre profonde vénération , votre inaltérable amour, votre immortelle reconnaissance, pour un souverain en qui. avec le monde entier, vous voyez briller au même degré la force et la justice, le courage et la clémence, la science et la modestie, la gloire et la simplicité. Ah ! que ces lames d'attendrissement et d'allégresse que je vois couler de vos yeux parlent bien plus énergiquement que je ne saurais jamais le faire !

    Mais puisque je me sens incapable d'exprimer l'abondance des vifs sentiments que je me glorifie hautement de partager avec vous, je réclame votre indulgence et vous prie de me de me permettre de me rappeler  à moi-même en peu de mots l'objet sublime de notre mission.

    Concilier les devoirs de la vie civile avec les devoirs religieux; montrer l'harmonie de leurs principes; faire si bien que les uns se soutenant par les autres, leur influence produise tous les avantages; en un mot, développer les maximes de la vraie sociabilité, sur lesquelles est basée notre croyance, jusqu'ici mal connue par les uns et calomniée par les autres: voilà l'ouvrage important que doit accomplir ce respectable Sanhédrin, après celui sagement entamé par l'honorable Assemblée,. et après avoir imploré les lumières et le secours de l'éternelle sagesse.
    Vous qui goûtez le sublime inimitable des divins oracles exprimés avec tant de laconisme dans la langue originale et sainte, vous n'observerez pas avec moi sans ravissement comment cette grande théorie est toute renfermée dans un hémistiche. de quatre mots seulement, modulés sur la lyre prophétique du Roi psalmiste: "Inhabita terram et pasce fidem. " Ps.XXXVI, XXXVll, v. 3
    "Israélite ! dit David, remplis comme homme et comme citoyen tes devoirs envers la société et envers la patrie, et conserve-toi constamment fidèle à ta religion "
    Ainsi, vénérables Docteurs et Notables, puisque la miséricorde de Dieu nous a envoyé le protecteur puissant de la vérité, prononçons-la courageusement à la face de l'univers; déclarons avec un vertueux   orgueil digne de notre antique origine, que les dogmes d'Israël comportent le moins possible d'égoïsme religieux.

    Non seulement nous considérons chaque homme comme notre semblable; non-seulement nous respectons (4) en lui ce rayon céleste appelé âme, formé à l'imitation de l'archétype incréé et souverainement parfait; non seulement nous sommes obligés d'aimer et de traiter, dans toutes les relations civiles et morales, notre concitoyen comme notre frère; mais encore, par un principe de notre foi, nous garantissons, pour ainsi dire, le salut éternel à tous les hommes de bonnes mœurs nés dans notre giron, qui reconnaissent Dieu pour créateur du ciel et de la terre, quelle que soit d'ailleurs leur manière de l'adorer.
    Citons à qui révoquerait en doute cette assertion, la doctrine de notre talmud : "Pu cujuscunque nationis oeterne vitae participes sunt." That. Sann. ch. XI

    Ah! que l'ame sensible du philanthrope religieux éprouve une satisfaction plus que terrestre dans ce consolant principe, caractéristique d'une religion toute divine, qui respire partout la douceur et la paix! . "Vie ejus, vie dulcudinis, et omnes semitoe ejus pacificae. PROV. Ch. III, v.19
    Et à qui sommes-nous redevables du grand avantage de pouvoir justifier aussi lumineusement nos maximes religieuses, si ce n'est à ce héros qui, agissant avec nous moins en souverain qu'en père, est descendu, si j'ose ainsi m'exprimer, à nous dénoncer la calomnie
qui a essayé de noircir ces maximes? Lui, lui-même, par un excès de bonté, en a provoqué la justification.
    Et quel est le résultat des devoirs auquels il nous appelle, sinon une source de bienfaits fait ?
    Quelle félicité, quelle gloire pour nous, d'être rendus à la société, à la patrie et à nous mêmes, en nous livrant à une honnête industrie à l'agriculture, aux arts, aux sciences, et au service plus important de l'État ?

    Ces devoirs, qui aux yeux de tout homme bien pensant ne sont que des grâces, sa bonté sans égale nous y engage. Et par quel moyen ? en les faisant précéder par d'autres grâces !

    Déjà, du haut de son trône, il a prononcé la garantie de nos droits civils et politiques, la reconnaissance et l'organisation da cotre
culte.
    Tel est le caractère des lois de NAPOLÉON, que le sujet, en leur obéissant, exerce encore un acte de soumission qu'il ne satisfait à son propre avantage.
    Il ne commande que pour faire le bien, ne gouverne que pour faire des heureux.
    Ici, mes auditeurs, se présente naturellement l'application l'application du texte par lequel je suis entré en matière, et qui offre un abrégé fidèle de mon discours.
    Un rayon de la souveraine munificence nous restitue à la vie  sociale.  "In luce favierum regis rit vita. "

    Ses décrets suprêmes ne tendent qu'à garantir, à propager en nous les précieux effets des ses faveurs: image de ces vapeurs salutaires qui, après s'être élevées au sein des nuages retombent en pluie bienfaisante pour rendre plus fertile la terre cultivée. "Et benevolenrin efax sicut  rubes  pluvie"

  MONARQUE ÉLEVÉ !  déjà l'histoire de vos sujets Israélites atteste  que votre générosité est aussi inépuisable que votre valeur est invincible. 
    Ainsi, mes Frères, lorsque le vœu magnanime qu'il a formé sera accompli pour nous; lorsqu'il n'existerai plus parmi les enfants d'Israël des sujets qui dégénèrent de l'antique vertu de leurs ancêtres; lorsque la patrie et la société ne verront en nous que des citoyens utiles; lorsque enfin nous imaginerons trouver dans notre conduite le tribut de notre reconnaissance envers notre précieux Souverain, nous n'y trouverons en effet que les résultats toujours nouveaux de sa paternelle sollicitude.
    Et quel est le moyen de lui manifester des faits la gratitude de nos cœurs?
    S'il en peut exister un, c'est d'encourager de toutes les forces de notre esprit ta jeunesse d'Israël à courir en foule vers la carrière militaire, sous ses glorieuse, enseignes; à offrir, à exposer, à sacrifier à l'envi son sang et sa vie pour le servir et pour la gloire de notre Régénérateur.

    Tendres rejetons d'Abraham, modèle de la foi ainsi que de la valeur ! Vous convaincrez   le monde entier que notre religion commande hautement la gratitude. Vous vous rallierez avec enthousiasme autour de l'Auguste Bienfaiteur de vos familles; et désormais, ne cachant plus ni le nom ni le caractère d'Israélites, vous ferez revivre la gloire d'un peuple antique que tant de siècles d'ignorance ont si injustement et si souvent opprimé, et toujours méprisé ou négligé; vous vous montrerez plus que tout autre dignes de l'acte éclatant de la justice qui nous est rendue par NAPOLEON-LE-GRAND.

     MES FRÈRES ! au nom de toute notre société religieuse, appelons dans ce sanctuaire, oui, appelons du profond de nos amer les célestes bénédictions du DIEU d'ISRAËL sur sa personne sacrée, sur celle de l'adorable IMPÉRATRICE ET REINE son auguste épouse et sur toute la FAMILLE IMPÉRIALE; et faisons des vœux ardents et continuels pour la prolongation de ses jours heureux! "Dies super dies adjices. AMEN"

(1) Cette expression ne paraît pas exagérée à ceux qui savent que tout israélite, suivant le précepte rabbinique, est obligé de prononcer à la vue d'un souverain de quelque nation qu'il soit : "Bénit soit l'Éternel, dieu d'Israël, roi de l'univers, qui a fait partager sa gloire aux hommes !" Talmud, Traité des Bénédictions, chap IX,pag.58
(2) M; le rabbin D. Sintsheim, chef du grand sanhédrin.
(3) M. le rabbin Sègre, premier assesseur.
(4) Mischna, Traité

Source: Centre Historique des Archives Nationales F/19/11004 et 11005