Extraitde Journaux parisiens :

Le Publiciste et le Journal de l'Empire


Paris 31 juillet 1806


    Le Moniteur d’aujourd’hui contient la liste complète des députés juifs rassemblés à Paris ; le procès-verbal de l’ouverture de leurs séances, qui s’est faite le 26 courant, à onze heures du matin, dans une salle attenante à l’Hôtel de ville; & la notice de la séance tenue le 29. Dans la séance d’ouverture, les membres ont élu d’abord pour leur président M. Abraham Furtado, banquier à Bordeaux; pour secrétaires, MM. J. Rodrigue fils, négociant à Paris; & Isaac Samuel Avigdor, négociant à Nice. L’assemblée a arrêté d’émettre le vœu de se présenter en masse au pied du trône, pour exprimer ses sentiments d’amour, de respect & de dévouement pour la personne sacrée de sa majesté, & s’est ajournée au mardi 29. Le président a été chargé de se rendre auprès de S. Exc. Le ministre de l’intérieur, pour lui donner connaissance de ses opérations, & du vœu qu’elle avait manifesté.

    Le 29, les commissaires nommés par S. M. se sont rendus à la préfecture du département de la Seine, pour porter à l’assemblée la série de questions qui doit faire l’objet de ses délibérations. Introduits à trois heures, M. Molé a porté la parole & prononcé le discours suivant :

    « Messieurs, S. M. l’empereur & roi, après avoir nommés ses commissaires pour traiter des affaires vous concernant, nous envoie aujourd’hui pour vous faire connaître ses intentions. Appelés des extrémités de ce vaste Empire, aucun de vous cependant n’ignore l’objet pour lequel S. M. a voulu vous réunir. Vous le savez, la conduite de plusieurs de ceux de votre religion a excité des plaintes qui sont parvenues au pied du trône. Ces plaintes étaient fondées, & pourtant l’Empereur s’est contenté de suspendre le progrès du mal, & il a voulu vous entendre sur les moyens de le guérir. Vous méritez sans doute des ménagements si paternels, et vous sentirez quelle haute mission vous est confiée. Loin de considérer le gouvernement sous lequel vous vivez comme une puissance de laquelle vous avez à vous défendre, vous ne songerez qu’à l’éclairer, à coopérer avec lui au bien qu’il prépare ; et ainsi, en montrant que vous avez su profiter de l’expérience de ses lois Françaises, vous prouverez que vous ne vous isolez pas des autres hommes.

    Les lois qui ont été imposées aux individus de votre religion, ont varié par toute la terre; l’intérêt du moment les a souvent dictées. Mais, de même que cette assemblée n’a point d’exemple dans les fastes du christianisme, de même, pour la première fois, vous allez être jugés avec justice, & vous allez voir, par un prince chrétien, votre sort fixé. S. M. veut que vous soyez Français ; c’est à vous d’accepter un pareil titre & de songer que ce serait y renoncer que de ne pas vous en rendre dignes.

    On va vous lire les questions qui vous sont adressées : votre devoir est de faire connaître sur chacune d’elles la vérité toute entière. Nous vous le disons aujourd’hui & nous vous le répéterons sans cesse, lorsqu’un monarque aussi ferme que juste, qui sait également tout connaître, tout récompenser & tout punir, interroge ses sujets, ceux-ci, en ne répondant pas avec franchise, se rendent aussi coupables qu’ils se montreraient aveuglés sur leurs véritables intérêts.

    S. M. a voulu, messieurs, que vous jouissiez de la plus grande liberté dans vos délibérations. A mesure que vos réponses seront rédigées, votre président nous les fera connaître. Quant à nous, notre vœu le plus ardent est de pouvoir apprendre à l’empereur qu’il ne compte parmi ses sujets de la religion juive que des sujets fidèles & décidés à se conformer en tout aux lois & à la morale que doivent suivre & pratiquer tous les Français. »


    -- Les députés juifs se réuniront, pour la première fois, samedi prochain, 26 courant, dans l’ancienne chapelle Saint-Jean, attenante à l’hôtel-de-ville, qui a été préparée pour la tenue de leur assemblée.

    - Plus l’assemblée des Juifs approche, plus on met d’intérêt à connaître les objets qui y seront traités. Sans vouloir rien préjuger, je crois qu’il serait possible d’établir la question comme l’a déjà fait M. de Bonald; car, dans ce siècle, toute la différence d’opinion entre les partisans des Juifs, et ceux qui n’en sont pas partisans, consiste à savoir si la France, par exemple, doit mettre au nombre de ses enfants des hommes qui ne reconnaissent pas ses lois, avant qu’ils aient pris l’engagement de fondre autant que possible leurs mœurs dans les mœurs générales; ou si la saine politique exige que le gouvernement, avant de donner aux Juifs tous les avantages dont jouissent les autres Français, s’assure qu’ils n’en useront qu’au profit de l’intérêt général.

    Cette question est d’une haute importance; et l’on peut dire qu’elle n’avait pas encore été franchement abordée jusqu’ici; car dans la législation de tous les peuples à l’égard des Juifs, rien n’a été fait que suivant l’intérêt ou les passions du moment. C’est ce qu’on prouve avec clarté et talent dans une dissertation historique insérée dans le Moniteur d’aujourd’hui, et dont l’objet est de faire connaître l’état présent des Juifs dans le monde, les variations de leur sort, et le développement de leur doctrine depuis leur dispersion. Une dissertation historique n’a et ne peut avoir aucun caractère officiel ; aussi n’est-ce que pour l’intérêt du sujet que nous regrettons de ne pouvoir l’insérer entièrement. Nous citerons le dernier paragraphe, qui en est comme le résumé :

    « Les Juifs sortirent des ruines de Jérusalem et des liens de la captivité pour se répandre par toute la terre. Ils portèrent en tous lieux les sentiments et les croyances que Moïse leur avait inspirés, dans le dessein de les isoler et de leur inculquer la haine et le mépris des autres peuples. Haïs et méprisés à leur tour, ils ne tardèrent pas à être persécutés chez toutes les nations qui leur donnaient asile. Tous les jours ils voyaient davantage se répandre une religion qui reconnaissait pour Dieu celui qu’ils avaient crucifié; et ils étaient traités comme des sacrilèges par tous ceux qu’ils devaient considérer comme des idolâtres. Les peuples ignorants et barbares les égorgeaient, tandis que les ministres du christianisme, plus éclairés sur la véritable morale de l’Évangile, les protégeaient et les regardaient comme une preuve vivante de leur religion même.

    Une foule de lois cruelles furent portées contre eux; on leur interdit la possession de la terre, le commerce, l’industrie, et on les condamna pour ainsi dire à l’usure, à laquelle ils n’étaient que trop portés, puisqu’elle leur offrait à la fois le seul moyen de satisfaire leur avidité et leur vengeance. Les ravages de leur monopoles excitèrent partout les plaintes les plus vives; et pendant plusieurs siècles, les princes ne firent que les chasser et les rappeler tour-à-tour : ils les chassaient lorsque le mal devenait trop grand, et il les rappelaient quand ils avaient besoin d’argent, attendu que les Juifs leur payaient de très grosses sommes pour être tolérés, et que, véritables marchands d’argent, il se trouvait toujours dans leurs mains une grand quantité de cette denrée. Déjà ils suivaient le Thalmud bien plus que la loi de Moïse, et leurs adversaires affirmaient que le Thalmud autorisait l’usure. Ce point fut longtemps controversé entre eux et les Chrétiens; peut-être même n’a-t-il pas encore été éclairci.

    Quant à nous, il nous paraît évident, par les passages authentiques que nous avons cités, que les rabbins ont non seulement autorisé, mais encore prescrit l’usure; nous croyons aussi pouvoir assurer que dans le dédale inextricable de leurs écrits, on trouverait des passages où ils la défendent. A la vérité il nous a semblé que la plupart de ces passages étaient postérieurs aux reproches des Chrétiens. D’ailleurs comment expliquer autrement que les Juifs qui se trouvent aujourd’hui faire presque tous l’usure, soient en même temps les plus religieux et les plus exacts observateurs du Thalmud ? Indépendamment de ce que renferme la loi des rabbins sur ce sujet, il est un fait important qui doit trouver ici sa place, et qu’aucun Juif ne niera : c’est que les usuriers de cette nation qui se reprochent intérieurement le mal qu’ils font aux Chrétiens, croient, à l’aide de beaucoup de pratiques religieuses, pouvoir l’expier à mesure qu’ils le commettent.

    N’est-ce point encore une chose singulière, et dont on ne doit chercher la raison que dans le vice de la morale ou des lois d’un peuple, que de voir la misère, l’ignorance et le malheur le porter à une seule espèce de désordres et de crimes ? Dans les autres religions, les hommes grossiers ou misérables se laissent aller au jeu, au vice, au vol, à la débauche, selon la nature de leurs positions et la diversité de leurs humeurs. Ici, c’est toujours l’usure ; nous avouerons que ce simple fait nous paraîtrait suffisant pour lever tous les doutes ; et lorsque les juifs disent qu’ils ne sont usuriers que parce qu’ils sont malheureux, on pourrait leur répondre que le malheur et l’oppression avilissent les hommes, mais qu’ils ne leur impriment pas ce caractère constant et uniforme dans leur avilissement.

    Nul doute qu’une observation impartiale ne donne cette opinion, que les Juifs ne se rapprochent des autre peuples, ou plutôt qu’ils ne cessent d’être en opposition avec eux, qu’à mesure que leur obéissance à leur loi est moins aveugle et moins entière. Ne voyons-nous pas les Juifs portugais suivre fort peu le Thalmud ? Les savants distingués qu’ont eus les Juifs d’Allemagne, leur fameux Mendelshönn, avaient-ils un grand respect pour la loi des rabbins ? Enfin, ceux que nous voyons parmi nous cultiver et honorer les sciences sont-ils des dévots ? »


ASSEMBLEE DES JUIFS

Extraits des procès verbaux des séances des 26 et 29 juillet 1806

    Samedi 26 juillet, les députés français professant la religion juive appelés à paris en vertu du décret de S.M. I et R. du 30 mai dernier, se sont réunis, à 11 heures du matin dans une salle attenante à l’Hôtel-de-Ville, sur l’invitation qui leur en a été faite par la circulaire de sin excellence le ministre de l’intérieur, du 25 de ce mois, à l’effet de nommer un président, deux secrétaires et trois scrutateurs.

    Pour faire cette élection, l’assemblée s’est constituée sous la présidence de M. Salomon Lippmann, comme doyen d’âge, et de MM. Mazes Levy et Henri Castro fils, comme secrétaires.

    Elle a commencé ses opérations par l’appel de ses membres. En même temps il a été procédé, au scrutin, à la nomination du président. M. Abraham Furtado ayant réuni la majorité absolue des suffrages, a été proclamé président par le doyen d’âge ; mais avant d’occuper le fauteuil, il a pris la parole pour remercier l’assemblée de la marque de confiance qu’elle venait de lui donner; il l’a en même temps engagée à écarter de son sein le trouble et le désordre qui accompagnent presque toujours les grandes assemblées délibérantes : une funeste expérience, a-t-il dit, n’a que trop prouvé que les hommes réunis en grand nombre, assemblent plus souvent leurs passions que leurs vertus. Il a parlé avec le plus profond respect et la plus vive admiration du héros libérateur qui nous gouverne, et il a engagé l’assemblée à se rendre digne de seconder ses magnanimes desseins par une contenance imposante et tranquille. L’assemblée a vivement applaudi au discours de son président, et la salle a retenti des acclamations réitérées de vive l’Empereur, vive la famille impériale !

    L’assemblée ayant procédé ensuite, par un seul scrutin, à la nomination de deux secrétaires, MM. J. Rodrigues fils, et Samuel Avigdor ont réuni la majorité relative des suffrages. En conséquence le nouveau président les a proclamés secrétaires, et ils ont de suite pris place au bureau en cette qualité. Il a été procédé, enfin, à la nomination de trois scrutateurs, et la majorité relative des suffrages s’étant réunie sur MM. Olry Hayem Worms, Théodore Cerf-Berr et Emilie Vitta, M. le président les a proclamés scrutateurs. Ils ont, en conséquence, pris leur place au bureau.

    Les élections étant terminées, un membre propose une députation pour aller, avec le président en tête, à Saint-Cloud, mettre aux pieds du trône les sentiments de dévouement, de respect et d’amour qui animent tous les membres de l’assemblée pour la personne sacrée de S.M.I. et R., et pour assurer l’auguste monarque qui nous gouverne du zèle empressé avec lequel une partie de ses fidèles sujets s’efforcera de répondre aux importantes communications qui doivent nous être faites en son nom par ses commissaires.

    Un autre membre dit : Oui, Messieurs, notre vœu le plus empressé doit être, et il est de porter aux pieds du trône l’expression de notre reconnaissance et l’hommage de notre respect ; d’y apporter notre promesse de concourir de tous nos efforts à l’accomplissement des augustes desseins de S.M. sur nous, et nos serments de lui être fidèles et dévoués jusqu’à la mort. Il finit par demander que S. Exc. Mgr. Le ministre de l’intérieur soit prié de vouloir bien transmettre à S.M. ce vœu des députés Juifs, et en attendant d’obtenir cette faveur que l’assemblée ne saurait trop apprécier, de vouloir bien se rendre auprès de S.M. l’organe des sentiments dont elle est pénétrée.

    Un troisième membre fait lecture d’une motion tendante à remplir les mêmes intentions; mais, attendu qu’elle renferme divers articles, M. le président propose et l’assemblée adopte d’en renvoyer la discussion à la prochaine séance.

    Après avoir entendu l’opinion de plusieurs membres, l’assemblée arrête d’émettre le vœu de se présenter en masse devant S.M.I. et R., pour lui exprimer les sentiments d’amour, de respect et de dévouement dont chacun de ses membres est pénétré pour sa personne sacrée, et pour lui jurer de concourir de tous les moyens aux vues bienfaisantes et paternelles dont sa grand âme est animée, et qui ont déterminé notre réunion.

Du 29 juillet. - Les commissaires de l’Empereur, pour traiter les affaires relatives aux Juifs, se sont rendus le 29 juillet, selon les instructions qu’ils ont reçues de S. Exc. Le ministre de l’Intérieur, à l’hôtel de la préfecture du département de la Seine, pour porter à l’assemblée des Juifs la série des questions qui doivent faire le sujet des délibérations de cette assemblée, d’après les ordres de S.M. Ils y sont arrivés à trois heures après midi; l’assemblé, prévenue de leur arrivée, a envoyé au devant d’eux une députation, à la tête de laquelle était son bureau.

    Au moment où les commissaires de S. M. ont été introduits dans la salle, elle a retenti trois fois des cris de Vive l’Empereur !

    M. Molé a porté la parole, et prononcé le discours suivant :

    « Messieurs,

    S. M. lempereur et roi, après avoir nommés ses commissaires pour traiter des affaires vous concernant, nous envoie aujourdhui pour vous faire connaître ses intentions. Appelés des extrémités de ce vaste Empire, aucun de vous cependant nignore lobjet pour lequel S. M. a voulu vous réunir. Vous le savez, la conduite de plusieurs de ceux de votre religion a excité des plaintes qui sont parvenues au pied du trône. Ces plaintes étaient fondées, et pourtant lEmpereur sest contenté de suspendre le progrès du mal, et il a voulu vous entendre sur les moyens de le guérir. Vous méritez sans doute des ménagements si paternels, et vous sentirez quelle haute mission vous est confiée. Loin de considérer le gouvernement sous lequel vous vivez comme une puissance de laquelle vous avez à vous défendre, vous ne songerez quà léclairer, à coopérer avec lui au bien quil prépare ; et ainsi, en montrant que vous avez su profiter de lexpérience de ses lois Françaises, vous prouverez que vous ne vous isolez pas des autres hommes.

    Les lois qui ont été imposées aux individus de votre religion, ont varié par toute la terre; lintérêt du moment les a souvent dictées. Mais, de même que cette assemblée na point dexemple dans les fastes du christianisme, de même, pour la première fois, vous allez être jugés avec justice, et vous allez voir, par un prince chrétien, votre sort fixé. S. M. veut que vous soyez Français ; cest à vous daccepter un pareil titre et de songer que ce serait y renoncer que de ne pas vous en rendre dignes.

    On va vous lire les questions qui vous sont adressées : votre devoir est de faire connaître sur chacune delles la vérité toute entière. Nous vous le disons aujourdhui et nous vous le répéterons sans cesse, lorsquun monarque aussi ferme que juste, qui sait également tout connaître, tout récompenser et tout punir, interroge ses sujets, ceux-ci, en ne répondant pas avec franchise, se rendent aussi coupables quils se montreraient aveuglés sur leurs véritables intérêts.

    S. M. a voulu, messieurs, que vous jouissiez de la plus grande liberté dans vos délibérations. A mesure que vos réponses seront rédigées, votre président nous les fera connaître. Quant à nous, notre vœu le plus ardent est de pouvoir apprendre à lempereur quil ne compte parmi ses sujets de la religion juive que des sujets fidèles et décidés à se conformer en tout aux lois et à la morale que doivent suivre et pratiquer tous les Français. »

    Ila été ensuite donné lecture par le secrétaire de l’assemblé, des questions posées par S.M. Le président a adressé un discours aux commissaires, dans lequel il a exprimé les sentiments de reconnaissance dont tous les Juifs qui habitent le territoire français sont pénétrés pour les volontés paternelles de S.M. Son discours terminé a été suivi des acclamation réitérées de vive l’Empereur !

    Les commissaires de S.M. ont demandé acte de la remise des questions qu’ils déposaient sur le bureau.

    Le président leur en a donné acte.

    Ils ont alors jugé convenable de se retirer, conformément aux instructions qu’ils ont reçues de S. Exc. Le ministre de l’Intérieur, quoique divers membres de l’assemblée manifestassent les désir d’être entendus par eux. Ils sont sortis aux cris de vive l’Empereur ! et ont été reconduits par la députation qui les avait introduits.

    L’assemblée des Juifs est à présent composée de 95 membres, députés des divers départements de l’Empire français. Parmi ces députés, il y a onze rabbins ; les autres sont des propriétaires, ou des banquiers, ou des négociants.


15 août

    Tous les journaux, comme nous l’avons dit, toutes les lettres particulières que nous recevons des départements, ne parlent que de l’enthousiasme avec lequel a été célébré partout la saint-Napoléon; & il nous serait impossible, à moins d’en remplir en entier notre feuille pendant plusieurs jours, d’insérer tous les détails qu’on nous apporte & qu’on nous adresse de toutes les extrémités de l’Empire. Les juifs, profondément reconnaissants de ce que S. M. fait & médite en leur faveur, ont partagé partout les sentiments universels, & adressé des prières au ciel pour leur protecteur : nous avons reçu, entr’autres, de Metz & de Bordeaux, des détails intéressants sur les fêtes religieuses qu’ils y ont célébrées.


    - Plusieurs odes hébraïques ont été composées à l'occasion de la naissance de S. M. impériale & royale , célébrée par les députes juifs , dans la grande synagogue de Paris. On distingue parmi ces odes , celle de M. Millaud, rabbin , député du Vaucluse , que l'un de nos orientalistes les plus distingués vient de traduire en français; deux autres , de M. Mayer ; & une quatrième de M. Abraham Cologna , ex-législateur , & membre du collège électoral des savants du royaume d'Italie. Les deux dernières , traduites par M. Michel Berr, ont été imprimées ensemble à l'imprimerie impériale, avec une préface du traducteur. L'ouvrage se vend citez Debray, libraire, rue Saint-Honoré , vis-a-vis celle du Coq.


Paris 29 août

    Les membres nommés par l’assemblée générale des Juifs, pour composer la commission qui doit avoir des relations avec les commissaires de S. M. I. & R., pour les différentes communications officielles adoptées par l’assemblé, sont : M. Fustado, président; MM. Avigdon & Rodrigue fils, secrétaires; MM. Worms, Théodore Cerf-Berr, Emilie Vitta, scrutateurs; M. Berr Isaac Berr, conseiller municipal à Nancy; M. Michel Berr, homme de loi, membre de plusieurs académies; MM. Seger, Andrad, Zinzleimer, rabbins; M. Moïse Lévy, de Nancy; M. Jacob Berr, de Metz; M. Baruel Cerf-Berr, de Strasbourg; M. Rodrigue Jeune, de Paris; M. Formaggini, de Milan, du collège électoral des savants, propriétaire en Italie; M. Abraham Cologna, de Mantoue, rabbin, du collège électoral des savants en Italie; M. Latis, de Venise; M. Jacob Lazarre, de Paris


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    Nous avons inséré, dans notre numéro du 30 août, la liste des membres composant le comité nommé par lassemblée des Juifs. Il y a quelquinexactitude dans la manière dont nous avons énoncé las attributions de ce comité. Il nest point dans ses attributions de communiquer avec MM. Les commissaires de lassemblée, lesquels communiquent également avec tous les députés juifs : le comité est uniquement chargé de préparer le travail, & de diriger les discussions de lassemblée sur les diverses communications qui lui sont faites par MM. Les commissaires de S.M.


De Paris, le 6 septembre


    Une de nos feuilles donne aujourd’hui, sous la date de Manheim, l’article suivant, que nous transcrivons, sans répondre de son exactitude :

    Quelques-unes des réponses données par les députés de la nation juive au synode de Paris, aux questions qui leur ont été proposées, ont déjà transpiré. Celle que ces députés ont faite à la troisième question ; savoir : « Un juif peut-il épouser une chrétienne, ou un chrétien épouser une juive ; ou bien la loi défend-elle aux juifs de se marier autrement qu’entr’eux ? A été de la teneur suivante : La loi de Moïse défend en propres termes aux deux sexes de la nation juive le mélange avec des peuples immondes ; mais cette loi n’est applicable ni aux Français ni aux Françaises, vu qu’ils ne sont pas nommés expressément par Moïse. Quant à la bénédiction nuptiale à donner par les rabbins, cette cérémonie, selon ce que disent les députés, n’est point en usage chez les juifs; le consentement seul des deux parties suffit, & est obligatoire. Si on voulait obliger les rabbins à donner leur bénédiction à une semblable union, ils feraient probablement les mêmes difficultés que des ecclésiastiques français, qui refusent de marier un chrétien et une juive, & vice versa. A la sixième question : « S’ils reconnaissaient la France pour leur patrie, &c. », il a été répondu affirmativement ; mais il est venu après, dit-on, quelques scrupules aux rabbins, surtout relativement à la patrie; On est curieux de voir comment la députation se tirera de cette perplexité, sans renoncer à la croyance à l’arrivée du Messie & à la possession de la Judée ».


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Aux rédacteurs du Publiciste

Paris, le 7 septembre 1806


    Messieurs, je viens de lire dans votre feuille d’aujourd’hui l’article que vous transcrivez d’un autre journal, sans répondre de son exactitude. Cet article est, en effet, d’une telle contexture, qu’il devait naturellement inspirer de justes doutes.

    L’auteur suppose que, sur la troisième question, concernant le mariage, faite par le gouvernement au synode israélite, les députés de cette religion auraient répondu, « que la défense positive n’est qu’avec des peuples immondes; mais que cette loi n’est pas applicable aux Français ».

    Les deux mots immondes & Français sont également controuvés.

    La vérité est que la loi de Moïse n’a défendu les mariages d’une manière absolue qu’avec les sept nations proscrites ; elle restreint & limite cette défense envers les Ammonites, Moabites & Égyptiens ; or cette défense ne s’étendant point aux autres nations, on peut moins l’appliquer encore aux chrétiens, qui, croyant en Dieu, à la création, &c., sont considérés, par les théologiens juifs, bien autrement que ne l’étaient lesdites nations idolâtres.

    L’opinion contraire a pourtant prévalu quant à la pratique dans les deux religions, & ces mariages, extrêmement rares, n’ont jamais reçu ni ne reçoivent même encore la sanction des ecclésiastiques, soit de l’une, soit de l’autre religion.

    Voilà dans quel sens le synode hébreux a répondu.

    Le mot immonde n’étant point dans la loi, n’a pu se trouver dans la réponse, ni celui de Français, qui, sous le rapport théologique, ne peut pas être un titre pour faire une exception sur le reste des chrétiens.

    L’auteur du même article expose que, sur la sixième question, « si nous reconnaissons la France comme notre patrie, on est curieux de voir comment la députation se tirera de cette perplexité, sans renoncer à la croyance de l’arrivée du Messie & à la possession de la Judée ».

    Cette curiosité prouve que l’auteur n’a jamais eu celle de connaître les lois de Hébreux ; il aurait vu que la possession de la Judée leur est promise comme une récompense à leur bonne conduite religieuse, & seulement, comme en pareil cas, le royaume des cieux est promis, par l’évangile, aux catholiques. Or, si ceux-ci peuvent faire concorder cette attente avec leurs devoirs de citoyens, pourquoi les autres auraient-ils plus de difficultés à mettre ces deux devoirs en harmonie ?

    J’ai l’honneur d’être, messieurs, &c.

    J.S.A.


Décembre 1806


    Le 18 de ce mois, MM. Les commissaires de S.M.I. & R. près l’assemblée des Français professant le culte de Moïse, s’étant rendus dans le lieu de leurs séances, un d’eux leur a adressé le discours suivant :

    « Messieurs, S.M. l’empereur & roi a vu avec satisfaction vos réponses; elle nous a chargé de vous faire connaître qu’elle avait applaudi à l’esprit qui les a dictées. Mais les communications que nous venons vous faire en son nom prouveront bien mieux que nos paroles, tout ce que cette assemblée doit attendre de son auguste protection.

    En nous présentant de nouveau, messieurs, dans cette enceinte, nous y retrouvons les impressions & les pensées qui nous agitèrent lorsque vous nous avez reçus pour la première fois. En effet, qui ne serait saisi d’étonnement à la vue de cette réunion d’hommes éclairés, choisis parmi les descendants du plus ancien peuple de la Terre ? Si quelque personnage des siècles écoulés revenait à la lumière, & qu’un tel spectacle vint à frapper ses regards, ne se croirait-il pas transporté dans les murs de la cité sainte, on ne penserait-il pas qu’une révolution terrible a renouvelé les choses humaines jusque dans leurs fondements ? Il ne se tromperait pas, messieurs ; c’est au sortir d’une révolution qui menaçait d’engloutir les religions, les trônes et les empires, que les autels & les trônes se relèvent de toute part pour protéger la terre. Une foule insensé avait tenté de tout détruire; un seul homme est venu, & a tout réparé. Le monde entier & le passé depuis son origine ont été livrés à ses regards. Il a vu répandus sur la surface du globe, les restes épars d’une nation aussi célèbre par son abaissement qu’aucun peuple le fût jamais par sa grandeur. Il était juste qu’il s’occupât de son sort, & l’on devait s’attendre que ces mêmes juifs, qui tiennent une si grande place dans le souvenir des hommes, fixeraient l’attention d’un prince qui doit à jamais remplir leur mémoire.

    Les Juifs, accablés du mépris des peuples & souvent en bute à l’avarice des souverains, n’ont point encore été traités avec justice. Leurs coutumes & leurs pratiques les isolaient des sociétés qui les repoussaient à leur tour; & ils n’ont cessé d’attribuer aux lois humiliantes qui leur étaient imposées, les désordres & les vices qu’on leur reproche. Aujourd’hui même encore ils expliquent l’éloignement de quelques uns d’entr‘eux pour l’agriculture & les professions utiles, par le peu de confiance que peuvent prendre dans l’avenir des hommes dont l’existence dépend depuis tant de siècles de l’esprit du moment & du caprice de la puissance. Désormais ne pouvant plus se plaindre, ils ne pourront plus se justifier.

    S.M. a voulu qu’il ne restât aucune excuse à ceux qui ne deviendront pas citoyens. Elle vous assure le libre exercice de votre religion & la pleine jouissance de vos droits politiques. Mais en échange de l’auguste protection qu’elle vous accorde, elle exige une garantie religieuse de l’entière observation des principes énoncés dans vos réponses. Cette assemblée, telle qu’elle est constituée aujourd’hui, ne pourrait à elle seule la lui offrir. Il faut que ces réponses, converties en décision par une autre assemblée, d’une forme plus imposante encore & plus religieuse, puissent être placées à côté du Talmud, & acquerrent ainsi aux yeux des Juifs de tous les pays & de tous les siècles, la plus grande autorité possible. C’est aussi l’unique moyen de répondre à la grandeur & à la générosité des vues de S.M., & de faire éprouver l’heureuse influence de cette mémorable époque à tous vos coreligionnaires.

    La foule des commentateurs de votre loi en a sans doute altéré la pureté, & la diversité de leurs opinions a dû jeter dans le doute la plupart de ceux qui les lisent. Il s’agit donc de rendre à l’universalité des Juifs l’important service de fixer leur croyance sur les matières qui vous ont été soumises. Pour rencontrer dans l’histoire d’Israël une assemblée revêtue d’une autorité capable de produire les résultats que nous attendons, il faut remonter jusqu’au grand sanhédrin. C’est le grand sanhédrin que S. M. se propose de convoquer aujourd’hui. Ce corps, tombé avec le temple, va reparaître pour éclairer par tout le monde le peuple qu’il gouvernait. Il va se rappeler au véritable esprit de sa loi, & lui en donner une explication digne de faire disparaître toutes les interprétations mensongères. Il lui dira d’aimer & défendre les pays qu’il habite, & il lui apprendra que tous les sentiments qui l’attachaient à son antique patrie, il les doit aux lieux où pour la première fois, depuis sa ruine, il peut élever sa voix.

    Enfin, selon l’ancien usage, le grand sanhédrin sera composé de soixante deux membres, sans compter son chef; les deux tiers, ou environ, seront des rabbins, parmi lesquels on verra d’abord ceux qui sont ici présents & qui ont approuvé les réponses; l’autre tiers sera choisi par cette assemblée elle-même, dans son sein & au scrutin secret. Les fonctions du grand sanhédrin consisteront à convertir en décision doctrinales les réponses déjà rendues par l’assemblée, ainsi que celles qui pourraient résulter de la continuation de ses travaux.

    Car, vous l’entendez, messieurs, votre mission n’est pas encore remplie; elle durera aussi longtemps que celle du grand sanhédrin : il ne fera que ratifier & donner un nouveau poids à vos réponses. D’ailleurs, S. M. a été trop satisfaite de vos intentions & de votre zèle, pour dissoudre cette assemblée avant d’avoir terminé le grand œuvre auquel elle l’a appelé à concourir.

    Avant tout, il convient que vous nommiez au scrutin secret un comité de neuf membres, qui puisse préparer avec nous les matières qui doivent faire le sujet de vos nouvelles discussions & des décisions du grand sanhédrin. Vous observerez que, dans la composition de ce comité , les juifs portugais, italiens & allemands se trouvent également représentés. Nous vous invitons aussi à annoncer, sans délais, la convocation du grand sanhédrin à toutes les synagogues de l’Europe, afin qu’elles envoient à Paris des députés capables de fournir au gouvernement de nouvelles lumières, & dignes de communiquer avec vous. »


    M. Furtado, président de l’assemblé, a répondu à MM. Les commissaires de S. M. par un discours dont voici les principaux traits :

    « Il n’appartient qu’à l’homme extraordinaire qui nous gouverne de fermer à jamais la plaie que dix-huit siècles de proscription & d’anathème avaient faite aux malheureux enfants d’Israël, asservis depuis leur dispersion à une politique également *** & ***, jouets des préjugés & des caprices du moment on remarque avec surprise que, parmi ceux même qui ont paru animés du désir d’améliorer notre condition, nul n’ait conçu avec force & grandeur l’idée & les moyens d’arracher des hommes sobres, actifs, industrieux, à la nullité civile & politique dans laquelle ils étaient retenus.

    Toujours en dehors de la société, en butte à la calomnie, victimes innocentes de l’injustice, se taire & souffrir, telle fut, durant bien des siècles, leur triste destinée.

    D’après les principes du droit politique, tout culte religieux doit être soumis à l’autorité souveraine, autant du moins qu’il peut relever du pouvoir humain ; d’abord, pour qu’il n’enseigne point des dogmes nuisibles & ne dégénère pas en superstitions absurdes; ensuite, pour qu’il ne se divise pas en sectes différentes; car si la nature des choses a voulu qu’il y eût plus d’une religion positive dans le même état, l’ordre public & la morale sociale veulent aussi que chacune de ces religions ne se subdivise point, & n’enfante pas des sectes particulières au grand détriment de la paix intérieure des empires.

    Ces principes justifient & consacrent les premières communications qui nous ont été données.

    D’abord il s’agissait de savoir en quoi nos dogmes religieux s’accordaient ou différaient avec la loi de l’état; si ces dogmes, trop longtemps regardés comme insociables ou intolérants, étaient réellement l’un ou l’autre.

    L’illustre dépositaire de l’autorité, a acquis la certitude que le code religieux de Moyse ne contenait, ni dans ses principes, ni dans ses pratiques, rien qui puisse justifier l’exclusion de ses sectateurs de la jouissance des droits civils & politiques de Français.

    Mais S. M. a senti qu’il ne suffisait pas qu’elle fût satisfaite de nos réponses, qu’il fallait encore qu’elles fussent reçues, avouées par les synagogues de France, du royaume d’Italie, & servissent de règle & d’exemple à toutes celles d’Occident. C’est en vertu de cette réserve prudente, de cette sage circonspection, digne de nos éternelles bénédictions dans le prince le plus puissant de la chrétienté, qu’il détermine dans sa sagesse la convocation du grand sanhédrin dont il vient de nous être parlé, afin de donner aux décisions de cette assemblée la sanction religieuse qu’elles doivent avoir ».


    Après ce discours, le président a proposé l’arrêté suivant, qui a été adopté à l’unanimité & par acclamation.

    « L’assemblée des représentants des Israélites de France & du royaume d’Italie, après avoir entendu les communications officielles qui viennent de lui être données par MM. Les commissaires de S. M. impériale et royale;

    Considérant que S. M. l’empereur et roi, en permettant la réunion d’un nombre déterminé de docteurs de la loi, & de notables parmi les laïques, en un grand sanhédrin, a prévenu les vœux & pourvu au plus pressant besoin de tous ceux qui professent en Europe la religion de Moïse ; que sa bienveillance impériale se manifeste tous les jours d’une manière si positive & si éclatante en faveur de ses sujets Israélites, qu’elle leur impose le devoir de concourir de tous leurs efforts à l’achèvement des grand desseins qu’elle a conçus pour le bonheur de tous leurs coreligionnaires d’Occident;

    Arrête que le bureau de l’assemblée se retirera vers les commissaires de S. M. impériale et royale pour les supplier de porter au pied du trône l’hommage de sa profonde gratitude, & de son entier & précieux dévouement;

    Qu’il sera adressé, par l’assemblée, une proclamation à toutes les synagogues de l’Empire français, du royaume d’Italie & de l’Europe, pour leur annoncer que, le 20 octobre, un grand sanhédrin s’ouvrira à Paris, sous la protection & par la permission expresse de S. M.

    Que MM. Les rabbins, membres de l’assemblée, seront invités à faire partie de ce sanhédrin;

    Que vingt-cinq des députés, membres de l’assemblée seront élus au scrutin secret pour en faire également partie;

    Que S.M. impériale & royale sera humblement supplié de vouloir bien donner les ordres nécessaires, afin que vingt-neuf rabbins choisis dans les synagogues de son empire & de son royaume d’Italie, puissent se rendre à Paris pour y assister au grand sanhédrin;

    Qu’il sera procédé dans le sein de l’assemblée à l’élection d’un comité de neuf membres au scrutin secret, par trois scrutins de liste, lequel comité sera chargé de préparer, de concert avec MM. Les commissaires de S. M. l’empereur et roi, les matières qui seront soumises à la délibération du grand sanhédrin;

    Que l’assemblée ne se séparera pas que le grand sanhédrin n’ait clos ses séances; qu’elle prie MM. Les commissaires impériaux de transmettre à S.M. impériale & royale le désir qu’elle éprouve de porter en corps à ses pieds l’hommage de son amour & de son respect.

    L’assemblée arrête, en outre, que copie de la présente délibération sera sur-le-champ, séance tenante, transmise à MM. Les commissaires de S.M.


    Il nous est tombé entre les mains un exemplaire d’une espèce de proclamation, adressée par l’assemblée des députés Israélites de France & du royaume d’Italie à leur coreligionnaires, & imprimée avec le texte ou la traduction hébraïque à côté, par les soins de M. Marcel, directeur de l’imprimerie impériale.

    Cette pièce nous a paru très digne de l’attention publique, & par le ton élevé dont elle est écrite, & par les idées qui y sont exprimées, & par la singularité de la circonstance qui y a donné lieu. Nous la copions textuellement.

    « Les bienfaits du Très-haut se déclarent visiblement sur nous. Un grand événement se prépare : ce que nos pères n’avaient pas vu depuis un long cours de siècles, ce que nous ne pouvions espérer de voir de nos jours, va reparaître aux yeux de l’univers étonné.

    Le 20 (Ce terme n‘est pas de rigueur. Ceux qui se présenteront plus tard ne laisseront pas d‘être accueillis comme ils l‘auraient été plus tôt) octobre est le jour assigné pour l’ouverture d’un grand sanhédrin dans la capitale de l’un des plus puissants empires chrétiens, & sous la protection du prince immortel qui le gouverne.

    Paris va offrir ce spectacle au monde; & cet événement, à jamais mémorable, sera pour les restes dispersés des descendants d’Abraham, une nouvelle ère de délivrance & de félicité.

    Animés des sentiments qu’inspirent une même origine & une même religion, nous venons aujourd’hui vous les exprimer dans l’effusion de la joie.

    Qui n’admirerait avec nous les desseins secrets de cette Providence qui, par des voies inconnues à notre faiblesse, change la face des choses humaines, console les affligés, relève les humbles de la poussière, met un terme aux épreuves arrêtées par ses décrets divins, & rétablit les cœurs fidèles à sa loi dans l’estime & la bienveillance des nations ?

    Depuis notre dispersion, des changements innombrables ont signalé l’inconstance des choses humaines. Les nations se sont successivement poussées, mêlées, entassées les unes sur les autres. Seuls nous avons résisté au torrent des âges & des révolutions.

    Tout nous présageait dans l’Europe un destin plus doux, une existence moins précaire : mais cet état de choses n’était encore qu’une riante perspective; pour qu’elle devint une réalité, il fallait que du sein des tempêtes publiques, que du milieu des flots agités d’un peuple immense, il s’élevât, conduite par une main divine, une de ces têtes puissantes autour desquelles les peuples se rallient par un instinct naturel de conservation.

    Ce génie bienfaisant & consolateur veut faire disparaître toute distinction humiliante entre nous & ses autres sujets. Son regard pénétrant a su découvrir dans notre code mosaïque les principes de durée et de force qui l’ont fait triompher des ravages du temps, & qui donnèrent jadis à nos pères cette simplicité patriarcale que notre siècle vénère encore, & cet héroïsme de caractère dont l’histoire nous retrace les admirables modèles.

    Il a jugé dans sa sagesse qu’il convenait à ses vues paternelles de permettre qu’il fût convoqué à Paris à un grand sanhédrin. L’objet & les fonctions de ce corps sont tracés dans l’ éloquent discours de MM. Les commissaires de S. M. impériale & royale. Nous vous l’adressons, nos chers frères, pour vous faire connaître que l’esprit qui l’a dicté n’a pour but que de nous rappeler à nos antiques vertus, & de conserver notre sainte religion dans toute sa pureté.

    L’appel que nous faisons aujourd’hui du concours de vos lumières, en donnant aux décisions du grand sanhédrin plus de considération & de poids, produira cet heureux résultat de nous rappeler tous à des principes uniformes de doctrine, plus en harmonie avec les lois civiles & politiques des différents états que vous avez adoptés pour patrie.

    Vos instructions nous seront utiles, & le gouvernement nous autorise à en réclamer l’assistance.

    Ne soyez point sourds à notre voix, nos chers frères ! Choisissez des hommes connus par leur sagesse, amis de la vérité & de la justice, et capables de concourir avec nous à ce grand ouvrage. Envoyez-les prendre place parmi nous, & qu’ils nous fassent part de leurs vues sages & éclairées.

    Il doit être bien doux pour tous les Israélites de l’Europe de coopérer à la régénération de leurs frères, comme il doit être glorieux pour nous en particulier d’avoir fixé l’attention d’un souverain illustre.

    Jamais hommes sur la terre n’eurent d’aussi puissants motifs que nous, d’aimer, d’admirer ce souverain, parce que jamais nous n’avons eu à nous applaudir d’une justice aussi éclatante, ni d’une protection plus signalée. Rendre à la société un peuple estimable par ses vertus privées, le rappeler au sentiment de sa dignité en lui assurant la jouissance de ses droits; tels sont les bienfaits dont nous sommes redevables à Napoléon-le-Grand.

    L’arbitre souverain des peuples & des rois l’a donné à cet empire pour cicatriser ses plaies, pour lui rendre le calme que de longs orages lui avaient ravi, pour agrandir ses destinées, fixer les nôtres, & faire les délices de deux nations qui s’applaudiront à jamais de lui avoir confié le soin de leur bonheur, après celui de leur défense ».


Paris, 24 de tisris 567 (6 octobre 1808)



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****

    Lorsque l’empereur arriva à Francfort, au milieu de la nuit de 2 au 3, 5 mille Juifs l’attendaient dans la rue qui porte leurs nom, & qui était parfaitement illuminée. Dès que S.M. parut, tous s’empressèrent de lui exprimer leur profonde reconnaissance, pour les bienfaits dont il comble leur nation, par les cris longtemps répétés de vive Napoléon !


De Francfort, le 22 décembre (1806)

……

    Les Juifs de cette ville se sont assemblé dernièrement & ont arrêté l’adresse suivante :


    Les Israélites de Francfort-sur-le-Mein, au président & à l’assemblée des députés de ceux de France & du royaume d’Italie.

    « Monsieur le président, nous ne pouvons garder plus longtemps un silence démenti par nos sentiments & nos vœux. La vocation de l’assemblée que vous présidez nous avait d’abord inspiré de la joie & de flatteuses espérances ; les réponses aux questions du grand monarque ont excité notre juste admiration. Elles décèlent des hommes pénétrés tout-à-la-fois du véritable esprit de la religion & des devoirs du citoyen vertueux ; on y aperçoit la droiture de négociateurs animés du même caractère conciliant, si propre à aplanir les difficultés. Les Israélites, répandus dans l’immensité de l’Empire français, avaient déjà eu le bonheur d’être rétablis dans les droits sacrés de la nature; la grande nation avait déjà brisé les fers d’un peuple trop longtemps esclave, & détruit la barrière funeste qui les séparait de ses frères; elle avait rendu à la patrie des défenseurs qu’elle méconnaissait, & à l’état des citoyens utiles : mais la jouissance de cet inappréciable bienfait éprouvait encore des entraves, & il était réservé à l’immortel Napoléon d’achever votre bonheur.

    Son vaste génie vit bien qu’il fallait épurer la religion & réformer les abus. Cependant, afin d’écarter tout soupçon qu’ait voulu donner la moindre atteinte à notre antique croyance, il vous appela pour délibérer avec vous, comme un père avec ses enfants, sur votre plus grand intérêt. Puisse le bel exemple de la France franchir les limites de son empire ! Puisse l’humanité de son souverain s’étendre sur toute la terre, & produire non une stérile admiration, mais une louable émulation qui nous assimile à nos frères ! Puissent les arbitres du genre humain prêter une oreille sensible aux cris plaintifs de la nature outragée ! Ô bonté divine ! Daigne jeter encore un regard propice sur un peuple jadis l’objet de tes grâces ! Inspire les maîtres du monde, touche leurs cœurs en faveur d’Israël.

    Et vous, qui êtes assemblés pour opérer le bonheur de vos frères, ne laissez point ralentir votre zèle; secondez, avec ardeur les sublimes intentions de votre auguste bienfaiteur. Si l’insensé réprouve vos travaux, le sage vous comble de bénédictions. Car semez le grand œuvre pour lequel vous êtes appelés ; une gloire immortelle vous attend au bout de la carrière.

    Nous désirerons, M. le président & MM. Les députés, pouvoir mieux vous exprimer notre satisfaction & nos vœux ardents pour le succès de vos travaux.

    Agréez, comme une preuve de l’intérêt que nous prenons à ceux-ci, nos remerciements & nos respects. »

Le 25 novembre 1806


    Dans l’organisation politique de la ville de Francfort, on a remarqué la disposition qui préserve dorénavant les Juifs de cette ville de toute insulte & toute vexation. Dans une lettre adressée par S.A.E. le prince-primat à M. le sénateur Grégoire, qui contribua dans l’assemblée constituante, avec MM. Mounier, Lally-Tollendal & Clermont-Tonnerre, à faire restituer aux Juifs leurs droits civils & politiques, ce souverain éclairé donne l’assurance de son désir de pouvoir abolir bientôt toutes les distinctions avilissantes dont les Juifs sont encore victimes à Francfort.


    - On a distribué dans Paris, gratis, beaucoup d’exemplaire de la requête adressée à sa S.M.I. en faveur des Juifs d’Allemagne, par M. Jacobson, agent des finances du duc de Brunswick. Les fragments que nous avons donnés de cette requête font connaître dans quel esprit elle est rédigée. L’auteur dit fort bien dans quelle humiliation les Juifs sont tombés, les persécutions qu’ils ont éprouvées; et ce sont des faits que personne ne conteste. La seule question indécise depuis tant de siècles, consiste à savoir jusqu’à quel point les Juifs se prêteront à adopter les mœurs des nations au milieu desquelles ils vivent.


Du Havre, le 27 décembre (1806)

    Les prêteurs sur gages s’étaient accrus dans cette ville d’une manière scandaleuse. Ces messieurs prêtaient à de gros intérêts, & pour n’être pas compromis, soit avec la justice, soit avec leurs débiteurs, ils ne donnaient aucune reconnaissance des effets qu’ils prenaient en nantissement. Le maire du Havre, à qui ces abus ont été dénoncés, vient d’y mettre un terme, en prenant une ordonnance fort sage, par laquelle il est défendu, conformément aux lois, de faire isolément & sans une autorisation publique, le métier de prêteur sur gages. Il sera établi en conséquence dans nos murs, un Mont-de-Piété à l’instar de celui de Paris, lequel sera administré au profit des pauvres.


Aux auteurs du Publiciste

Sur le prêt à intérêt


    Avec beaucoup d’esprit, d’érudition & de talent, on peut embrouiller les questions relatives à l’intérêt de l’argent.

    Avec beaucoup de bon sens & de simplicité, on pourrait les éclaircir.

    Dès qu’une société politique est parvenue est parvenue à connaître l’agriculture, l’industrie, les arts, le commerce, il est impossible qu’elle subsiste sans qu’il y ait des citoyens qui prêtent l’usage de leurs capitaux à d’autres citoyens: ce qui s’appelle : prêter de l’argent, depuis qu’on est convenu d’exprimer en argent la valeur des capitaux.

    Les ventes à crédit deviennent indispensables, pour peu que le commerce prenne d’étendue; car l’agriculteur & le manufacturier, premiers producteurs des choses à vendre, ne peuvent être définitivement payés qu’avec l’argent des derniers consommateurs. Pour qu’il en fût autrement, il faudrait qu’il y eût dans la société vingt fois plus de capitaux qu’il n’en existe & qu’on ne peut en accumuler.

    Vendre à crédit, c’est prêter son capital ou son argent.

    Cela ne peut pas être interdit. Tous les travaux utiles s’arrêteraient si cela n’était pas protégé, encouragé.

    La protection & l’encouragement consistent dans l’obligation que la loi impose au débiteur de tenir son engagement. La société ne fait à cet égard que sanctionner la loi naturelle qui veut que l’on soit fidèle à sa parole, & qu’on ne prenne pas le bien d’autrui.

    Toute loi naturelle est une loi divine. Et quand on croit trouver de la contradiction entre une loi religieuse & une loi naturelle, on peut juger, ou que la loi qu’on appelle religieuse est mal entendue; ou qu’elle n’est pas religieuse. C’est alors aux ministres de la religion à prouver que leur loi religieuse s’accorde avec la loi naturelle; &, lorsque la religion est vraie, ils n’y ont aucune difficulté.

    Vendre à crédit est donc une action souvent nécessaire au vendeur, toujours utile à l’acheteur. C’est une action de bienfaisance qui n’est défendue par aucune religion, & pour laquelle le droit au remboursement doit être appuyé de toute la force de l’autorité publique dans tous les gouvernements.

    Mais y a-t-il une religion ou un gouvernement qui puisse exiger qu’une vente à crédit soit faite au même prix qu’une vente au comptant ? Non ; car dans une vente au comptant, le marché est consommé; le vendeur n’a plus de risque à courir; il peut jouir à l’instant de son capital ou de son argent; il peut en faire un usage utile. Dans une vente à crédit, le marché n’est que commencé ; le vendeur prête sa chose, & n’est pas exempt des dangers qu’elle peut essuyer ou qui peuvent menacer l’acheteur, c’est-à-dire, en ce cas, l’emprunteur.

    L’acheteur à crédit, ou l’emprunteur, doit donc payer, outre la valeur que la chose aurait, s’il en donnait le prix comptant, un loyer pour l’usage de cette chose dont on lui accorde la disposition avant qu’il l’ait acquittée. Il doit, de plus, une prime d’assurance contre le risque auquel la nature de la chose ou de ses affaires, peut exposer son vendeur ou son prêteur. Le prix de ce loyer, le taux de cette assurance, doivent être arbitrés, de gré à gré, entre le vendeur-prêteur & et l’acheteur-emprunteur; car le gouvernement, ni la religion, ne peuvent pas ordonner à l’un de se dessaisir de sa propriété, ou obliger l’autre de la payer plus qu’il ne l’estime. Dans le cas même de pure & absolue bienfaisance, sans aucun retour en ce monde, la religion exhorte vivement à la charité, d’après de nobles & doux sentiments de morale, & dans le juste espoir de récompenses éternelles; mais elle n’en prescrit impérieusement aucun acte, sans quoi il n’y aurait plus de propriété, & les mendiants seraient les seuls rois de la terre.

    Celui qui prête son argent est précisément dans le même cas que celui qui vend sa marchandise à crédit. S’il ne le prêtait pas, il en pourrait faire un autre usage, qui lui serait agréable ou avantageux; il en pourrait acheter un champ qui lui donnerait un revenu, ou tout autre chose qui lui promettrait un bénéfice. Celui qui l’emprunte en disposera, & n’emprunterait pas s’il n’y envisageait de l’utilité ou du profit.

    L’emprunteur doit donc indemniser le prêteur de la privation à laquelle celui-ci consent. Il doit le loyer de cet argent, qu’il désire employer pour faire un gain. Il doit une assurance contre les événements qui peuvent détruire une partie du capital, ou même le tout. Cette assurance doit être en raison des circonstances politiques plus ou moins heureuses, des lois civiles plus ou moins bonnes, des ressources de la chicane plus ou moins grandes pour éluder la loi, de la nature des affaires de l’emprunteur & de sa moralité.

    Qui est-ce qui en fera le calcul ? Les deux parties d’un commun accord; car il s’agit entr’elles d’un contrat libre.

    Nulle loi politique ou religieuse ne peut contraindre un homme à prêter son argent. La loi qui voudrait l’y forcer serait tyrannique, & elle ne serait pas obéie.

    Si le propriétaire en cherche un emploi, il baisse le taux dès qu’il trouve bon gage; & alors on dit que l’argent abonde.

    Si ce sont les emprunteurs qui sollicitent, & qu’ils ne donnent pas de sûretés bien claires, on dit que l’argent est rare, & il devient cher.

    Or, ce sont ordinairement les emprunteurs qui invoquent les prêteurs jusqu’à ce que ceux-ci aient lâché leur argent. Avant le prêt, celui qui va le faire est appelé bienfaiteur généreux : ce n’est qu’ensuite qu’on le nomme créancier avide.

    La politique désire que l’intérêt de l’argent soit bas. C’est pourquoi elle recommande la paix autant qu’elle est possible, le respect pour les propriétés, la liberté du travail, celle du commerce, la protection publique pour tous les moyens légitimes d’acquérir & de conserver, ce qui comprend celle de tous les contrats faits librement dont les conditions ne sont pas contraires aux bonnes mœurs. Mais elle ne peut pas fixer le taux de ce qui n’est pas intérêt courant en justice; car elle ne saurait calculer les risques & leurs variétés : elle sait, au contraire, que ces variétés sont incalculables.

    La religion peut exciter aux services gratuits, leur promettre l’estime en ce monde & les récompenses les plus douces dans l’autre. Mais elle ne peut pas les commander positivement; car sa maxime fondamentale est que nous ne fassions pas aux autres ce que nous ne voudrions pas qui nous fût fait. Or, nul de nous, pas même ceux qui écrivent contre le prêt à intérêt, ne voudraient qu’on lui prit son argent malgré lui, ou qu’on le contraignit à le prêter sans sûreté, sans bénéfice.

    Ainsi, l’utilité que le prêteur pourrait retirer de son capital s’il ne le prêtait pas;

    L’avantage qu’y trouvera l’emprunteur si on lui prête;

    L’assurance contre le danger du retard dans le remboursement & pertes possibles. Voilà les trois éléments nécessaires de l’intérêt de l’argent : éléments dont aucune autorité civile ni religieuse ne peut changer la nature.

    Et si l’on examine ce qui concerne les Juifs, qui, dans ces derniers temps, ont donné lieu à ce qu’on discutât de nouveau cette matière, on verra qu’une nation qui était persécutée & sujette à des avanies, à l’égard de laquelle on suspendait quelquefois l’exécution de la loi générale, qui aurait obligé ses débiteurs à la payer, devait vendre ou louer son argent à plus haut prix que les nations qui trouvaient tout appui dans le gouvernement, dans l’opinion, dans la législation; car en prêtant elle courait de plus grands risques, & ces risques devaient être compensés par une prime d’assurance qui leur fût proportionnée.

    Quand la loi & son application seront parfaitement égales entre les Juifs et les autres citoyens, ce que les lumières du gouvernement rendent très prochain, il ne sera besoin d’aucune disposition particulière pour que le loyer de leur argent soit au même prix que celui de l’argent des autres capitalistes

P. N.


      Il serait facile d’expliquer comment on sait mieux et plus tôt dans certaines villes d’Allemagne ce qui se passe dans l’assemblée des juifs convoqués à Paris, qu’à Paris même. La pièce suivante nous a été envoyée de Manheim; elle porte un caractère d’authenticité auquel on ne peut se méprendre; elle est à la foi curieuse et intéressante, et prouve, par sa rédaction, que les juifs ont fort bien choisi les interprètes de leurs sentiments. Ces motifs nous ont décidé à l’insérer dans notre journal, qu’on soupçonne, je ne sais pourquoi, d’être contre les espérances que forme en ce moment la nation juive, quoiqu’il se borne à la plus stricte neutralité.)

Première question.

Est-il licite aux juifs d'épouser plusieurs femmes?

    Réponse. Il n'est point licite aux juifs d'épouser plusieurs femmes : ils se conforment généralement, dans tous les Etats de l'Europe, à l'usage de n'épouser qu'une seule femme.

    Moïse ne commande pas expressément d'en prendre plus d'une; mais il ne le défend pas : il semble même adopter implicitement cet usage comme établi, puisqu'il règle le partage des successions entre les enfans de plus d'une épouse.

    Quoique cet usage existe dans tout l’Orient, néanmoins leurs anciens docteurs leur prescrivent de ne prendre plut d'une femme qu'autant que leur fortune leur permettra de pourvoir à tous leurs besoins.

    Il n'en fut pas de même en Occident. Le désir de se conformer aux usages des nations de cette partie de l'Europe, parmi lesquelles ils s'étoient répandus, leur avoit fait renoncer à la polygamie; mais, comme quelques individus se la permettoient encore, cette circonstance détermina, dans le onzième siècle la convocation d'un synode à Worms , présidé pour le rabbin Gaerchon , et composé de cent rabbins. Cette assemblée prononça anathème contre tout Israélite qui se permettroit à l’avenir d'épouser plus d'une femme

    Quoique ce synode n'eût pas fait cette défense pour toujours, l'influence des mœurs européennes a prévalu partout.


Deuxième question.

Le divorce est-il permis par la religion juive ?

Le divorce est-il valable sans qu'il soit prononcé par les lois contradictoires à celles du Code français ?

    R. La répudiation est permise par la loi de Moïse; mais elle n'est point valable, si elle n'est préalablement prononcée par les tribunaux, en vertu du Code français.

    Aux yeux de tous les israélites en général , la soumission à la loi du prince est le premier des devoirs : c'est un principe généralement reçu parmi eux , que dans tout ce qui concerne les intérêts civils et politiques, la loi de l'Etat est la loi suprême .

    Avant qu'ils n'eussent été admis en France à la jouissance des droits des autres citoyens , et lorsqu'ils vivoient sous une législation particulière qui leur permettoit de se régir selon leurs usages religieux, ils avaient la faculté de répudier, mais il étoit extrêmement rare qu'ils en usassent.

    Depuis la révolution , ils n'ont reconnu à cet égard que les lois françaises. Lors de leur admission aux droits de citoyen , les rabbins et les principaux juifs dans toute la France se présentèrent devant les municipalités des lieux , et y prêtèrent le serment de se conformer en tout aux lois de l'Etat, et de n'en point reconnoitre d'antres pour régler leurs intérêts civils.

    Ils ne peuvent donc plus regarder comme valable la répudiation prononcée par leurs rabbins , puisque pour avoir ce caractère, elle doit l'être auparavant par les tribunaux; car de même qu'en vertu des arrêté des consuls , les rabbins ne peuvent imposer la bénédiction nuptiale , sans qu'il leur ait apparu de l’acte, des conjoints devant l'officier civil, de même ils ne peuvent prononcer la répudiation qu'autant qu'il leur ait apparu du jugement qui le consacre.

    Quand même l'arrêté précité n'auroit pas statué à cet égard, la répudiation rabbinique ne seroit valable qu'autant qu'il n'existe aucun empêchement quelconque, et comme à l'égard des intérêts civils la loi seroit un empêchement , puisque l'un des conjoints pourroit s'en prévaloir contre l'autre , il résulte nécessairement que sans l'influence du Code civil, la répudia­ton rabbinique n'est point valable.

    Ainsi , depuis que les juifs contractent devant l'officier civil nul , parmi ceux qui tiennent aux observances religieuses , ne peut se séparer de sa femme que par un double divorce, celui de la loi de l'Etat, et celui de la loi de Moise; et, sous ce rapport, ou peut assurer que la religion juive est parfaite­tuent en harmonie avec le Code civil.

Troisième question.

Une juive peut-elle se marier avec un chrétien, et une Chrétienne avec un juif; ou la loi veut-elle que les juifs ne se marient qu'entr'eux ?

    R. La loi ne dit pas qu'une juive ne puisse se marier avec un chrétien , ni une chrétienne avec un juif; elle ne dit pas non plus que les juifs ne puissent se marier qu'entre eux. La loi ne prohibe nominativement les mariages qu'avec les sept nations cananéennes , avec Amon , Moab et avec les Egyptiens La défense à l'égard des sept nations est absolue. Celle avec Amon et Moab se borne, selon plusieurs talmudistes, aux hommes de ces deux nations et non aux femmes. On croit même qu'il faut que celles-ci aient embrassé la religion juive: quant aux Egyptiens, la défense se borne à la troisième génération. La prohibition ne s'applique qu'aux peuples idolâtres: le Talmud déclare formellement que les nations modernes ne le sont pas, puisque, comme nous elles adorent le Dieu du ciel et de la terre.

    Aussi y a-t-il en , à différentes époques, des mariages entre les juifs et les chrétiens, en France, et, Espagne , en Allemagne Ils furent successivement tolérés ou défendus par les lois des princes dans les Etats desquels les juifs ont vécu.

    Il en existe aujourd'hui quelques-uns en France; mais on ne doit pas laisser ignorer que l'opinion des rabbins est con­traire à ces sortes d'alliances. Selon leur doctrine, quoique la religion de Moïse n'ait pas défendu aux juifs de s'allier avec ceux qui ne sont pas de leur religion, néanmoins, comme le mariage; depuis le Talmud, exige pour sa célébration des cérémonies religieuses appelées kiduschim et la bénédiction usitée en pareil cas , nul mariage n'est valable religieusement qu'autant que ces cérémonies ont été remplies. Elles ne pourroient l'être à l'égard de deux personnes qui ne reconnoitroient pas également ces cérémonies comme sacrées; et dans ce cas, les deux époux pourroient se séparer sans qu'ils eussent besoin du divorce religieux; ils seroient regardés comme mariés civilement, mais non religieusement.

    Telle est l'opinion des rabbins membres de l'assemblée. En général ils ne seroient pas plus disposés à bénir le mariage d’une chrétienne avec un juif ou d'une juive avec un chrétien, que tes prêtres ne consentiroient à bénir de pareilles unions.

    Cependant les rabbins reconnoissent que ce le juif qui se marie avec une chrétienne ne cesse pas pour cela d'être juif aux yeux de ses co-religionnaires, tout comme l'est celui qui épouse une juive civilement et non religieusement.


Quatrième question.

Aux yeux des juifs , les Français sont-ils leurs frères ; ou sont-ils des étrangers ?

    R. Aux yeux des juifs les Français sont leurs frères, et ne sont pas des étrangers. L’esprit des lois de Moise est conforme à cette manière de considérer les Français.

    Lorsque les Israélites formoient un corps de nation , leur religion leur prescrivoit de regarder les étrangers comme leurs frères. C est avec une touchante sollicitude que leur législateur leur ordonne de les aimer : « Souvenez-vues, leur dit-il, que vous avez été des étrangers en Egypte ».  Les égards, la bienveillance envers les étrangers sont recommandés par Moïse non comme une simple exhortation à la pratique de la morale sociale, mais comme une obligation imposée par Dieu même " En moissonnant vos champs, leur dit-il, n'y retournez pas pour prendre les poignées d'épis qu'on y auroit oubliées laissez-les pour les pauvres , l'étranger et la veuve ; ne maltraitez pas l'étranger , ne lui faites point de tort, aimez-le, donnez-lui du pain, fournissez-lui des vêtemens » dans son besoin: je suis l'Éternel, votre Dieu; l'Eternel aime les étrangers. »

    A ces sentimens de bienveillance pour l'étranger, Moïse ajoute: « L'amour général pour l'humanité; aime ton semblable comme toi-même. » David s'exprime aussi en ces termes: « Le Seigneur notre Dieu est plein de bonté; sa miséricorde s'étend sur toutes ses oeuvres. » Cette doctrine est professée par le Talmud.

    Ceux qui observent les Noachides, dit un talmudiste, quelles que soient d'ailleurs leurs opinions, nous sommes obligés de les aimer comme frères, de visiter leurs malades, d'enterrer leurs morts, d'assister leurs pauvres comme ceux d'Israël; enfin il n'y a point d'acte d'humanité dont un vrai Israélite puisse se dispenser envers l'observateur des Noachides.

    Qu'est-ce que ses principes? De s'éloigner de l‘idolâtrie; de ne point blasphémer de s'abstenir de tout adultère; de ne tuer ni blesser son prochain; de ne voler, ni tromper; de ne manger de la chair des animaux qu'après les avoir tués; enfin, de maintenir la justice. Ainsi tous nos principes nous font un devoir d'aimer les Français comme nos frères.

    Un païen ayant consulté le rabbin Hilles sur la religion juive, et voulant savoir en peu de mots en quoi elle consistoit Hilles lui répondit: " Ne fais pas à ton semblable ce que tu ne voudrois pas qu'on te fit; voilà, dit-il la religion tout le reste n'en est que la conséquence. Une religion qui ordonne d'aimer l'étranger , qui prêche la pratique des vertus sociales, exige à plus forte raison que ses sectateurs regardent leurs concitoyens comme leurs frères. Eh! comment pourvoient-ils les regarder autrement, lorsqu'ils vivent sur le même sol; qu'ils sont régis et protégés par le même gouvernement, par les mêmes lois; qu'ils jouissent des mêmes droits, et remplissent les mêmes devoirs?

    II y a même entre le juif et le chrétien un lien de plus qui compense amplement la différence des religions: c'est le lien de la reconnoissance. Ce sentiment, qu'une simple tolérance nous avoit inspiré, a reçu , par les nouveaux bienfaits de gouvernement, depuis dix-huit ans, un degré d'énergie qui associe en tout notre destinée à la destinée commune des Français. Oui, la France est notre patrie, les Français sont nos frères! Ce titre glorieux, eu nous honorant à nos propres yeux, est le garant que nous ne cesserons jamais de le mériter.


Cinquième question.

Dans l'un et dans. l'autre cas, quels sont les rapports que leur loi leur prescrit avec les Français qui ne sont pas de leur religion ?

    R. Ces rapports sont les mêmes que ceux qui existent entre un juif et un autre juif : nous n'admettons autre différence que celle d'adorer l’Etre Suprême chacun à sa manière, et nous croyons que cette diversité elle-même est une discordance harmonieuse qui ne déplaît pas au Dieu du ciel et de la terre.

    On a vu, par la réponse à la question précédente, quels sont les rapports que la loi de Moïse, le Talmud et l'usage nous prescrivent avec les Français qui ne sont pas de notre religion: aujourd'hui que les juifs ne forment plus une nation, et qu'ils ont l'avantage de se trouver incorporés dans la grande nation ce qu'ils regardent comme une rédemption politique, il n'est pas possible qu'un juif traite un Français qui c'est pas de la religion, autrement qu'il ne traite un de ses co-religionnaires.


Sixième question.

Les juifs nés en Fronce, et traités par la loi comme citoyens français, regardent-ils la France comme leur patrie , ont-ils l'obligation de la défendre ?

    R. Des hommes qui ont adopté une patrie, qui y résident depuis plusieurs générations, qui sous l'empire même des lois particulières qui restreignaient leurs droits civils, lui étoient assez attachés pour préférer au malheur de la quitter celui de ne point participer à tous les avantages des autres citoyens, ne peuvent se regarder , en France, que comme Français. L'obligation de la défendre est a leurs yeux un devoir également honorable et précieux.

    Jérémie, chap. 29 , recommande aux juifs de regarder Babylone comme leur patrie, quoiqu'ils ne dussent y rester que 70 ans; il les exhorte à défricher des champs, a bâtir des maisons, a semer, a planter. Sa recommandation fut tellement suivie, qu'Esdras, chap. 1er, dit que lorsque Cyrus leur permit de retourner à Jérusalem pour rétablir le second temple , il n'en sortit de Babylone que 40,360; que ce nombre n'étoit composé que des prolétaires, et que tous les riches restèrent à Babylone. L'amour pour la patrie est parmi les juifs un sentiment si naturel, si vif, et tellement indépendant de la croyance religieuse, qu'un juif français, en Angleterre, se regarde, même au milieu des autres juifs, comme étranger, et qu'il en est de même d'un juif anglais en France. Ce senti­ment prévaut a ce point sur l'esprit de la religion, que l'on a vu des juifs français, dans les dernières guerres, se battre à outrance contre des juifs allemands : il y en a quantité qui sont couverts d'honorables cicatrices; il y en a qui ont reçu , sur le champ d'honneur, des témoignages éclatans de leur bravoure.


Septième question.

Qui nomme les rabbins ?

    R. Depuis la révolution , dans les lieux ait il y a assez de juifs pour pourvoir à l'entretien d'un rabbin , il est nommé par les chefs de famille à la pluralité des suffrages, après que l'on a pris des informations sur sa moralité et sa capacité.


Huitième question.

Quelle jurisdiction de police exercent les rabbins parmi les juifs ? Quelle police judiciaire exercent-ils parmi eux ?

    R. Les rabbins n'exercèrent aucune jurisdiction de police parmi les juifs.

    La qualification de rabbins ne se trouve nulle part dans le loi de Moïse; elle n'existoit pas davantage dans les temps du premier temple, et il n'en est fait mention que vers la fin du second ; à ces époques les juifs se régissoient par des sanhédrins ou tribunaux.

    Il y en avoit un suprême , appelé le grand sanhédrin , qui siégeait à Jérusalem , et qui étoit composé de soixante et onze ­juges. Il y avait des tribunaux subalternes, composés de trois juges, pour les affaires civiles et de police, et un autre de vingt-trois juges qui siégeaient dans le chef-lieu , pour les affaires plus importantes, et que l'on qualifioit de petits sanhédrins.

    Ce n'est que dans le Misna et le Talmud que l'on trouve, pour la première fois, la qualification de rabbin, pour désigner un docteur de la loi , et c'était ordinairement la voie publique sur la réputation de savoir dont il jouissait, qui le faisoit appeler rabbin.

    Lorsque les Israélites furent entièrement dispersés , ils formèrent de petites communautés dans les lieux où il leur fut permis de se réunir en certain nombre. Là il y eut quelque­fois un rabbin et deux autres docteurs qui, sous le nom de Bethdins, c'est-à-dire maison de justice, rendoient des juge­mens : le rabbin faisoit les fonctions de président, et les deux autres celles de juges et d'assesseurs.

    Les attributions, comme l'existence de ces tribunaux , ont toujours dépendu, jusqu'à nos jours, de la volonté des gouvernemens sous lesquels les juifs ont vécu , et selon le degré de tolérance dont ils ont joui,

    Depuis la révolution , il n'existe plus en France, ni dans le royaume d'Italie, aucun de ces tribunaux de rabbins; les juifs, devenus citoyens, se sont conformés. en tout aux lois de l'Etat. Aussi les attributions des rabbins, dans les lieux où il y en a, se bornent-elles à prêcher la morale dans les temples, à bénir les mariages, et à prononcer les divorces.

    Dans les lieux ou il n'y a point de rabbins, le premier juif instruit dans sa religion peut, selon la loi, bénir un mariage sans l'assistance d'un rabbin; ce qui est sans doute un inconvénient dont il importe de prévenir les suites, en étendant la défense faite aux rabbins, par l'arrêté des consuls du . .. ., à toutes autres personnes qui seraient appelées à bénir un mariage.

    A l'égard de la police judiciaire parmi eux, comme ils n'ont aucune une hiérarchie ecclésiastique constituée, aucune subordination de fonctions religieuses, ils n'en exercent aucune.


Neuvième question.

Ces formes d'élection, cette jurisdiction d ai pouce judiciaire sont-elles voulues par la loi, ou seulement coma­crées par l'usage ?

    R. Les réponses faites aux deux questions précédentes dis­pensent de rien dire sur celle-ci. On peut seulement faire re­marquer qu'en supposant que les rabbins eussent conservé de nos jours quelque jurisdiction de police judiciaire, ce qui n'est pas, cette jurisdiction, non plus que les formes d'élection, ne seroient pas voulues parles lois, mais seroient seule­ment établies par l'usage.


Dixième question.

Est-il des professions que la loi des juifs leur défende ?

    R. Il n'en est aucune. Au contraire , le Talmud ( Voyez Kiduschim, ch. 1er) déclare positivement que le père de fa­mille qui n'enseigne pas une profession à son enfant, l'élève pour la vie des brigands.


Onzième question.

La loi des juifs leur défend-elle l'usure envers leurs frères?

    R. Le Deutéronome , chap. 25, vers. 19 , porte: « Vous ne prêterez point à intérêt à votre frère ni de l'argent, ni des grains, ni quelqu'autre chose que ce soit. »

    Le mot hébreu nechect, que l'on a traduit par celui d'usure, a été mal interprété ; il n'exprime en langue hébraïque qu'un intérêt quelconque, et non un intérêt usuraire: il n'a donc pas la signification que nous donnons aujourd'hui au, mot usure.

    Il est même impossible qu'il ait cette signification; car cette expression est relative, et il n'y a rien dans le texte qui serve de terme à sa relation.

    Qu'entendons-nous par le mot français usure ? N'est-ce pas d'un intérêt au-dessus de l'intérêt légal, là où la loi a fixé le taux de ce dernier?

    Si la loi de Moïse n'a point fixé ce taux, peut-on dire que le mot hébreu signifie un intérêt illégitime ?

    Le mot nechech est dans la langue hébraïque ce qu'est le mot fenus dans la langue latine.

    Ainsi, pour qu'il y ait lieu de croire que ce mot pût signifier usure, il fàudroit qu’il en existât un autre qui signifiât intérêt: de cela seul que ce mot n'existe point, tout intérêt est usure, ou toute usure est intérêt. Quel étoit le but du législateur , en défendant à un Hébreu de prendre intérêt d'un autre ? C'étoit de resserrer entr'eux les liens de la fraternité, de leur prescrire une bienveillance réciproque, et de les engager à l' aider les uns les autres avec désintéressement.

    La première pensée avait été d'établir entre eux l'égalité des biens et la médiocrité des fortunes particulières : de là l'institution de l'année sabbatique et de l'année jubilaire, dont l'une. revenait tous les sept ans, et l'autre après cinquante ans. Par l'année sabbatique, toutes les dettes prescrivoient; l'année jubilaire amenoit la restitution de tous les biens vendus ou aliénés.

    Il étoit facile de prévoir que la différente nature des terrains, le plus ou le moins d'industrie, les fléaux du ciel qui pourroit frapper l'un et épargner l'autre, dévoient nécessairement apporter de l'inégalité dans les produits ; que l'Israélite malheureux auroit recours à celui que la fortune auroit favorisé. Moïse n'a pas voulu que celui-ci profitât de l'avantage de sa situation et fit payer au premier le service qu'il auroit réclamé de lui ; qu'il aggravât ainsi le malheur de son frère, et s'enrichit lui-même en l'appauvrissant; c'est dans cette vue qu'il leur a dit : « Vous ne prêterez point à intérêt à votre frère. »

    Mais quels prêts pouvoient se faire les juifs entr'eux dans un temps ait ils n’avaient aucun commerce, où il circuloit si peu d'argent, et où la plus grande égalité régnoit dans les propriétés ?

    Ce ne pouvoit être que quelques boisseaux de blé, quelques bestiaux, quelque instrument de labourage; et Moïse voulut que ces services fussent gratuits.

    Il ne voulait faire de son peuple qu'un peuple de laboureurs. Long-temps même après lui, et quoique l'Idumée fût assez voisine des côtes de la mer, occupées par les Tyriens, les Sydoniens et d'autres nations navigatrices et commerçantes on ne voit point que les Hébreux s'adonnassent au commerce : toutes les ordonnances de leur législateur sembloient les en éloigner.

    Ainsi il ne faut point considérer la défense de Moïse comme un principe de loi de commerce, mais seulement comme un principe de charité. Selon le Talmud, il ne s'agit ici que du prêt, en quelque sorte domestique, du prêt fait à l'homme peu fortuné; car s'il s'agissoit d'un prêt fait à un négociant, même juif, ce prêt serait permis, sous la condition d'un profit relatif au risque.

    Autrefois, ce mot usure ne présentait. aucune mauvaise acception , et signifioit simplement un intérêt quelconque, l'expression d'usure ne peut plus rendre le sens du texte hébreu : aussi la bible d'Orwall et celle des juifs portugais appellent intérêt ce que Irci, d'après la Vulgate, appelle usure. Ainsi, par la loi de Moïse , le simple prêt à intérêt , non-seulement entre juifs et juifs, mais encore entre un juif et son compatriote sans distinction de religion ,est défendu; il doit être gratuit toutes les fois qu'il s'agit d'obliger celui qui réclame notre secours, et que l'emprunt n'a pas pour objet une entreprise de commerce.

    Il ne fut pas perdre de vue que ces lois si belles et si lumineuses, à une époque si reculée , ont été faites pour un peuple qui formoit alors un Etat, et tenait une place parmi les nation.

    Qu'on jette un regard sur les restes de ce peuple infortuné, dispersé chez tous les peuples de la terre, on verra que depuis que les juifs ont été dépossédés de la Palestine, il n'y a plus eu pour eux de demeure commune, de propriété, d'égalité primitive à maintenir. Quoique remplis eux-mêmes de l'esprit de leur législation, ils ont senti que du moment où le principe de la loi n'existait plus, ils ne devaient plus la suivre, et on les a vu sans aucun scrupule prêter à intérêt aux juifs commerçant comme aux hommes d'un culte différent.


Douzième question.

Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire l'usure aux étrangers ?

    R. Nous avons vu dans la réponse à la question précédente, que la défense de l'usure considérée comme l'intérêt le plus modique, était moins un principe de commerce qu'un principe de charité et de bienfaisance; c'est sous ce point de vue qu'elle est également condamnée par Moise et par le Talmud et que la défense, sous ce rapport, s'applique autant à nos concitoyens qui ne sont pas de la même religion, qu'à nos co-religionnaires. Cette disposition de la loi , qui permet de prendre intérêt de l'étranger, ne se rapporte évidemment qu'aux nations avec lesquelles on a des relations de commerce; autrement il y aurait une contradiction manifeste entre ce passage et vingt autres des livres sacrés: Aimez l'étranger, parce que le Seigneur notre Dieu l'aime; donnez-lui la nourriture, le vêtement. /l n'y aura qu'une même loi pour vous et pour les étrangers qui sont dans votre pays; Que la justice se rende également parmi vous aux étrangers et à vos concitoyens; que maudit soit celui qui fera le moindre tort à l'étranger; traitez l’étranger comme vous-même.

    Ainsi la restriction ne s'appliquoit pas à l'étranger qui résidoit dans Israël; l'Ecriture le met sous la sauve-garde de Dieu : c'est un hôte sacré , et Dieu fait un devoir de l'accueillir comme la veuve et l'orphelin. Il est évident que le texte . extrance fenerabis et fratri tao non fenerabis, ne peut s’entendre que des nations étrangères avec lesquelles on fait le commerce; et même en ce cas l'Ecriture, en permettant de prendre intérêt à l'étranger, n'entend point par-là un profit excessif, oppresseur, odieux à celui qui le paie.

    Non licuisse Israclitis , disent les Docteurs , usuras immoderatas exigere ab extraneis, etiam divitibus ; res est per se nota.

    Si Moise étoit le législateur des juifs, étoit-il le législateur de l'univers? Les lois qu'il donnoit au peuple que Dieu lui avoit confié alloient-elles devenir les lois du monde? Vous ne prendrez point d'intérêt à vos frères. Quelle garantie avoit-il, que dans les relations qui devoient naturellement s'établir entre les nations juives et les nations étrangères, ces dernières renonceroient aux usages généralement répandus dans le commerce, et préteroient aux juifs sans exiger aucun intérêt? Et alors falloit-il qu'il consentit à le sacrifier, à l'appauvrir , pour enrichir les peuples étrangers? N'est-il pas absurde de lui faire un crime de la restriction qu'il a mise au précepte du Deutéronome? Quel est le législateur qui ne l'ait regardé comme un principe naturel de réciprocité? Combien, à cet égard, la législation de Moïse est plus simple, plus noble, plus juste et plus humaine que celle des Grecs et des Romains! Vit-on jamais parmi les Israélites anciens ces scènes de scandale et de révolte, provoquées par la dureté des créanciers envers les débiteurs; ces fréquentes abolitions de dettes pour éviter qu'une multitude appauvrie par les exactions des prêteurs ne se livrât au désespoir? La législation mosaïque et ses interprètes ont distingué, avec une humanité digne d'éloges, les divers usages de l'argent emprunté. Est-ce pour soutenir la famille? l'intérêt est défendu. Est-ce pour entreprendre un commerce qui fait courir un risque aux capitaux du préteur? l'intérêt est permis, même de juif à juif. Prêtez aux pauvres, dit Moïse. Ici le tribut de la reconnoissance est le seul intérêt; le salaire du service rendu est dans la satisfaction de l'avoir rendu. II n'en est pas de même à l'égard du riche qui emploie des capitaux dans l'exploitation d'un grand commerce. Là il permet que le prêteur soit associé aux profits de l'emprunteur ; et comme le commerce étoit pour ainsi dire nul parmi les Israélites, exclusivement adonnés au labourage, et qu'il ne se faisoit qu'avec les étrangers, c'est-à-dire, les nations voisines, il fut permis avec elles d'en partager les profits.

    C'est ce qui fit dire à M. de Clermont-Tonnerre, dans l'assemblée constituante , ces paroles remarquables : « L'usure, dit-on, est permise aux juifs ; cette assertion n'est fondée que sur une interprétation fausse d'un principe de bienfaisance et de fraternité qui leur défendoit de porter à intérêt entr'eux. »:

    Cette opinion est celle de Puffendorff et d'autres publicistes.

    Il est incontestable, d'après le Talmud, que l'intérêt, même entre Israélites, est permis lorsqu'il s'agit d’opérations de commerce dans lesquelles le préteur , en courant une partie des risques de l'emprunteur, s'associe aussi à ses profits; c'est l'opinion de tous les docteurs juifs.

    On voit que les opinions absurdes et contraires à la morale sociale, que peut avoir avancées un rabbin, ne doivent pas faire porter un jugement défavorable sur la doctrine générale des juifs; de même que les idées semblables, avancées par des théologiens catholiques, ne doivent pas être mises sur le compte de la doctrine évangélique.

    On peut en dire autant de l'imputation faite aux Hébreux, d'avoir une disposition naturelle à l'infâme trafic de l'usure. On ne peut pas nier qu'il ne s'en trouve quelques-uns, mais en bien plus petit nombre qu'on ne pense , qui se livrent à ce honteux commerce défendu par la loi. S'il en est quelques-uns qui s'écartent à cet égard des lois de la délicatesse, n'est-il pas juste d'imputer ce vice à cent mille individus? Ne le seroit-il pu de l'imputer à tous les chrétiens, parce qu'il s’en trouve qui se le permettent?